Tuer sans conséquence

Dans Grand Theft Auto 4, j'adore défoncer des motos au volant d'une voiture, voir le pauvre motard décoller brutalement dans les airs et se rabattre lourdement sur l'asphalte (ou sur ma bagnole). Ça en dérange certains, moi ça me grise. Mais ce que je préfère, et c'est une manoeuvre délicate dans la perversion vidéoludique, c'est voler la voiture d'un conducteur récalcitrant, attendre qu'il attrape la poignée du véhicule pour démarrer, rouler à une vitesse modérée pour le traîner sans qu'il lâche, le temps de le cogner contre un poteau ou un autre véhicule. C'est. Le. Pied.

Ce plaisir est totalement sain dans le sens où je n'aie d'une part j'avais eu de telles envies dans ma vie réelle, mais aussi parce que je sais que je ne fais de mal à personne. Ce ne sont que des amas de polygones, qui saignent. Mais en ferais-je autant si, toujours dans GTA4, une maman avec poussette traverserait la rue ? Imaginez la scène ; vous lui foncez dedans en bagnole, et quelque chose sort brutalement de la poussette pour s'écraser plus loin...

Le sens de la vie

Nous regardons des films où des centaines d'anonymes meurent pour notre plus grand plaisir. Die Hard se spécialise dans la mort de terroristes. La mort, dans ces films-là, n'a pas de sens, elle fait partie du spectacle. Les mises à mort sont divertissantes, et inventives.

À côté de ça, il y a des films où le meurtre fait froid dans le dos. Les scènes de tuerie dans le film Zodiac de David Fincher sont redoutables d'efficacité, à peu de frais. Qui meurt ? des gens comme vous et moi, des inconnus, mais surtout, avant tout, des victimes, des gens qui n'ont rien demandé à personne.

Les limites de notre sympathie

Dans le jeu vidéo, chaque fois que j'ai incarné un salaud, il avait ses raisons. On applaudit presque lorsque Kratos massacre des innocents, car c'est "bad-ass", ça fait partie du personnage, ça sort de l'ordinaire. Avec Niko Bellic et John Marston, on n'y fait même pas attention, parce que le jeu lui-même n'y accorde aucune importance. Quant aux autres qu'on tue, des criminels, tout cela nous semble encore une fois normal, non pas parce qu'on manque de morale, mais parce qu'on nous présente les choses ainsi. Je n'aborderai même pas les faux choix moraux d'un Infamous.

Dans les séries télé, c'est déjà moins évident. On trouve parfois des excuses à Tony Soprano, ou Vic Mackay, car on les voit vivre tout au long des épisodes, qu'il y a une logique derrière leurs parcours. On comprend, à défaut d'excuser. Sauf que, quand même, ils ont de temps à autres des actes gratuits qui nous répugnent. Pour les quelques séries criminelles de ce calibre que j'ai pu suivre, ce sont toujours des innocents qui trinquent. Sans spoiler, le premier à tomber dans la Strike Team, c'est celui qui le mérite le moins, tout comme, dans le commissariat, les bavures de Mackay retombent sur des policiers qui n'ont rien fait. La survie d'une ordure se fait au détriment de bons éléments.

Un vrai salaud !

A-t-on déjà incarné un véritable salaud dans un jeu vidéo ? Un personnage avec lequel on n'est pas du tout d'accord ? Moi non. Après, n'ayant pas joué à tout, je ne préfère pas m'avancer, mais selon mes connaissances du jeu vidéo, quand même solides, ça n'est jamais arrivé, si ce n'est dans de courts passages anecdotiques, ici et là.

Vous imaginez, jouer un criminel dans un TPS qui bute du monde juste pour le fric, buter des flics qu'on nous présente comme de braves types qui font juste leur boulot ? Sans qu'on nous justifie le salaud par une enfance malheureuse, une rébellion contre le système, un amour merveilleux pour une femme, pour nous prouver que, quand même, dans le fond il est humain (la bonne blague !). Non, un vrai salaud, comme y'en a tant dans la vie.

J'avais bien aimé, dans Shadow of The Colossus, le fait que pour une fois, l'agresseur ce soit nous. Ça a changé la donne, d'abord par notre rapport au héros et au jeu, mais aussi par rapport à l'univers. Ici, les colosses ne nous attendaient pas sur leurs gardes, prêts à en découdre, comme les boss de God of War. C'est peut-être là la plus grande qualité de SotC, la remise en question des motivations du héros.

Dans les jeux vidéo violents, l'agresseur, c'est toujours nous, mais on déguise ce fait-là. La plupart du temps on joue un héros qui part en guerre contre les vilains, des fois on se rend compte à la fin qu'en fait c'est nous le méchant (plus pour le coup de théâtre final qu'autre chose), mais comme ça on a pu tranquillement buter tout le monde sans se poser de questions.

Faire réfléchir le joueur ? Et puis quoi encore !

Pourquoi c'est toujours notre allié le traître à la fin, et pas nous ? Parce qu'on n'aurait pas envie de jouer un personnage pareil (et donc c'est pas vendeur) ? Parce que le jeu vidéo n'ose pas encore arpenter des territoires potentiellement polémiques (ça, ça fait vendre) ? Vous imaginez, un jeu où on sait dès le départ qu'on va planter nos camarades ? Où on travaille sans cesse dans leur dos ? Une sorte de Splinter Cell Double Agent, mais où on sabote les projets des gentils, des projets humanitaires, par exemple.

Le but, dans ce désir d'incarner un salaud, ce n'est pas de vouloir faire réfléchir le joueur sur la conséquence de ses actes (on reste dans le virtuel, hein, faut pas pousser), mais de lui proposer des aventures où son implication sera forcément différente, bousculée, nouvelle. On ne jouerait pas pour les mêmes raisons, et surtout, on donnerait un sens à la mort, aussi virtuelle soit-elle. 

Quand on me demande dans Grand Theft Auto 4 si oui ou non je veux buter ce criminel, honnêtement je m'en fiche complètement, je n'ai aucune espèce de sympathie pour lui, et je le tue au couteau pour que ce soit plus long (niark !). Si Roman, le cousin de Niko Bellic nous avait trahi, et qu'on avait le choix...