Les intouchables

Gustave Flaubert, tout en admirant Victor Hugo, trouvait les trames de ses romans grotesques, et disait des personnages qu'ils étaient des "bonhommes". Goncourt, sur le même thème, trouvait que les personnages de Hugo étaient tous des Hugos, donc des coquilles vides à travers lesquelles l'auteur s'exprimait.

Aujourd'hui, allez dire du mal d'un roman de Victor Hugo sur, par exemple, Amazon, et vous obtiendrez un florilège de commentaires dévastateurs. Au mieux, on vous traitera de débile illéttré (dans des termes certes plus châtiés à cause de la censure), au pire, un amazonien cultivé vous prendra en pitié du haut de sa richesse intellectuelle. Et plus votre commentaire sera argumenté, plus ces forces contraires seront vives.

Pourquoi ? C'est très simple ; il existe des intouchables, des produits incriticables. Hugo, en passant les siècles, a obtenu l'immunité éternelle ! Penser contre, c'est forcément faire aveu de sa faiblesse intellectuelle. Personnellement j'aime bien Hugo. Par contre Zola...

Trois types de pensées uniques

Ça peut paraître paradoxal, mais il y a plusieurs types de pensées uniques. Elles se ressemblent en fait sur l'essentiel ; la pensée unique tolère que vos goûts soient différents des siens, mais elle ne tolère pas que vous pensiez différamment.

Le sentimental ; le sentimental est celui qui prend ses goûts très au sérieux. Toute critique contre un produit qu'il aime devient par extension une attaque à son endroit. Alors si en plus vous argumentez...  Prenant tout au personnel, il va finir par vous juger moralement sur vos goûts et dégoûts et peu à peu ressentir pour vous une véritable haine. Déjà testé, et c'est très pénible !

Le bovin ; pour le bovin, la vie est simple. Ce qu'il aime est forcément bien, ce qu'il déteste est forcément nul. Lui, il ne pense pas. Tout lui apparaît avec évidence. Son assurance est invincible, et dès lors que vous pensez différemment de lui, il aura au coin des lèvres un sourire goguenard. On a tous un frère comme ça !

Le spécialiste ; de loin le pire. Le spécialiste va vous juger de haut. Si vous argumentez, il va vous noyer sous l'avalanche de ses connaissances. En gros, pour vous décrédibiliser, il va vous faire comprendre que vous ne connaissez rien, contrairement à lui qui sait tout. Il y a des spécialistes qui vous enrichissent de leur culture. Lui il vous écrase. En fait, le spécialiste vit un drame ; malgré son savoir encyclopédique, il ne pense pas par lui-même.

Ce qui en découle

Voilà pourquoi on n'ose pas toujours dire du mal d'un vieux film en noir et blanc qu'on a trouvé très chiant. Mais pire, c'est que des fois, on n'ose même pas en penser du mal, et on se dit alors qu'on est probablement "passé à côté", ou qu'on n'est pas assez cinéphile pour avoir un avis pertinent, ou pas assez lettré s'il s'agit d'un roman.

Cela nous empêche, ou cherche à nous empêcher, d'élaborer notre propre façon de penser, de percevoir, et avec nos critères, parce qu'on n'a comme pas le droit à l'erreur. Imaginez le drame ; se tromper sur l'évaluation de La Nuit du Chasseur !

Cela laisse aussi l'illusion que les oeuvres du passé sont toutes des chefs d'oeuvre, et qu'il faudrait, idéalement, toutes les aimer et toutes les découvrir. Ce qui est bien entendu complètement faux. On peut légitimement ne pas aimer Émile Zola ou Ernest Hemingway, et avoir des raisons solides. Au fond, chacun, avec son bagage intellectuel, et avec un minimum d'honnêteté, de rigueur, en plus d'un soupçon de mauvaise foi, a droit de construire ou déconstruitre un produit.

Pour les oeuvres récentes, la critique est plus facilement permise, car le temps ne les a pas encore marquées de son sceau "INTOUCHABLE". Mais il y a des exceptions terrifiantes. Pour anecdote, un critique de cinéma, pour avoir descendu "Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain" à sa sortie, a perdu toute crédibilité dans le milieu. Vous imaginez, voir sa carrière ruinée à cause d'un film populaire tout vert...

Il y a des fois où vous n'avez tout simplement pas le droit de ne pas aimer. Moi j'ai longtemps été l'ami qui "critique toujours tout, n'aime jamais rien, dit le contraire des autres pour se rendre intéressant". Ce n'est pas un drame, cela dit, mais ça peut devenir très vite fatigant. Maintenant je critique sur Internet.

Gameblog est à vous

J'aime bien écrire des articles et des tests sur Gameblog. Généralement ils sont bien accueillis. C'est le seul endroit du Net (quoique je ne surfe pas beaucoup) où je n'ai pas subi les foudres des penseurs uniques. Alors certains prennent mes tests un peu difficilement, mais toujours avec respect. Je continuerai donc à dire du mal de vos jeux préférés ! ^^