Enfant, je ne me souviens pas m'être posé une seule fois la question : « pourquoi joues-tu aux jeux vidéo ? ».
Cela coulait de source. Et quand bien même, la réponse aurait été évidente : « mais parce que ça me plaît ! ». Depuis, s'est forgée une véritable passion pour le medium dans son
ensemble, ses créateurs et les expériences qu'il propose inlassablement.
Mais, en 2011, à l'aube d'une nouvelle décennie d'amour du jeu vidéo, une
question me titille depuis de trop nombreux mois. Une question
légèrement différente de la première, la voici : « pourquoi joues-tu à CE jeu vidéo ? ».
Le joueur change avec le temps qui passe. Et le temps disponible pour
jouer diminue au fil des responsabilités... et des envies. Désormais, ma
réponse à cette question diffèrerait, radicalement.
« Il serait peut-être grand temps d'arrêter... ».

Alors, c'est la fin ?

Non, pas exactement. Même si le doute m'a douloureusement transpercé, il
n'est pas question pour moi d'arrêter, bêtement, de jouer aux jeux
vidéo. Il ne s'agit pas non plus d'un passage à vide, d'un écoeurement
passager ni même, pire, d'une soudaine aversion.
Parlons plutôt d'une prise de conscience : bon nombre de jeux auxquels j'ai joué
dernièrement ne me procurent plus véritablement de plaisir.

Et
pourtant, sur l'année 2010 qui vient de s'écouler, on trouve parmi ces « jeux joués sans joie » quelques titres qui suscitent un certain
engouement de la part joueurs et des professionnels.
En dehors du cas Final Fantasy XIII dont l'accueil fut assez mitigé et que je me suis forcé à terminer, je
n'ai pas non plus été particulièrement marqué par le très bon Darksiders (dont les mécaniques rappellent pourtant ma bien aimée saga des Zelda) ni par le récent Castlevania : Lords of Shadow (mélange entre quelques soupçons de puzzle et d'exploration avec une grosse dose de beat them all).
De la même manière, Silent Hill : Shattered Memories, salué par la critique (et conseillé amicalement par un certain bokurano), ne m'a
pas étreint au-delà d'une poignée d'heures. Ne parlons pas de Yakuza 3, auquel je n'ai pas souhaité jouer plus de quelques minutes... tout
simplement parce que finalement, je n'avais pas envie de me lancer dans
l'aventure rythmée par des quêtes / combats de rue / quêtes / histoire / combat de rue : pourtant j'avais joué aux précédents opus. De même,
j'ai volontairement fait l'impasse sur Bayonetta, Vanquish, God of War 3, GTA IV : Episodes from Liberty City ou même Assassin's Creed Brotherhood qui m'ont fait de l'oeil cette année...

Mais quoi de plus normal, me direz-vous, que de ne pas être attiré par des
titres de cette trempe si ce n'est tout simplement pas ma tasse de thé ? Eh bien je vous répondrais que, justement, ils figuraient encore il y a peu au sein des genres qui me donnaient,
pourtant, eux aussi, du plaisir. Surtout que d'un point de vue
strictement financier, il m'aurait été tout à fait acceptable de
succomber à leurs charmes pour « pas cher » : il n'y a qu'à constater
les coûts de ces derniers sur le marché d'importation anglais (neuf et
légal). Ainsi, la question de leur acquisition - pour une vingtaine
d'euros chacun - s'est posée de très nombreuses fois...
« Oui. Mais alors, il est où le problème ? »« J'y arrive ! Juste maintenant, là. Un peu plus bas. »

Envie et plaisir conjugués au même temps

Bien que le terme ne me plaise pas véritablement si l'on s'y réduit, le jeu
vidéo peut évidemment être qualifié de loisir. Il rentre dans cette
classification de manière assez simple : jouer aux jeux vidéo est un
moyen de passer un agréable moment sur notre temps libre.
Et les
(dizaines d')années se succédant, le temps libre devient une denrée bien plus rare qu'à l'époque des mercredis après-midi devant le Club
Dorothée. Et d'un autre coté, d'excellents jeux sortent régulièrement
sur le marché et se trouvent à portée de (mon) porte-monnaie.
C'est
justement ici que le dilemme du passionné apparaît, en tous cas, en ce
qui me concerne : dans certains cas, on fait rentrer dans une case «
temps libre » un jeu « excellent » parce qu'il « ne coûte pas très cher
».
Pourtant, le temps ne devrait pas être consommé négligemment. Faire passer le temps c'est aussi le consumer sans en avoir réellement conscience.
Tous les éléments sont pourtant bien réunis pour se fabriquer du plaisir ? Eh bien non, pas toujours.
C'est pourtant tout aussi évident que de ne pas céder à la tentation d'une
pâtisserie chaque jour de la semaine « par ce que l'on a un petit creux, que c'est bon et que l'on peut se le permettre ».

En effet, à quoi bon ? La pâtisserie en question finirait par lasser, et même si l'on
changeait à chaque fois de gâteau, le rituel risquerait de s'essouffler
pour se transformer en habitude inconsciente. Plaisir évaporé. Temps consumé.
Mais au fond, cette pâtisserie me fait-elle vraiment envie, ou réunit-elle
simplement les conditions de ma gourmande appropriation ? Le plaisir qui en découle est sans doute présent, mais le sera-t-il à chaque fois ?

Pour revenir au jeu vidéo, cette alchimie si particulière entre univers, genre, gameplay et sentiments/sensations qui fait que l'on aime véritablement un jeu,
cette recette miracle, elle, ne se provoque pas. Elle ne se fabrique pas artificiellement. Mais elle s'accueille, spontanément. Elle naît sans
doute d'une attente, ou bien, elle peut être le fruit d'une surprise au
moment de la découverte, mais cette alchimie n'apparaîtra pas par la
force. On ne se force pas à passer un moment agréable : le plaisir
s'évanouirait en même temps que disparaîtrait le divertissement.

Mais alors, comment savoir si l'on fait fausse route ? Comment déterminer si l'on n'achète pas un jeu uniquement pour le plaisir de le « consommer » plutôt que pour l'envie de le déguster ?
Peut-être en se posant la bonne question : « en ai-je vraiment envie ? »
Et surtout, en n'ayant à aucun moment peur de répondre : « non, je n'en n'ai pas véritablement envie ».
Alors comme tout apprentissage, il est malheureusement parfois nécessaire
d'essuyer les plâtres de la pratique pour aiguiser son ressenti : c'est
donc en jouant que l'on pourra se rendre compte, une dernière fois, si
une saga ou un genre tout entier n'ont finalement plus d'écho sur le
joueur que nous sommes (devenus). Et comme rien n'est définitif, il
n'est pas interdit de penser qu'un genre délaissé puisse à nouveau nous
rendre « heureux », un jour ou l'autre : la liberté de dire « non »
aujourd'hui est aussi la même qui pourra nous faire dire « oui » demain.

Cette année, j'ai spontanément dit « oui » à Red Dead Redemption, Heavy Rain, Super Mario Galaxy 2 ou encore Donkey Kong Country Returns - tout récemment... Un « oui » sans douter une seconde, avec un plaisir à chaque démarrage de la console, à chaque instant
passé manette en mains, et une envie d'y revenir sitôt l'écran éteint.
A l'évidence, c'est de cette alchimie là que j'ai fondamentalement envie.
Pourquoi s'évertuer à jouer, encore trop souvent, pour passer le temps plutôt que de tendre vers un idéal qui ne consisterait qu'à jouer avec
l'envie et la joie de ne recevoir en retour qu'un profond et limpide
plaisir ?

2011 : je(u) t'aime déjà

Au fil
des années, le nombre genres/séries auxquels je ne souhaite plus jouer
n'a cessé de croître. Pensant que cela allait se cantonner à l'exclusion des « jeux chronophages » (RPG, simulations sportives etc.), je n'ai pu que constater avec amertume que ce mal commençait aussi à toucher
d'autres genres que j'estimais encore sauvés par leur univers ou bien
leur rapport fun / durée de vie.
Ainsi, Prince of Persia (2008) m'avait attiré par son cell shading en m'abandonnant complètement par son gameplay ; Batman Arkham Asylum m'attirait pour l'inverse : son gameplay bien plus que par son univers qui ne me touche absolument pas ; et dans le tout récent Castlevania : Lords of Shadow, l'ambiance générale offerte par le voyage et la variété des
environnements n'a à elle seule pas suffit à me faire apprécier
l'excellent système de combat... tout simplement parce qu'à l'évidence :
je n'aime plus ça, combattre des monstres affreux avec un fouet.
Si
bien que les suites directes de ces jeux, et de tant d'autres, me
laisseront désormais de marbre lorsqu'elles sortiront : je n'ai pas
acheté le dernier Call of Duty Black Ops, lassé par l'expérience des deux précédents, idem pour Assassin's Creed Brotherhood, contenté par les deux premiers opus. Je passerais aussi mon chemin pour le sanglant God of War 3 - que j'avais pourtant prévu d'acheter en gamme Platinum... et la liste serait encore longue.

C'est en établissant ce genre de liste que l'on se prend à douter de la vigueur de sa propre passion.
La gangrène des titres délaissés va-t-elle se répandre à tout ce que j'aimais dans ce medium ?
Force est de constater que non.
L'offre est tellement diversifiée que je reste convaincu de trouver chaque
année des expériences qui réuniront les éléments pour reproduire
l'alchimie au coeur de ma quête. Et pour se rassurer, il n'y a qu'à constituer une seconde liste, ouverte, celle des titres dont on sent que l'expérience pourra se traduire en plaisir et en émotion :
The Last Guardian, Journey, Child of Eden, Team ICO Collection, Beyond Good & Evil (HD), Rayman Origins, Limbo (PS3 !), Kirby Au fil de l'aventure, Uncharted 3 : Drake's Deception, PixelJunk Shooter 2, Ninokuni, The Legend of Zelda : Skyward Sword, From Dust, ainsi que découvrir la 3DS ou la PSP 2, ou encore se laisser surprendre par Deus Ex Human Revolution, El Shaddaï, L.A. Noire ou bien Infamous 2.

Finalement, je ne souhaite plus désormais avoir à me poser la question « pourquoi joues-tu à CE jeu vidéo ? » qui impliquerait que le plaisir ne serait malheureusement pas au rendez-vous de l'envie.
Par contre, je désire ardemment, comme lorsque j'étais enfant, pouvoir de nouveau répondre à la question « pourquoi joues-tu aux jeux vidéo ? » par :
« Mais parce que ça me plaît ! ».
Tout simplement.

Article publié initialement sur le site Numericity.fr