Bref, un piaf aussi sibyllin que cette prose qui aurait modestement pu s'appeler Chronique phocéenne et vidéoludique. Mais non.

Marseille est une cité pleine de surprises. Pleine de gabians, aussi - mais ça, vous êtes déjà au courant. Ce que vous ne saviez
peut-être pas, c'est qu'il existe dans la cité phocéenne d'autres drôles d'oiseaux. Thomas Demachy, par exemple, en fait partie. En installant
sa société - Indeego Games - à Marseille, ce jeune entrepreneur à la
tête d'un studio de jeu vidéo nous prouve une fois n'est pas coutume que cette ville n'a pas fini de nous surprendre.
Le gabian m'étonnera toujours. Espèce quasiment disparue au début du XXème siècle, sa population connaît depuis quelques décennies une progression spectaculaire, au point d'être parfois considérée comme une espèce
envahissante. Si le jeu vidéo indépendant n'a pas encore atteint de tels sommets, il est certain que sa médiatisation croissante et la
reconnaissance artistique progressive lui donnent des ailes. A tel point qu'il commence à faire son nid à Marseille !

Un dynamisme incarné dans ce dossier par Thomas Demachy, responsable de la société Indeego Games ; une structure qui vise à mettre en place une
plateforme de téléchargement dédiée aux jeux indépendants.

Thomas Demachy, bonjour. Vous êtes responsable de la
structure Indeego Games, qui vise à mettre en place une plate-forme de
téléchargement de jeux indépendants. Quelles sont les origines du
projet ?

A l'époque où je travaillais chez Titus, la société devait
faire face à de graves problèmes financiers. Il nous fallait de nouveaux concepts pour sortir de l'impasse et c'est justement à ce moment-là (en 2004) que l'émission La Nouvelle Star a fait son apparition sur le
petit écran. Je me suis dit qu'il serait intéressant de reprendre ce
concept en le transposant au marché du jeu vidéo. Pourquoi ne pas mettre en place un grand concours destiné aux jeunes développeurs, et
sélectionner la meilleure création afin de la produire.

Par ailleurs, j'étais également à l'époque enseignant à l'école de jeu
vidéo Supinfogame de Valenciennes, et je voyais chaque promo apporter
son lot de projets de fin d'année. Il faut savoir que ces étudiants ne
sont ni des programmeurs, ni des musiciens, ni des graphistes et de voir ce qu'ils arrivaient à créer en seulement un an et à force d'huile de
coude, cela me stupéfiait. Et puis j'ai aussi grandi à l'époque des
micro-ordinateurs, où dans les années 80 les passionnés d'informatique
s'improvisaient programmeurs dans leur garage.

Des gens comme Eric Chahi ou Frédéric Raynal sont représentatifs de cette époque. Ils faisaient tout, tout seuls !

Titus n'a malheureusement pas survécu à la crise du jeu vidéo français du
début des années 2000, mais moi je suis resté avec mon projet, et de fil en aiguille, Indeego Games est née de cette volonté de donner une
chance à de jeunes talents et de rendre à nouveau la programmation
disponible sans forcément travailler au sein de grosses sociétés. En
favorisant les échanges et la mutualisation des compétences et des
outils on rend la création aux créateurs.

En dehors de ces considérations culturelles, pourquoi avoir choisi de se centrer spécifiquement sur le jeu indépendant ?

C'est un positionnement marketing. Il faut vraiment comprendre
« indépendant » au sens de musique, cinéma indépendant c'est-à-dire une
collection de niche. D'un côté on a les gros éditeurs comme Electronic
Arts, Activision et Ubisoft qui sont bien installés sur le mainstream,
donc impossible d'entrer en concurrence avec eux et leurs blockbusters.
Et de l'autre côté on a le casual gaming, avec des jeux à l'univers peu
immersif, des règles très faciles à intégrer, des parties courtes ; mais là encore il y avait beaucoup d'acteurs sur ce marché alors que les
retombées commerciales sont assez faibles. Il faut vendre beaucoup de
jeux pour espérer rentabiliser un projet.

Je me suis dit qu'il devait y avoir quelque chose à faire entre les deux,
c'était le moment où l'on commençait à parler des jeux indépendants et
nous sommes partis sur une cible de joueurs entre 20 et 40 ans, qui sont nés avec le jeu vidéo et qui en ont un peu marre des Final Fantasy XIV, où certes les graphismes sont sublimes, l'approche est sympathique mais au bout d'un moment on tourne un peu en rond avec ce type de
productions.

Eric Viennot a récemment déclaré que Marseille allait devenir une place
incontournable du jeu vidéo. Qu'est-ce qui a bien pu lui faire dire ça ?

Ce qui a bien pu lui faire dire ça, c'est qu'il y vit et qu'il travaille à 100 mètres d'ici, au Pôle Média !

Cela n'a pas toujours été le cas. Son studio (Ndr : Lexis Numérique) est
basé à Paris et son implantation à Marseille est récente.

On a créé il y a maintenant trois ans avec Eric une association qui
s'appelle Game Sud, qui regroupe les professionnels du jeu vidéo en
région PACA et nous sommes convaincus qu'il y a ici tous les éléments
pour devenir une grande place. Il y a quelques années, ce sont les gens
du cinéma d'animation qui sont venus, avec notamment des studios
d'images de synthèse, comme celui de Pascal Rodon (Ndr : Action
Synthèse).

Et je lui un jour posé cette même question, pourquoi Marseille ? « Parce que c'est ici qu'il y a les meilleurs, en terme d'infographie 3D »,
m'avait-il répondu. Il y a un cadre de vie qui est somme toute agréable, le soleil bien sûr (Ndr : et les gabians ?) mais aussi un prix de
l'immobilier qui est globalement en dessous de celui pratiqué à Paris.

Et puis il y a de la volonté. Des talents.

Revenons sur Game Sud. Pourquoi avoir créé cette association ?

On avait tous envie de se rassembler, c'est certain. Et Eric Viennot est venu en disant :

« Attendez, il y a un truc que je comprends pas là. J'ai reçu, dans les locaux du
studio parisien, le CV d'un mec qui habite à 200 mètres de chez moi, à
Marseille. Ca va pas ». (Rires)

A ce propos, quels sont les principaux problèmes que vous rencontrez au sein de cette association ?

Il n'y a pour l'instant pas assez d'entreprises du secteur jeu vidéo
implantées ici pour que les gens viennent s'installer à Marseille. Ou y
rester, pour ce qui est de ceux qui en sont originaires. On a souvent
des jeunes qui nous avouent préférer s'installer à Paris, de peur de se
retrouver au sein d'une société trop fragile à Marseille. Travailler
dans la capitale permet de tourner plus facilement au sein des
différents studios bien implantés.
Du côté des entrepreneurs, c'est compliqué aussi car si s'installer à
Marseille est une idée séduisante sur le papier, dans les faits cela
signifie déplacer tout le staff depuis Paris, avec les difficultés que
cela peut engendrer pour les employés. Sans compter le coût d'un
déménagement et les risques d'une telle initiative.

On s'est donc retrouvé dans cette situation « de l'œuf ou de la poule » et nous avons défini un certain nombre d'actions pour en sortir et attirer davantage de professionnels du secteur à Marseille.

- Première action : faire connaître le jeu vidéo à Marseille et en région PACA, d'où ce que dit Eric Viennot, et je suis totalement d'accord avec lui.

- Deuxième action : la création d'une école de jeu vidéo. Marseille et le sud de la France doivent pouvoir former des professionnels du secteur,
ce qui répond au problème des entrepreneurs quant à la difficulté
d'embaucher des personnes sur place.

- Troisième action : inciter un grand studio à venir s'installer à
Marseille. Si l'on arrive à faire venir un studio d'une cinquantaine ou
d'une centaine de personnes, on pourra bénéficier de ces ressources
nécessaires au dynamisme d'un secteur, avoir des professionnels sur
place pour alimenter les besoins des entreprises qui hésiteraient à
franchir le pas.

La plate-forme Indeego Games est un projet à
dimension européenne que les Marseillais comptent bien défendre bec et
ongles, tant face à la concurrence qu'au piratage, qui n'épargne
malheureusement pas les jeux indépendants. Mais attention, le gabian
n'est pas un pigeon !

Récemment, le studio tchèque Amanita Design, à l'origine de l'excellent Machinarium, a déclaré que seulement 5 à 15% des possesseurs du jeu l'avaient
acheté. La plate-forme est-elle un moyen pour vous de lutter contre le
piratage, qui est un phénomène de masse sur PC ?

Absolument. La plate-forme a deux objectifs. Le premier de ces
objectifs est de rendre la crédibilité au travail des petits studios de
développement en protégeant leurs œuvres et en les distribuant. Il y a
une volonté sur Internet d'avoir accès gratuitement à la culture. Dans
la musique, un jeune peut s'enregistrer assez facilement, sans dépenser
une fortune pour proposer ses créations sur le web. Dans le jeu vidéo,
c'est plus compliqué, car on fabrique tout ; et les coûts de production - même pour un jeu indépendant - restent relativement élevés. Le piratage a toujours existé dans le secteur du jeu vidéo, car le jeu vidéo est
fatalement lié à l'informatique et aux bidouilleurs de tous poils.

Et l'autre objectif ?

Créer une communauté qui soit impliquée dans le développement de la
plateforme. Nous allons laisser aux internautes la possibilité de se
regrouper autour de genres ou de thématiques qui leur tiennent à cœur,
et à partir de ces petits groupes, nous allons leur suggérer de nous
dire quels jeux ils souhaiteraient avoir sur la plateforme. A terme,
l'enjeu serait d'une part pour les joueurs de faire remonter leurs
envies et leurs propositions et d'autre part, de donner aux développeurs les moyens et l'accompagnement nécessaire à leurs créations.

Notre ambition est d'installer le premier réseau social européen autour des
jeux indépendants. Des jeux que les joueurs ne parviendraient pas à
trouver sur d'autres plateformes, en l'occurrence. A Indeego, nous avons des contacts un peu partout dans le monde qui peuvent discuter avec les développeurs et essayer de récupérer les jeux afin de pouvoir les
distribuer et les mettre en avant sur la plate forme.

L'originalité et les concepts décalés font la force d'Indeego Games. Sur d'autres plates formes comme Steam, il existe également une offre de jeux indépendants mais ces derniers
sont écrasés sous le poids des blockbusters. Cela ne m'intéresse pas
d'en héberger. Nous ne nous sentons pas en concurrence directe avec
Steam ou d'autres, car ce que nous souhaitons proposer et mettre en
place est différent.

"Différent". Comme la mouette et le gabian. Et ça rime, en plus. Finalement, et plus sérieusement, Indeego Games est à l'image même d'un Marseille en pleine mutation, qui assume sa différence et son potentiel. A travers le
portrait de cette jeune société, j'ai souhaité mettre en avant
l'avant-gardisme, un aspect de la ville dont on parle étrangement peu,
chose qui m'a toujours posé question. Moi-même, je ne m'étais pas
imaginé un seul instant que des studios de jeux vidéo puissent être
installés à Marseille.

Obscurantisme de mon esprit ? Esprit de contradiction ? Contradiction marseillaise.
Oui, cette ville est pleine de contradictions, et c'est ce qui fait son
charme, justement.

Une chose est certaine : Marseille change.

Merci à Thomas Demachy et à l'équipe d'Indeego Games pour cet entretien.

Ah, sinon, un gabian c'est aussi un goéland leucophée. Mais « Des pixels et des goélands leucophées », avouez que c'eut été moins
sexy / accrocheur / marseillais (rayez les mentions inutiles).

Shenflo

Site officiel d'Indeego Games : www.indeegogames.com/

Article également publié sur le Marseille Bondy Blog.