Ces
derniers temps, Nintendo était donc le gentil, voir le sauveur d'une industrie
condamnée! Non content d'être la seule survivante de l'époque ancestrale des
jeux vidéo, la firme japonaise a vite profité d'une image de résistante, de
défenseuse du vrai jeu contre l'envahisseur électronique et médiatique (Sony,
puis Microsoft et leur rouleau compresseur mainstream). Ces derniers se
battaient à coup de dollars, de technologies toujours plus couteuses,
d'exclusivités, de stars du cinéma, tandis ce que le petit père Nintendo, dans
sa petite usine comme on n'en fait plus, nous préparait avec amour du bon vrai
jeu intègre et pur. Mieux que ça, il risquait, il innovait, rénovait les
habitudes poussiéreuses pendant que la concurrence se bornait à de vulgaires
concours de bits.

 

La vulgarité du paraitre

Je
m'étais fendu d'un petit papier, avant la sortie de la DS, pour m'insurger
contre une idée que Nintendo allait nous imposer pour les 6 années suivantes.
Cette idée selon laquelle le jeu vidéo, tel qu'on le pratiquait, avec nos manettes
pleines de boutons disgracieux, était une vieille chose à moitié morte et
amorphe. Il fallait innover, à tout prix, sortir de ses habitudes, changer de
mode de contrôle. Car c'est ce mode de contrôle qui empêchait la nouveauté. Ma
théorie alors, qui ne m'a pas quitté, était que Nintendo ne faisait que fuir le
combat qu'ils avaient perdu contre la concurrence. Ce combat classique de la
puissance, de la représentation toujours plus impressionnante, de la forme ! Le
mot ignoble est lâché... Les consoles s'étaient grosso modo livrées à cette
bataille sans fin depuis des lustres. Nintendo s'y était d'ailleurs essayé avec
beaucoup d'ardeur, et d'efficacité, et c'est bien sur ce terrain que la SNES
avait enterré la Genesis jadis, exactement comme la Playstation le ferait avec
la Saturn la génération suivante. La console qui brillait le plus en vitrine
remportait la partie. Bien sur, ça n'était pas aussi simple. Il y avait aussi
les jeux, et ceux de Nintendo ont toujours étés très bons, mais culturellement,
c'est bien cette bataille des graphismes qui donnait le coup d'envoi à chaque
génération.

 

Puis
il y avait eu la GameCube, et Nintendo avait bien compris que les choses ne
seraient plus en sa faveur de ce côté là. Tout devenait trop cher, trop
compliqué, trop long à développer. Les concurrents avaient plus de moyens, le
jeu vidéo avait muri, s'était culturellement occidentalisé, était devenu plus
réaliste... Nintendo n'avait aucun intérêt, ni économique, ni stratégique,  à dépenser des fortunes dans des modèles
incroyables de Pokemon où un Hyriule plus vrai que nature... Ce terrain là,
Nintendo ne le maitrisait pas. Ils ont donc changé les règles à leur avantage.
Le discours du « Ho les graphismes vous savez, ça n'est pas tout, ce qui
change réellement, c'est l'innovation dans le mode de contrôle » était né.
Il leur permis de sortir une console portable très en retard sur sa
concurrente, mais plus fraiche dans ses possibilités, la NDS. C'est avec cet
objet très charmant que naquit le mythe de Nintendo sauveur. Sauveur car ils
osaient imposer des innovations qui seraient utilisées en masse par les
développeurs, renouvelant infiniment les expériences des joueurs, sauveur car
il disait stop à la course technologique, amenant la perspective de couts
réduits...

 

Validation d'une théorie

Au
final, bien sur, la NDS a été le succès historique que l'on connait, et
probablement la console la plus vendue de tous les temps. Les raisons ? Il y en
a plusieurs probablement, de l'émergence d'un marché casual basé sur des titres
massifs (Nintendogs, Animal Crossing, Brain Training...) à un réel phénomène de
société (et de mode) au Japon, probablement chez les étudiants et les enfants.
La DS lite est devenu l'objet à porter sur soi, les japonais faisaient la queue
des heures pour s'arracher une nouvelle couleur.. Je pense réellement qu'elle a
été, à un moment, un objet de mode, pure et simple. Mais ce qui nous intéresse,
c'est cette révolution dont on l'a vantée.

 

On
aura compris que les origines d'une telle politique dépassaient quelque peu la
conviction christique d'un créateur de jeu vidéo attaché à ses principes. Mais
il semble également que ses apports bénéfiques n'aient pas étés si clairs. En
terme d'expérience de jeu renouvelée, si les débuts de la consoles ont vu
naitre quelques petites perles originales, inhérentes à son interface (au
stylet rappelons le), et que de vieux genres en ont profité pour s'épanouir
(Layton, Phoenix Whright..), la plupart des gros jeux n'auront fait du stylet
qu'une utilisation très relative, voir encombrante. Pire encore, les promesses
initialement logiques de super  FPS au
stylet tombèrent vite à l'eau.

 

Au
niveau économique, certes, des éditeurs se sont fait beaucoup, beaucoup
d'argent, et en en dépensant très peu. Mais cet engouement pour les petits
budgets, et surtout pour le GRAND public, les grands mères, les petites filles,
les ménagères de moins de 50 ans, s'est révélé un éloignement du jeu vidéo plus
qu'un renouvellement. Tout le monde n'aura cessé de commenter, durant ces 6
années, la propension de Nintendo à changer de public. Plutôt qu'apporter au
jeu vidéo, la firme est simplement allait prospecter ailleurs, car Microsoft et
Sony lui avait piqué toute sa clientèle passée. C'est aussi simple que ça. Je
ne saurais dire quand la stratégie est née dans l'esprit des dirigeants. Le
design de la NDS autour d'un stylet, le développement des premiers gros hits
casuals... Tout ceci était-il le fruit d'une organisation précise ou des pistes
lancées un peu au hasard qui auraient fait mouche ?

 

Car
il existe maintenant un nouveau mythe sur Nintendo, tout aussi fragile que les
précédents. On voit dans la société un monstre rusé de marketing, toujours en
avance, si clairvoyant et inspiré. Le succès colossal de la WII, basé sur les
enseignements de la DS, est tout à fait exemplaire. La stratégie de Big N c'est
alors affutée diaboliquement. Refuser le combat graphique, changer le mode de
contrôle pour faire croire à la nouveauté, mais cette fois-ci, encore plus
fort, aller jusqu'à marketer l'engin dans la négation du jeu vidéo, pour mieux
le réinventer. Le génie de la WII a été de nier son appartenance au monde
vidéoludique, trop accaparé par les geeks trentenaires et les joueurs de fps
boutonneux, pour entrer de plain-pied dans ce nouvel eldorado qu'avait
découvert Nintendo avec la DS.

 

Du bienfaiteur au fossoyeur ?

Au
final, ma crainte de 2004, concernant le discours iconoclaste de Nintendo,
c'était avérée exacte. Je criais alors une chose très simple. Je crois
viscéralement que l'innovation du jeu vidéo peut, et doit d'abord venir du
papier, de l'idée, du travail, du code, du game design en somme... Il y a tant
à faire, tant d'idée à avoir, de concepts à trouver, d'histoires à raconter....
Comment nous faire croire que c'est un changement de mode de contrôle qui
rafraichira le tout. C'est une illusion, une trouvaille marketing pour se
différencier, et pire que ça, une tentative de reboot. Car en réalité, ce que
fait Nintendo, c'est réinventer le sel. C'est nous émerveiller devant cette
formidable interaction entre nos mains et l'écran. Le joueur ainsi bouche bée
devant la simple relation entre son poignet et un personnage fictionel se
retrouve comme en 1985. Il n'a pas réellement besoin des 25 années
d'approfondissement, d'innovation de gameplay, d'enrichissement culturel qu'ont
connu les jeux vidéo depuis. Il se contente de la satisfaction de son poignet.

 

Des
valeurs de Nintendo, il n'a donc jamais vraiment été question. Il semblerait
même que leurs grands principes de prix, d'autonomie et d'innovation tant
vantés ne soient plus d'actualité avec la 3DS. Une nouvelle console très chère,
peu autonome, sans aucune trouvaille liée au gameplay, entièrement désignée
autour d'un gimmick on ne peut plus ostentatoire et superflu... On dirait
presque un changement radical de politique, mais il n'en est rien. La différence
est dans la position. Nintendo c'est enrichi comme jamais au cours des 5
dernières années, et est devenu très largement leader sur deux marchés.
Oubliées, la période de doute entre la N64 et la GC, la relégation à la
troisième place, les remises en questions... Les gens de Nintendo n'ont plus
besoin de s'inventer une cause, des principes, un idéal... Ils n'ont plus
besoin de prendre de risque. Ils n'ont plus non plus besoin de jouer les
gentils! C'est très frappant ces derniers jours, avec la 3DS, mais aussi avec
des annonces surprenantes concernant, par exemple, la non localisation de The
Last Story, probablement le plus gros rpg jamais sorti sur WII. Ils avaient
déjà commencé à ignorer les gamers dans leurs conférences de presse. Ils
s'embarrassent de moins en moins de politesses hypocrites.

 

Mais
la 3DS révèle aussi une faiblesse. On a tant voulu croire que Nintendo
regorgeait d'idées géniales à n'en plus finir. La réalité est que la DS et la
WII sont toutes deux basées sur des technologies très utilisées et accessibles
pour leur époque. Nintendo n'aura eu le mérite que de se décider à les
utiliser, là où la concurrence était trop centrée sur l'amélioration bête et
méchante de son produit. Ca n'est rien d'autre qu'un bon coup sur l'échiquier.
Les autres ont joué tout droit, tandis que Nintendo a fait un pas de côté. Mais
maintenant que ce modèle de l'innovation à tout prix se voit couronné d'un
succès royal, il va se répandre aux adversaire, à Sony, à Microsoft (déjà avec
Kynect), à Apple bien évidemment. Et là, on le voit bien avec la 3DS, c'est
plus difficile. Cette fois-ci, les innovations (comme le gyroscope) ne sont
absolument pas pionnières. Elles sont même un peu vieillottes. Et Nintendo
semble un peu perdu. La 3D de cette nouvelle portable sera peut-être ce nouvel
objet illusoire qui attirera les foules, mais sinon, elle devra reposer sur ses
qualités de console, à armes égales avec les autres. Car c'est bien le souci de
la 3ds. Elle n'aura cette fois aucune différence pour éviter le combat contre une
éventuelle psp2 ou de prochains iphones. Le problème est simple : Nintendo a
fuit le ring pour éviter l'adversaire, mais il ne pourra pas éviter la
confrontation éternellement.

 

Heureusement,
le Nintendo développeur de jeu a été plus consistent ces dernières
années !