Alors, existe-t-il des solutions ou nous dirigeons nous vers
un marché dominé par les blockbusters lisses ?

Depuis quelques années, les
équipes de développement de jeux vidéo augmentent en taille de manière
considérable, augmentant par là même le coût de production des jeux dont
certains dépassent désormais la barre des 100 millions d'euros. Est-ce parce
que l'on produit des jeux plus longs qu'avant ? Certainement pas,
d'ailleurs les best-sellers de notre époque sont plutôt des jeux dont la durée
de vie du mode solo dépasse rarement la dizaine d'heure.

Ce qui a vraiment fait exploser
le budget de nos jeux, c'est plutôt la quantité et la qualité de ses assets
(des éléments) graphiques. La technologie évoluant, les moteurs 3D permettent
d'afficher plus de polygones et plus de textures de meilleure qualité qu'avant.
Du coup le nombre de graphistes 3D et 2D (pour les textures) ainsi que
d'animateurs a augmenté en conséquence.

Et malgré cela, on a quand même des
jeux généralement plus courts car le joueur actuel, plus vieux que le joueur
d'antan, a moins de temps pour jouer et préfèrera finir un jeu court et
intense. Notez que cela ne devrait pas être une excuse pour les studios qui
pourraient  fournir des missions bonus
par exemple, mais vu le coût de ce contenu qui ne serait pas joué par tout le
monde, ils vont désormais préférer les donner un peu plus tard sous forme de
DLC en vous faisant remettre la main au portefeuille.

Du coup, oui, on bénéficie
aujourd'hui de jeux de plus en plus beau, mais comme je l'ai dis en
introduction de cet article, la créativité, elle, est plutôt en déclin. Suffirait-il
d'augmenter le nombre de game designers de la même façon que le nombre de
graphistes pour régler le problème ?

Non, au final si on avait dû
réaliser un « Modern Warfare 2 » il y a 10 ans avec les technologies
de l'époque, le nombre de game designers aurait été le même.

Ce qui tue la créativité en
général de nos jours c'est la prise de risque qu'elle impose. Les jeux coûtant
cher, ils doivent s'assurer de se vendre en grosse quantité. Du coup on évite
de faire un flop avec un concept novateur qui pourrait ne pas être compris et
ne pas trouver son public. Au contraire, on essaye de toucher le public le plus
large possible, du coup on sort des produits lisses et formatés pour le
« mass market ».

La dématérialisation

Paradoxalement, grâce à l'essor
du marché dématérialisé, les développeurs peuvent désormais toucher une part
extrêmement plus importante des revenus engendrés par leurs jeux, ce qui
devrait venir aider à résoudre les problèmes précités ! Mais les premiers
à en profiter ne sont pas les gros studios qui se reposent encore beaucoup sur
les ventes matérialisés et qui n'osent pas encore vraiment miser sur la dématérialisation.
Ceux qui en profitent, ce sont les studios indépendants qui du coup ont souvent
fait l'actualité de ces derniers mois grâce à des jeux qui cette fois osaient
prendre des risques.

La dématérialisation serait donc
une solution a ce problème de coûts et de créativité ? C'est un début de
solution, oui, mais seule, le dématérialisé ne ferait que déplacer le problème.
C'est sûr, un studio de développement, si le choix est entre ses mains, prendra
certainement plus de risques et misera plus sur l'originalité que si c'est son
éditeur qui fait ce choix, mais il y a une limite à cette prise de risque quand
même.

Les bibliothèques partagées

Une autre solution, encore
extrêmement peu employée pourrait être le partage des ressources graphiques.
Actuellement pas mal de jeux utilisent des banques communes de sons. C'est
beaucoup moins coûteux pour les boites que de recréer à chaque fois ces sons et
au final le joueur n'est pas choqué si le son d'ouverture d'une porte est le
même dans plusieurs jeux.

On pourrait imaginer du coup
partager aussi des banques d'objets 3D, qui serait choqué dans 2 jeux réalistes
de voir les mêmes chaises ? Au final au cinéma on peut voire un même acteur
jouer un jedi dans un film de science fiction et un écrivain dans un film
comédie musicale.

Un simple changement de coupe de cheveux, de tenue et
l'interprétation de l'acteur suffisent à conserver la fameuse « suspension
of disbelief ». Il serait bien moins compliqué de changer la coupe d'un
modèle 3D, la couleur de ses yeux, sa taille et corpulence même pour qu'un
Shepard (Mass Effect 2) devienne un Starkiller (Force unleashed).

Et pourtant,
même les « figurants » du jeu vidéo tels les civils qui trainent dans
les rues sont souvent produits en interne. Combien de fois a-t-on dû modéliser
une Ferrari F40 pour des moteurs de jeu souvent identiques avec le même nombre
de polygones ou des villes entières comme New York ?

Gageons que c'est la jeunesse de
l'industrie qui fait que si peu de ressources soient pour le moment partagées,
après tout, il existait presque 1 moteur de rendu par jeu alors qu'aujourd'hui
on trouve de nombreuses boîtes qui travaillent sur du middleware et des moteurs
comme l'Unreal Engine ou le Cry Engine qui sont derrière de nombreux jeux.

 A nouveau cette solution ne résoudrait pas
tout à elle seule même si elle aiderait sûrement beaucoup à réduire les coûts
de production. Qui plus est, elle ne s'adapte pas à tous les jeux.

Fonctionnalités contre contenu.

Depuis le début de cet article,
j'explique à quel point le coût croissant lié à l'explosion du contenu est
néfaste pour la créativité et est donc devenu un peu la bête noire du game
designer. Du coup, il n'est pas étonnant que les game designers apportent aussi
leur solution au problème.

Etant spécialisé dans le domaine des
jeux online, j'avais envie de parler d'un jeu qui pour moi est un modèle
symbolisant ce que j'appelle le « MMO à fonctionnalité » et que
j'oppose au « MMO à contenu » qui lui est bien sûr représenté par
World of Warcraft. Ce jeu, c'est Eve Online, un MMO spatial développé par CCP,
un studio Islandais. Au final pas si médiatisé, il a pourtant trouvé son
publique depuis 7 ans déjà et compte plus d'un demi million d'abonnés.

La concurrence dans le monde du
MMO est rude et c'est un domaine qui a très vite évolué. L'analyser peut
permettre d'anticiper ce qui pourrait se produire aussi sur les autres marchés
du jeu vidéo. Hors, sur le marché du MMO, tout le monde sait qu'un ogre du nom
de WoW (World of Warcraft) est né il y a plus de 5 ans et qu'il s'est accaparé
seul la majorité du marché du MMO avec 12 millions d'abonnés au compteur.

Wow est vraiment un jeu basé sur
le contenu : Des milliers de modèles 3D donnent au monde sa richesse,
composent les armures que les joueurs exhibent pour prouver leur valeur et au
fur et à mesure des extensions et des updates c'est principalement le contenu
du jeu qui a évolué avec des nouveaux donjons, rempli de nouveau boss, encore
et encore.

Le cycle rencontré par un joueur
est au final très simple et répétitif. Une fois atteint le level maximum du jeu
en accomplissant des quêtes, le joueur doit farmer pour son équipement dans les
instances de donjons et de raid (je vais occulter ici le cycle du joueur pvp
qui lui farme battleground et arènes).

Le farming de raid est généralement
également très répétitif et ordonné : Il y a par exemple 4 donjons à
faire, qui sont de plus en plus compliqués mais qui apportent des récompenses
de plus en plus puissantes. Les joueurs refont encore et encore le premier
donjon jusqu'à le finir et avoir suffisamment d'équipement pour faire le donjon
suivant.

Pour garder ces joueurs, Blizzard
doit produire des nouveaux donjons plus compliqués et des équipements toujours
plus puissants par l'intermédiaire d'updates. Parfois, c'est sous forme
d'extension que ce nouveau contenu arrive et dès lors Blizzard augmente
également la limite maximum de level et rajoute une série de quêtes et de
nouvelles régions.

On est clairement dans de la
production massive de contenu. Le problème, c'est que la concurrence, envieuse
de grignoter des parts de marché, a souvent essayé d'attaquer Wow de front en
proposant son MMO WoW-like. Tentatives presque toujours vouées à l'échec malgré
un coût important de production. Et c'est normal, comment lutter face à un jeu
qui en plus de ces nombreuses années de développement et d'un budget de
production important a continué à développer massivement son contenu pendant
plus de 5 années d'exploitation ?

Des boîtes s'y frottent encore
aujourd'hui avec notamment Star Wars Old Republic de Bioware. Leur
espoir ? Un budget également faramineux pour essayer de rattraper son
retard côté contenu.

Et l'innovation dans tout
ça ? Apparemment elle n'est plus à attendre de Wow. Le jeu se
« casualise » et devient de plus en plus simple. Les nouvelles
fonctionnalités comme les modes héroïques ne sont en fait là que pour
rentabiliser encore plus le contenu produit.

Attention, je ne suis pas entrain
de dire que Wow est un mauvais jeu. Des jeux « blockbusters », pas
très innovant mais riches, il en faut comme il faut des gros films à effets
spéciaux au cinéma. Mais ce serait triste par contre qu'il n'existe plus que
ces fameux blockbusters et plus de « films ou de jeux d'auteurs ».

Heureusement, avec de bonnes
idées, on peut réussir sans disposer du budget d'Electronic Arts. Eve online
comme je le disais en introduction de ce chapitre est l'exemple même du jeu qui
ne se base pas que sur une production effrénée de contenu. C'est un jeu
intelligent, innovant, qui a chaque updates, lui, propose aux joueurs de
nouvelles fonctionnalités.

Ces fonctionnalités, comme par
exemple le fait que les joueurs peuvent désormais construire des bases
terrestres sur des planètes pour en extraire les ressources, n'agissent pas
comme un simple contenu que le joueur va consommer puis oublier comme un donjon
de WoW. Non,  elles se marient avec les
autres fonctionnalités du jeu, elles multiplient le nombre de possibilités du
joueur et créent ce qu'on appelle le « gameplay émergeant ».

Le
joueur vit sa vie dans l'univers d'Eve online et les actions qu'il entreprend,
guidées par ses objectifs personnels (devenir riche, conquérir un système
solaire, obtenir le monopole de vente dans une région, vivre de la chasse aux
pirates ou être un pirate, etc.), impactent souvent les autres joueurs de
manière directe ou indirecte (effet papillon). Les joueurs d'Eve online créent
leurs propres histoires grâce aux fonctionnalités fournies par CCP.

Si demain, Blizzard arrêtait de
fournir du contenu pour Wow, au bout de quelques mois, les gens arrêteraient de
jouer. Sur Eve, si le jeu ne bénéficiait plus de nouvelles updates, les joueurs
n'arrêteraient pas leur vie virtuelle et pourrait encore jouer longtemps avant
de se lasser du jeu.

Pour moi, Eve online est donc
véritablement un modèle à suivre, des MMO de son genre, on peut en faire des
centaines qui ne se ressembleront pas, apporteront chacun des autres façons de
jouer, une alchimie différente entre leurs fonctionnalités et ils seront moins
chers.  Qui plus est, ils impliquent bien
plus leurs joueurs socialement et intellectuellement et font plus appel à leur
créativité. Des valeurs qui correspondent certainement plus aux jeux vidéo
matures que l'on attend aujourd'hui.

 

Conclusion

Les professionnels du jeu vidéo
connaissent la règles des 3 C  (pour « Camera, Character,
Control »), il faut désormais compter avec une nouvelle règle des 3
C : « Contenu, Coût et Créativité ».

Ce challenge demande aux
équipes de bien réfléchir à leur production pour ne pas laisser s'envoler les
coûts liés aux contenus, ce qui nuirait presque obligatoirement à la créativité
à cause des risques sous-jacents.

De nombreuses techniques n'attendent qu'à
être développées, sûrement bien plus nombreuses que les 3 que j'ai abordé dans
cet article, à nous d'y veiller pour que la professionnalisation de l'industrie
et son poids économique croissant ne nous fasse pas regretter les débuts de
notre média préféré.