C'est vrai qu'il y a certains arts qui sont plus destinés a faire voyager que d'autres. Le cinéma, aussi perfectionné soit-il aujourd'hui, pourrait être le maître en cette matière ; mais il reste malheureusement amputé par une certaine limite temporelle. Difficile de faire émerger un sentiment de nostalgie en 2 ou 3 heures. La peinture, avec ses représentations souvent très oniriques de la réalité, pourrait elle aussi remplir cette fonction, mais elle ne subsiste qu'un instant, est figée cette fois non pas dans le temps mais dans l'espace. On sent une certaine évasion, mais là encore, difficile de vraiment "faire voyager" en ne regardant qu'une seule scène. Non, seuls les arts qui peuvent se permettre une durée dans le temps conséquente et proposer une multitude de panoramas sont capables de ce genre de chose.

 C'est par exemple le cas de la littérature. Et plus récemment, c'est aussi le cas par exemple des séries télé (même si j'ai l'impression que les héros de série ne sont pas tous très globe-trotteurs). Et c'est donc évidemment le cas du jeu vidéo, mais à la différence près que dans ce dernier, le spectateur est acteur. Par conséquent, il voyage, littéralement.

 

 On pourrait d'ores et déjà distinguer plusieurs types de voyage. Dans un premier temps, on pensera tout naturellement au voyage dans le sens littéral du terme, c'est-à-dire le déplacement de quelqu'un qui se rend en un lieu assez éloigné de celui où il réside/où il est partit. Pour le coup, David Cage a raison, on cours beaucoup dans les jeux vidéo. Mais au sein de combien avez-vous réellement eu cette sensation de voyager? Dans combien de jeu pouvez-vous vous retourner (pas réellement, c'est une image) et vous souvenir avec nostalgie de vos premiers pas dans ce monde virtuel? Tout compte fait, assez peu...

A titre personnel, et contrairement à ce qu'on pourrait penser, les jeux à couloir se prêtent davantage à ça que les mondes ouverts. En effet, un jeu Rockastar est vendu comme proposant "un immense terrain de jeu". Certes c'est immense, mais ça reste un terrain de jeu, c'est-à-dire qu'on ne trace pas une ligne bien droite d'un point A à un point B, mais bien souvent on va d'un point A à un point B, puis à un point C pour revenir au point A. En d'autres termes, on n'avance pas, on fait des ronds dans un enclos, et les allers-retours aux mêmes endroits stimulent encore plus notre familiarité avec l'univers. A la limite, on pourrait imaginer que le découpage en quartiers d'un GTA puisse permettre la nostalgie (à priori, on ne revient pas dans un quartier déjà bouclé), mais l'univers reste le même, la ville, et il s'agit de plus de la même ville. Que cet univers ne diffère pas trop d'un endroit à un autre est une nécessité, sinon quoi le monde ouvert ne serait pas cohérent.

 Au contraire, un jeu où l'on évolue dans un couloir peut se permettre plus de choses, et possède de plus un atout bien intéressant que les open world n'ont pas : une narration plus encadrée, qui est dès lors plus a même de procurer cette sensation de voyage. Par exemple, dans Okami, dès que l'on incarne Amaterasu, notre aventure en devenir est clairement annoncée par Sakura : Amaterasu devra jalonner tout le pays dans le but de redonner la foi aux hommes. Ici, on devine déjà que le voyage sera long et les rencontres nombreuses. Il est permis de dériver de l'objectif principal pour se consacrer à pléthore de quêtes secondaires. Mais non seulement ces quêtes secondaires sont souvent l'occasion de nouvelles rencontres et/ou de découverte de nouveaux lieux, mais de toute manière, et au contraire d'un GTA, si on ne revient pas sur la quête principale à un moment où à un autre, il n'est plus possible d'avancer. Autrement dit, le jeu n'a pas prévu de stagnation, il pousse le joueur à s'arrêter, se reposer quelques instants (quêtes secondaires), mais pas trop non-plus, afin de poursuivre un voyage sans gros temps morts.

 

 Final Fantasy X m'a aussi beaucoup ému (je me ratrappe un peu vis à vis de mon article précédent :o) ). Jeu couloir par excellence (et lui, avec sa carte et ses chemins bien tracés, ne les cache pas), il en reste qu'on vivant les aventures de Tidus et ses compagnons, curieusement, cette sensation de voyager naît. Parce qu'on évolue de manière différente (marche, bateau) dans des environnements qui sont différents, qui proposent des ennemis différents et des personnages différents. FF X a aussi eu la bonne idée de laisser des personnages secondaires récurrents, comme cette Invokeuse encore novice, ce vieil érudit qui nous parle du monde de Spira... Il y a aussi des personnages nouveaux  qu'on rencontre tardivement, et d'autres qu'on perd en cours de route (Luzzu/Gatta...)... On a la sensation de vivre quelque chose, de ne pas maîtriser un univers, mais juste de fairepartie de cet univers, de n'être qu'un élément qui le compose. A titre de comparaison, dans Assassin's Creed, la ville n'a pas de secret pour nous, elle ne nous résiste pas, les ennemis non plus, ce qui peut atténuer cette envie d'en apprendre plus sur l'univers dans lequel on évolue.

 Mais qu'il s'agisse d'Okami, de Final Fantasy X ou d'autres que je n'ai pas mentionné, quel est le point commun entre ces jeux? Et bien dans un premier temps, dans chacun d'eux, le voyage est le noyau du scénario, voire du gameplay (là ça ne se vérifie pas toujours). Ensuite, le sentiment de nostalgie est rendu possible par la possibilité de pouvoir revenir en arrière. Ca semble ne relever que du détail, mais ça semble jouer un rôle très important.

 Si l'on compare Final Fantasy X et Final Fantasy XIII, deux jeux à couloir dans lesquels on voyage beaucoup, on se rendra compte que ce sentiment nostalgie s'éveille plus dans le X, car même si le jeu ne l'encourage pas, la plupart du temps, le joueur peut retourner en arrière. Il n'y a qu'à voir le trajet entre la ville de Luca et l'arrivée au Sélénos, où l'on emprunte un shoopuf : entre ces deux points, la route n'est pas si longue que ça, mais nous semble vraiment l'être, car d'une part, entre la route des Mycorocs, le temple de Djose, la route de Mi'ihen... le contraste des environnements est flagrant ; et d'autre part, ce n'est pas un trajet qu'on effectue ordinairement d'une seule traite. Entre ces dexu parties du monde, combien de fois avons-nous éteint la console? Combien de jours réels se sont écoulés? Après tout, même dans le temps du jeu, ce la peut se compter en dizaines d'heures... Et si l'on reviens sur nos pas, aux débuts de l'aventure, on reverra avec nostalgie cette ville de Luca où nous avions débarqué, où un monde sur lequel nous ne savions rien nous attendait encore. Chose rendue impossible dans FF XIII, où chaque arrivée dans un nouvel environnement conduit à la destruction de l'environnement précédent (le lac de crystal qui se brise...). J'aimerais juste terminer ce parapgraphe sur un petit coup de coeur personnel : car la musique joue évidemment un rôle primordial dans le voyage, en particulier lorsque la même reviens à plusieurs moments importants de l'aventure.https://www.youtube.com/watch?v=xShgYPOFCRo

Wandering de FF X est une vraie réussite. On l'entend la première fois lorsque Wakka nous conte la tragédie de son monde et de son rapport à Sin, à la fin de l'opération Mi'ihen, lorsque Lulu revoit un être cher dans l'Au-delà...

 

 Bref, on peut facilement vérifier ce qui a été dit plus haut avec un rapide contre-exemple : dans Assassin's Creed on ne voyage pas, car d'une part, l'utilisation d'un monde ouvert le permet donc peu, et d'autre part parce que les traversées d'une environnement à l'autre sont soit ellipsées, soit simplement fades : entre une traversée des montagnes avec De Vinci sur une charette, coursés par des cavaliers dans une séquence rail-shooter ; et des dialogues variés, recherchés, entre les personnages du groupe de Tidus dans une traversée plus calme de la route de Djose vers Guadosalam, j'ai personnellement fait mon choix : dans la première, le gameplay est inhabituel, a été créé exprès pour ce passage, il fait tâche, alors que dans la seconde, le gameplay est le même d'un bout à l'autre, la sensation de voyage est toujours présente.

 

 

 J'avais parlé de plusieurs formes de voyage, voici la seconde : c'est un voyage plus difficile à qualifier, plus de l'ordre de l'intellectuel, dans le sens où notre mentalités, nos visions elles-mêmes évoluent dans un environnement qui reste pourtant identique. En d'autres termes, on ne termine pas un jeu dans le même état d'esprit dans lequel on l'a commencé. Le héros n'avance plus physiquement, mais mentalement.

 C'est ainsi le cas de Silent Hill, et plus particulièrement de Silent Hill 2, où certes l'environnement ne change pas (la ville de Silent Hill), mais où le héros, lui, évolue sans cesse. Embrumées de mystères, les pensées de James Sunderland s'éclaircissent au fur et à mesure de son épopée, de son introspection. Il avoue des choses, se résigne, accepte certaines solutions et fait des choix qu'il n'aurait pas imaginé faire au début de l'aventure. Le seul problème étant ici que cette évolution est imposée. C'est plus le héros qui voyage que le joueur.

 Au contraire d'un jeu comme Braid, dans lequel peu de choses sont dites, ou alors de manière très métaphoriques, et c'est au joueur de faire sa propre conception des choses, sa propre interprétation de ce qu'il voit, de ce qu'il fait. Tout le long du jeu, le joueur pense bien faire en poursuivant cette Princesse, mais la fin lui montre à quel point fut son erreur. Et en renvoyant le joueur à l'écran titre juste après la fin du jeu, on nous fait dès lors bien comprendre que ces erreurs sont susceptibles d'être refaites. Si vos perceptions de l'histoire et du héros ont su évoluer au fil de l'aventure, à priori, vous ne recommencerez plus jamais le jeu dans un même état d'esprit.

 

 

 Quoi qu'il en soit, cette sensation de voyage, de nostalgie agréable semble donc prendre tout son sens lorsque la narration encadre l'avancée du joueur ; mais que tout dépend en réalité du type de voyage que l'on recherche. Si vous avez d'autres jeux en tête qui vous ont procuré ce sentiment que je me suis évertué à vous décrire dans ce texte et que je recherche activement en ce moment ; je vous en prie, faites donc signe. :p)