Le vocabulaire

Ce formatage commence par le vocabulaire. Aujourd'hui, sur la plupart des tests (si ce n'est tous), vous lisez régulièrement ces formules :

Un jeu rafraîchissant. Il manque ce je ne sais quoi. Une expérience poétique et mature. Un jeu permettant l'évasion. Final Fantasy truc : un excellent RPG, mais un mauvais Final Fantasy. Cet épisode renoue avec la mythologie de la saga, revient aux sources. Un jeu old-school.

L'idée n'est pas d'en faire une liste exhaustive, mais force est de constater que les mêmes formules reviennent sans cesse pour décrire des jeux pourtant très différents. Ce qui en résulte, c'est que nos impressions et notre perception du jeu vidéo deviennent approximatives, notre sens critique s'émousse, notre pensée n'est pas claire. Ce vocabulaire est celui de la facilité, tout le monde semble comprendre à demi-mot de quoi il s'agit, et au fond personne ne sait vraiment de quoi il est question.

Old-school devient le fourre-tout pour des jeux aux mécaniques rouillés autant que pour un jeu renouant, tout en les modernisant, avec les bonnes vieilles formules. Rafraîchissant... Difficile à cerner, mais souvent employé pour les jeux Nintendo... Mature ; il y aura du sexe et du sang dans un monde de gangsters invraisemblable.

Avec ce vocabulaire, on ne se mouille pas beaucoup.

Amusons-nous avec un exemple : Nos impressions sur Enslaved

Enslaved est un jeu aux graphismes rafraîchissants. Le jeu aborde des thèmes matures tel que l'esclavage et la robotisation. Si les phases de plateforme nous ont parues assistées, elles sont en revanche mises en valeur par une mise en scène cinématographique du meilleur effet.

Traduction : Enslaved a des graphismes colorés qui font mal aux yeux à cause d'un frame-rate à la ramasse et d'un aliasing de compétition. Bourrée de cinématiques spectaculairement inutiles, nous sommes en plus affublés d'un héros qui ne ressemble à rien et se bat contre des robots-ninja... ;_; La plateforme franchit un nouveau cap dans l'automatisation ; elle est télétubbisée. Poubelle !

Les notes et le "hype"

Le système de notation est lui aussi (mais cela depuis longtemps), approximatif. Nous savons tous qu'un jeu sous 14/20 (remarquable note à l'école que je n'ai pas atteint souvent) est en général à éviter, qu'entre 15 et 17, nous sommes dans une moyenne plus ou moins acceptable selon le produit, et qu'au-dessus trônent beaucoup de titres pas aussi formidables qu'on essaye de nous le faire croire.

La série des Prince of Persia sur la gen précédente, sympathique au demeurant, se retrouve ainsi sur la même marche de podium qu'un Shadow of the Colossus ou un God of War. Pourtant il y a quand même des fossés techniques, graphiques, artistiques, qui séparent ces grosses licences exclusives et une série plutôt moyenne.

Aujourd'hui, à en croire la presse, peut-être influencée par les campagnes marketing, nous avons des chefs d'oeuvre pratiquement tous les deux mois. Dans les faits, que se passe-t-il ? On nous parle de Mafia 2 durant des années, ne montrant que le meilleur. Ce qu'on appelle aujourd'hui le "hype" ne cesse de monter. Mafia 2, dans la tête des joueurs, devient GTA 4 en mieux, en plus beau, en plus complet, en mieux scénarisé.

La démo arrive enfin... et ce n'est pas que Mafia 2 est mauvais, mais que les attentes étaient si hautes que le soufflet ne peut que fatalement retomber. Je cite Mafia 2 car c'est une déception plutôt générale, mais personnellement, cette déception, je la ressens régulièrement.

La chute du ludisme

Je suis régulièrement déçu car il y a une chute du ludisme dans le jeu vidéo aujourd'hui. On automatise, on simplifie, on met des indices bien voyants partout, on ajoute des gros points faibles qui brillent sur un boss pour être sûr que l'expérience du joueur ne sera pas contrariée par la difficulté.

Car aujourd'hui on ne joue plus, on expérimente... La baisse de qualité du gameplay est censée être compensée par des cinématiques de plus en plus envahissantes. Même dans des titres comme God of War 3, on trouve des scènes de QTE complètement gratuites, pour en mettre plein la vue.

Pourtant, sur la génération précédente et celle d'avant, il existait des jeux scénarisés avec un gameplay digne de ce nom. Final Fantasy Tactics, Vagrant Story, la série des Silent Hill, Shadow of the Colossus, entre autres.

Aujourd'hui, il est comme élitiste de jouer à un jeu plat, qu'il faut faire pour son scénario, et sur lequel la plupart du temps on ne reviendra pas, car il ne possède aucune rejouabilité.

Le jeu vidéo devient ce qu'une certaine tranche de joueurs souhaitent depuis longtemps ; un média interractif. La manette ne sert plus à réaliser des exploits, elle sert de télécommande. Cet appauvrissement aux yeux de ces joueurs, paradoxalement, fait évoluer le jeu vidéo vers l'oeuvre d'art.

 Le jeu vidéo est-il un art ?

Il est amusant de constater que cette question hante les joueurs de plus en plus, alors que l'industrie est de moins en moins créative. Les jeux coûtant chers à produire, la prise de risques devient minimale, on copie la concurrence, on offre des jeux (comme le dernier Castlevania) qui sont des pots pourris de gameplay pour être certain de toucher un plus grand nombre de joueurs. On baisse la difficulté pour ne pas repousser les néophytes. On tombe dans le spectaculaire débile des blockbusters hollywoodiens.

La question de l'art se pose comme un besoin de reconnaissance. Il y a eu un podcast sur Gameblog, qui concluait par :  "Au fond, on s'en fout, que ce soit ou non de l'art". Pourtant la question a été posée, et traitée. Donc on ne s'en fout pas tant que cela.

Mais c'est surtout la pauvreté du discours qui est ahurissante. La plupart des joueurs qui veulent voir un art dans le jeu vidéo, n'ont pas de définition précise, ou personnelle, de l'art. Encore une fois, nous retrouvons des formules toutes faites qui sonnent creux, des préjugés qui servent d'arguments.

Pour conclure

Une véritable myopie nous touche, parce que les joueurs ont besoin de reconnaissance, et que pour solidifier leur position, le sens critique s'émousse sur leur loisir, leur passion, et qu'il fait place à un vocabulaire stérile et stéréotypé. Au moment où le jeu vidéo se perd dans sa séduction du grand public et sa baisse de ludisme, on l'applaudit bien fort, on ne veut voir que ses qualités, quitte, souvent, à les inventer.

Je vous invite à lire un article d'un gameblogien concernant John Marston, le héros de Red Dead Redemption. Qu'on soit ou non d'accord avec son point de vue (John Marston serait un héros assez invraisemblable), force est de constater que ce texte est solidement argumenté.

Pas une seule fois, l'auteur n'essaye de justifier que Red Dead Redemption est génial car il y a des références aux westerns, car on y critique l'Amérique, etc. Il ne s'attache qu'au jeu, il ne s'appuie que sur le jeu.

https://www.gameblog.fr/blogs/upselo/p_8545_red-dead-deception-john-marston

Il me semble que ce sens critique nous fait cruellement défaut aujourd'hui, et que notre perception émoussée encourage l'industrie à une politique de prudence, quand il lui faudrait une paire de couilles.