Les illusions du temps

Ah, l'époque bénie de la Playstation. Final Fantasy VII, VIII, IX, Tactic, Chrono Cross, Grandia, Xenogear, Valkyrie Profile, Suikoden... N'en jetez plus. Comme beaucoup de joueurs de ma génération, c'est avec cette console que j'ai découvert le RPG, en la personne donc de Final Fantasy VII. D'autres vinrent, entretenant ma passion pour le genre. Mais si exceptionnels soient-ils, ils n'étaient pas parfaits, et je me mis à rêver. La technologie évoluait si vite ; les perspectives étaient immenses. Le monde de FFVIII comprenait en tout et pour tout huit villes. Chrono Cross contournait le problème en ne prenant pour cadre qu'un archipel isolé. Mais les RPG de demain simulerait des continents, des mondes entiers, avec leurs villages, leurs campagnes, leurs mégalopoles. Le pauvre villageois de Suikoden (si amusant à pousser),condamné à répéter ad vitam aeternam sa rengaine, avant de subir sans sourciller le pillage en règle de sa maison, deviendrait un PNJ à l'intelligence artificielle bluffante. Les quelques fins alternatives et quêtes annexes de Star Ocean deviendraient une aventure non-linéaire nous plaçant devant des choix cornéliens. J'arrivais à pleurer devant les amas de pixel de FFVI ; qu'est-ce qu ça allait être dans quelques années ! Mais ce qui était dû aux contraintes techniques de l'époque, où un mouvement et deux lignes de dialogues devaient symboliser une personne, trois écrans une ville, deux patelins un pays, sont devenus des poncifs indéboulonnables ; le symbole a effacé le signifié et existe par lui-même. On a abandonné la course au "réalisme" pour se contenter du genre tel qu'il était, tel qu'il fonctionnait. Le RPG n'était plus la simulation d'une aventure, où l'imagination suppléait si nécessaire à la technique. Le jeu de rôle sur console abandonnait totalement la philosophie de ses origines papiers et plateau pour exister en tant que tel. Comment alors, coupé de l'extérieur, pouvait-il ne pas se scléroser ? N'est-ce pas ce lien plus fort avec le jeu de rôle papier qui a "sauvé" le RPG occidental?

La tactique Final Fantasy

Le plus grand bouleversement de ces dernières années en matière de jeu de rôle est bien évidemment la fusion Squaresoft-Enix. Deux philosophies, deux approches différentes du RPG. Cette compagnie pèse d'un tel poids dans la destinée du genre, jusqu'à quel point la "squarisation" d'Enix est-elle responsable du visage qu'offre le RPG aujourd'hui ? Car à mes yeux c'est clairement le virage amorcé entre FFVII et FFVIII qui est à l'origine du RPG jap "type" d'aujourd'hui. Bien qu'excellent, FFVIII porte en lui les germes du mal : héros ados (écoliers même), fringues délirantes, ambiance parfois J-pop, sentiments stéréotypés, aventure sur des rails... On peut préférer Amano à Nomura, mais il est incontestable que le changement de génération a eu lieu. Inutile de préciser que Final Fantasy XIII tiendra plus de FFX que de FFXII, devenu mouton noir de la série malgré, ou plutôt à cause de son originalité. Où sont, aujourd'hui, les héritiers du RPG made in Enix ? Quelques années après la fusion, Star Ocean 4 est plus qu'en perte de vitesse, Tri-Ace quitte (provisoirement) le navire, le dernier Dragon Quest sort sur DS... Et avec l'explosion des coûts de production, difficile de compter sur les indépendants pour nous sortir un RPG du calibre, du moins en terme de production, d'un FFXIII.

L'histoire d'un phantasme

Le jeu vidéo reste une industrie, cependant, et la part du joueur, de l'acheteur est primordiale. Shadow Hearts est une série de RPG mature, drôle, originale ; s'il s'en était vendu des millions, les autres éditeurs lui auraient emboîtés le pas. Ce ne fut pas le cas. On peut accuser le marketing, la distribution, mais les chiffres sont là. Qui voudrait commercialiser Vagrant Story aujourd'hui ? C'est vers les plate-formes de téléchargement ou les portables qu'il faut dorénavant se tourner pour trouver des RPG de qualité, mis à part quelques pépites sur console de salon. On  trouve encore de très bons jeux de rôles, et pas seulement des remakes de vieilles gloires. Mais le jeu de rôle de mes rêves, le méga-blockbuster visuellement sublime, au monde cohérent et vivant, au scénario mature, intelligent, au gameplay original et aux mecaniques réalistes, celui-là semble plus loin que jamais. Car les seuls en mesure de le faire ont choisis une autre voie.