L'arrivée et le succès des nouveaux périphériques
a fait chauffer les claviers. Tout d'abord la Wii, puis Move et
Kinect. Coup de gueule de Cyril Drevet, réponse du berger à la
bergère de la part d'AHL et très nombreuses réactions sur les forums et les blogs. A mon tour, maintenant que le plat est un peu
moins chaud, de me mettre à table.

Une histoire parallèle

L'évolution des deux mondes est très parallèle. Alexis Blanchet
brosse un tableau très exhaustif des liens qui se sont tissés entre
ces frères ennemis. Je vous laisse découvrir cela en lisant Des
pixels à Hollywood
si le cœur vous en dit. L'ouvrage est
intéressant, mais un peu aride (j'en ai déjà parlé ici). Mais
cette fois, c'est sur le plan technique que je voulais faire une
petite comparaison.

Le cinéma a commencé avec des images animées. Dit comme cela
c'est un peu trivial. Mais c'est la bête vérité. On aligne des
images avec des procédés plus ou moins ingénieux, on les fait
défiler. Le phénomène de persistance rétinienne et notre cerveau
font le reste : les images s'animent. Toute une série d'inventions
avec des noms se terminant en "scope" tentent de séduire le public.
C'est le cas du kinetoscope inventé par Edison. Pourquoi je parle de
ce procédé plutôt qu'un autre ? Le kinetoscope est installé dans
le monde entier à la fin du 19ème siècle dans des salles
spécialisées. Des salles qu'on trouve dans les fêtes foraines...
Vous me voyez venir ? Un peu comme les salles d'arcade. La compagnie
d'Edison aura son studio (de développement ?) de création pour
alimenter tous ces appareils.

Le cinématographe breveté en 1892 fera la gloire des frères
lumières. La naissance du cinéma est généralement associée à la
projection de leur premier film en 1895. Rassurez-vous, je ne vais
pas détailler l'histoire du cinéma jusqu'à nos jours, mais je vais
tout de même garder des lignes qui sont très facilement
superposables à nos passions. Au début l'invention fait des émules,
on filme un peu de tout, on commence à structurer un langage et les
codes qui vont former la discipline. Les sujets sont très souvent
purement illustratifs. Les vacances d'une famille royale, un combat
de boxe, la visite d'une ville. Mais il manque le son. Le cinéma
reste muet ou tout au plus habillé par des musiciens ou des
narrateurs en salle jusque dans les années 20. L'économie n'a pas
attendu pour se structurer autour de ce juteux marché et elle aura
d'ailleurs bien du mal à s'adapter à l'arrivée massive du parlant.
Vous en avez une amusante illustration dans le film Singing in the
Rain
.

Techniquement il manque encore au cinéma la couleur. Il y a bien
eu des mises en couleurs à la main et dès 1935 un long métrage en
Technicolor trichrome. Mais ce n'est que dans les années 60 qu'elle
s'impose réellement. Évidement depuis, la qualité graphique des
œuvres cinématographiques n'a cessé d'évoluer de façon
exponentielle. Le cinéma est passé au tout numérique et nos
enfants ne comprendront pas bien ce que viennent faire ces immenses
bobines de films sur ces immenses projecteurs. Après une première
tentative avortée, la 3D tente à nouveau de séduire les
spectateurs.

Les moyens de production ont changé. Il n'est plus question
d'avoir juste deux personnes pour tourner un film. Il faut quelqu'un
pour prendre le son, des techniciens pour s'occuper de l'étalonnage
vidéo, des effets spéciaux... Il faut des gens pour rédiger les
scénarios, pour gérer les relations avec la presse et les
critiques.

Le jeu vidéo fait son cinéma

L'évolution de l'histoire du jeu vidéo
est curieusement similaire à celle du cinéma. Il naît d'abord avec
les chercheurs qui s'essaient à utiliser des machines scientifiques
pour d'autres usages (oscilloscope, stations de calcul). Les jeux
vidéo envahissent d'abord les centres commerciaux et autres salles
de jeux avec des bornes qui ressemblent étrangement au principe du
kinétophone. Un hardware distribué pour lequel on va fournir un
contenu variable et renouvelé. Ce sont également de petites équipes
qui vont créer ces jeux au départ. Pas vraiment de catégories non
plus. De la même façon qu'on filmait tout et n'importe quoi, on
développe un peu tout et n'importe quoi. Les genres se créent.

Le cinéma est venu dans les foyers via
la télévision et les différents systèmes de projection (le Super
8
était là avant la VHS et sa guerre avec le betacam), les bornes
sont arrivées dans les foyers avec les premières consoles.
D'ailleurs, comme on vous promet le cinéma à la télévision, on
promet aux joueurs l'arcade à la maison. Le marché s'est évidement
structuré, le développement de jeux évolue. On cherche à utiliser
de grosses licences, il faut trouver des gens pour programmer, mais
aussi des graphistes, et des musiciens. La technique évolue vite.
Encore plus vite que pour le cinéma. A l'instar du parlant et de la
couleur dans les films, le support ludique passe à la qualité
sonore des CD et à la 3D pour ses graphismes. Il faut aussi des
sociétés tierces pour faire la promotion de ces titres et gérer
les relations presse.

Aujourd'hui, nous avons deux marchés
du divertissement qui sont encore très largement superposables dans
leur façon de produire leurs médias et de les distribuer. Nous
sommes passés à des équipes gigantesques pour les titres AAA, de
la même façon qu'on met des moyens énormes pour les plus gros
blockbusters. Pire, il n'y a parfois que l'interactivité du jeu
vidéo pour le différencier d'une production cinématographique
(Avatar, c'est tout de même 100% images de synthèse, du motion
capture et du doublage, tiens comme Heavy Rain les QTE en moins). A
côté de cela, on trouve des productions peut-être moins
ambitieuses, mais tout aussi intéressantes sur le plan ludique.
Pourquoi ce long exposé des similitudes entre l'évolution du cinéma
et le jeu vidéo ? Parce que les publics qui consomment sont
également superposables et que tant qu'il y aura des gens pour
acheter, il y aura des gens pour produire et en vivre.

Je ne vais pas mourir

Dans l'histoire du cinéma, comme dans
celle des jeux vidéo, on trouve aussi les mêmes angoisses. La
cassette VHS va tuer le cinéma. Le téléchargement va tuer le
cinéma. Le CD-ROM va tuer le jeu vidéo, le téléchargement va tuer
le jeu vidéo. Si les utilisations illégales de ces médias ne font
certainement pas du bien à ces marchés respectifs, force est de
constater que les deux meilleurs ennemis sont toujours présents et
se portent encore mieux qu'il y a 10 ans.

Le jeu vidéo s'est démocratisé. Au
même titre qu'un film peut être estampillé grand public, on met
maintenant l'étiquette "casual" et même simplement grand public. Dans
les podcasts de Gameblog on utilise le terme « lambda »
pour nommer ce type de joueur. Et ce joueur représente désormais
une part énorme de la clientèle. Il est donc bien normal que des
périphériques destinés à cette clientèle fleurisse au grand dam
de Cyril (pour les interfaces que cela génère pas pour les gens
:-)). Mais à côté de cela, on trouve tout un public cinéphile. Un
public qui en plus d'aller voir de temps en temps des grosses
productions vendues d'avance, va s'intéresser au cinéma d'auteur et
à des films qui peuvent porter des réflexions plus profondes et
toucher nos cœurs. Ce public fera plus attention à la mise en
scène, à la mise en lumière, au contexte général d'un univers
incarné par le film et à l'ambiance qui s'en dégage. Ce sont les
équivalents des hardcore gamers.

Je suis ce joueur. Je suis celui qui
décide de consommer et des grosses productions (Black Ops, Uncharted), mais aussi celui va aller vers des productions comme Braid ou Limbo. Je suis aussi celui qui va s'amuser comme un gamin
avec Wii sports et voir jouer tout sa famille dessus. Je suis celui
qui va passer des heures sur un jeu pour en explorer tous les
recoins. Je n'ai pas encore goûté au snack gaming sur iPhone (ni
son mon smartphone Androïd d'ailleurs). Pour l'instant, c'est une
chose que je me refuse à faire.

Tant que je suis en vie (envie ?) mes
jeux traditionnels avec un bon vieux paddle existeront. Et vous, quel
joueur êtes-vous pour que votre vision du jeu vidéo existe encore ?

Article issu du Blog Parallaxe