[Cet article est une version augmentée d'un précédent article. Les images sont bien entendues ajoutées dans un but purement humoristique]

Pour juger de la qualité d'un jeu vidéo, une partie des joueurs établit une grille de lecture. Il y a des critères pré-définis qui sentent un peu le préjugé. Un système de choix de dialogues les fait tout de suite frétiller, comme s'il allait de soi que ce système donne forcément un très bon scénario. De même, lorsqu'un background est "fouillé" ou "riche" (ou du moins considéré comme tel), le jeu est forcément à découvrir. Pourtant, et c'est le but de mon article, j'ai tendance à penser qu'un background trop expliqué va nuire au jeu, à la qualité de sa narration et la cohérence du scénario.

Lâche-nous un peu avec ton background

L'histoire du premier Prince of Persia next-gen dure cinq minutes. Une princesse s'échappe, un aventurier lui vient en aide, et après quelques péripéties, papa le roi détruit l'arbre sacré, ce qui déclenche la fin des temps. Notre rôle consistera à sauver le monde de sa ruine. Mais l'histoire, elle, est finie. Par contre, il y aura des cinématiques jusqu'au bout, et nous pourrons même interroger longuement la princesse. Sur quoi ? Le background. Elle nous expliquera tout ce qu'il y a à expliquer sur les différents boss du jeu, les vilaines créatures, sur les jardins de Babylone, les palais de Shéhérazade, les cavernes d'Ali Baba. Mais l'histoire est arrivée à son dernier acte en cinq minutes, que nous prolongerons sur une douzaine d'heures de jeu...

Alors Ubisoft a travaillé sur le background de son Prince of Persia, fournissant une explication à tout et pour tout. Sauf que le background du jeu, quel intérêt a-t-il s'il ne sert pas de fond à une histoire ? Car le background, c'est un peu comme le papier peint qui ne décore que partiellement la maison. On a aussi besoin de meubles pour vivre. Dans un jeu, nous avons besoin d'avancer dans une histoire pour avoir l'envie d'avancer encore, c'est-à-dire de voir évoluer les personnages, apprendre sur eux des choses qui vont éclairer leur comportement. En somme, si l'envie de progresser au niveau du gameplay tient à la découverte de nouveaux décors, de nouveaux ennemis et de nouvelles sutuations, l'envie d'en savoir plus repose aussi sur une histoire qui avance et évolue.

Problèmes de vraisemblance

Tolkien développait énormément son background. Mais il le racontait, il ne l'expliquait pas. Les créateurs en jeu vidéo eux n'ont de cesse de nous expliquer leur background, au détriment de leur jeu. Dans Metal Gear Solid 4, Drebin le trafiquant d'armes explique à Snake l'histoire de chaque boss en détails. Je me pose alors trois questions. Comment sait-il tout ça ? Pourquoi raconte-t-il cela à Snake ? Et qu'est-ce que Snake en a à foutre ? La réponse est simple. C'est en fait le jeu qui raconte le background au joueur, Drebin et Snake ne servant que de pantins à une mise en scène peu inspirée. À partir de là, non seulement le background ne m'intéresse plus, mais en plus l'univers perd toute cohérence à mes yeux. L'information à l'état plus ou moins brut ne m'intéresse pas. C'est sa mise en forme qui a de la valeur.

De même, dans Mass Effect 2, vous aurez une discussion à couvert avec un personnage au milieu d'une fusillade. Le gars vous parle calmement, vous explique le background (encore une fois), se lève de temps en temps pour tuer un robot histoire de faire croire qu'on se soucie encore de la situation, pour continuer de débiter des tonnes d'informations. Difficile d'y croire. Et à partir de là, je n'ai plus envie d'en découvrir plus. C'est fini, le jeu est grillé à mes yeux sur le plan scénaristique.

Des histoires où tout va trop vite

À côté de cela, on raconte des histoires où tout va trop vite car on cherche à trop en dire. Les situations deviennent simplistes car trop courtes pour s'épanouir, on ne prend pas le temps de comportements vraisemblables, ou on manque de bon sens, je ne sais pas. C'est d'ailleurs aussi le problème des bandes dessinées qui se lisent en 20 minutes, alors qu'il se passe un nombre incroyable de choses. Thorgal, que j'apprécie beaucoup au demeurant, est un modèle du genre ; des histoires vite expédiées en 50 pages (en fait 48...), mais dont la matière aurait eu au minimum besoin du triple pour s'épanouir. Résultat ; c'est bourré d'ellipses peu convaincantes, les réactions des personnages sont caricaturales et prévisibles, leur psychologie primaire et donc sans intérêt, et le background, quoique riche, est superficiel, sans grande cohérence. Thorgal vit une véritable épopée à chaque épisode (au nombre de 32, je crois), il défait des monstres ignobles en deux cases... au lieu de prendre son temps, d'en raconter moins, mais mieux.

L'histoire parallèle

Certains jeux aujourd'hui nous communiquent leurs informations par le biais d'un système parallèle à l'histoire, sous forme de dossiers à lire, d'enregistrements audio et vidéo, système qui en vient à me lasser de plus en plus. On trouve souvent ce genre de narration à base d'enregistrements dans des jeux variés tel que Bioshock, Batman Arkham Asylum, Dead Space ou encore Infamous, pour ne citer que des titres récents. Souvent courtes et inconsistantes, ces informations superficielles ne nous renseignent au fond sur pratiquement rien. Elles n'enrichissent pas le background de manière pertinente. En fait, ces enregistrements ont, d'après moi, deux fonctions ; l'une est qu'elle pousse le joueur à tout fouiller pour obtenir la récompense (souvent le trophée ou succès pour avoir tout déniché). L'autre est que ce système sert aux scénaristes de béquille ; tout ce qu'ils n'ont pas réussi à fourrer dans les cinématiques se retrouvera ainsi sous forme amoindrie, résumée pour ne pas être trop envahissante.

On ramasse des enregistrements sans grande utilité, pas longs à écouter, mais pas passionnants non plus, et qui laissent une désagréable atmosphère d'absurdité flotter sur le jeu. Je déteste trouver ces bouts enregistrements dans le coin d'un couloir, je trouve que cela nuit à l'univers du jeu, car je me demande comment ils sont arrivés là, pourquoi untel n'a enregistré que trois phrase sur cette cassette, plus trois autres à propos du même sujet sur une cassette qu'on trouve plus loin. Je me dis à chaque fois que ces enregistrements sonnent faux. Ils ne s'inscrivent pas dans l'histoire du jeu, ils sont là pour le joueur, enregistrés à son intention, ce qui fait sortir la narration du cadre du jeu. Bien entendu, pour créer l'illusion, ces dossiers se présentent sous forme de rapport, de notes scientifiques, etc, comme pour nous prouver que les scénaristes ont bien fait leur boulot sur le plan formel, qu'ils ont pondu un univers fouillé. Mais ça ne fonctionne pas vraiment.

Trop en dire nuit à l'évocation et aux émotions

À force de vouloir trop nous en dire, les jeux perdent en évocation, car les situations n'ont souvent aucun sens. On se soucie moins de la forme, on ne travaille pas assez sur elle. On aura beau me dire, par exemple, que Grand Theft Auto 4 et Red Dead Redemtion ont des univers très fouillés, moi ce que je vois d'abord, c'est combien les situations sont invraisemblables, l'évolution des trames incohérentes. À vouloir être trop généreux, à vouloir trop nous en faire faire, trop nous en faire voir, Rockstar pond des héros qui n'agissent que très rarement en fonction de leur personnalité et de leur caractère. Parce qu'on ne croisera que souvent deux fois les mêmes personnages, on appuie trop le trait, on tombe dans l'approximation et la caricature. Il faut faire vite, quitte à bâcler le travail.

D'une autre manière, je me dis aussi qu'au lieu de vouloir absolument tout nous expliquer sur l'univers de Dead Space, le jeu aurait gagné à nous offrir des personnages un peu plus intéressants, et aussi à conserver une aura de mystère. Comme avec Prince of Persia, Dead Space ne raconte pas tellement une histoire mais nous explique un background, qui en plus est loin d'être son point fort car il est repompé de partout. La quantité, hélas ! et l'exhaustivité ne combleront jamais l'absence de qualité, l'information ne remplace pas l'émotion. Un film comme Alien a-t-il besoin d'élaborer et d'expliquer en long et en large son background ? Non, il le fait par touche, et le reste tient du mystère.

Des exemples à suivre ?

Shadow of the Colossus a fait le pari d'en raconter le moins possible. Le background est là, on le sent à plein nez, et jamais on ne nous l'explique vraiment, parce que c'est inutile. L'histoire, minimaliste, se dessine peu à peu, à mesure que nous comprenons que quelque chose ne va pas dans l'attitude parfois pacifique des colosses. Avec des riens, la Team Ico en raconte cent fois plus que la concurrence, car ces riens sont très évocateurs. À l'autre extrême, Final Fantasy Tactics, avec son background imposant mais jamais envahissant, ses multiples trames pleines de trahisons à la sauce shakespearienne, et sa mise en scène époustouflante rien qu'avec des bonhommes en SD et des bruitages ridicules, force lui aussi le respect.

Il y a bien entendu de nombreux exemples, tel que le dernier Castlevania, Max Payne et d'autres, qui ont su raconter une histoire sans nous plomber l'ambiance. La palme du scénario le plus bluffant revient à mes yeux, bizarrement, à un jeu de sport ; Fight Night Champion. Sidérant de réalisme, les dialogues sonnent vrais, les personnages sonnent vrais, leur réaction sont toujours justes, et même si parfois elles semblent un brin appuyées, elles ne le sont pas moins dans un Rocky. Fight Night Champion a un background. Et même si le scénariste n'a pas pensé à un background, le jeu en a un quand même, jamais expliqué ni même raconté, mais suggéré à travers une histoire pourtant simple et sans surprise.

C'est bien entendu une question de goût, mais je préfère de loin une histoire bien racontée à un background péniblement expliqué auquel de toute façon je ne crois pas.