J'ai toujours trouvé pathétiques ceux qui écrivent un journal à notre époque. Maintenant, il y a les
enregistrements audio.
Je vais vous raconter mon histoire pendant que le tram me conduit
mollement à destination, je passe le temps.
Je n'ai pas peur, non... je n'ai pas peur... Je crois que j'ai
oublié cette sensation.

Vous croyez au Karma ? Pour moi c'est une évidence, j'ai déjà vécu ce genre d'expérience. Des songes dans lesquels je me retrouve seul
face à l'horreur, à tenter de survivre par tous les moyens. J'ai des
réminiscences : un manoir infesté de zombies ou une ville étouffée par
un épais brouillard. Peut-être en ai-je retiré une expérience, mais il
serait plus juste de le définir comme une certaine habitude. Je suis
Isaac Clarke et j'ai embarqué sur l'USG Ishimura. Alors que mes
collègues paniquaient, surpris par l'absence de vie dans le plus fiable
des vaisseaux miniers, au plus profond de moi se formait une intime
conviction : très bientôt, je serais le dernier humain à arpenter ce
vaisseau fantôme.

C'est sans surprise que je fus témoin de la mort de mes camarades.
C'est sans surprise que je me retrouvai nez à nez avec des créatures monstrueuses.
C'est sans surprise, que je me retrouvai coincé et sans moyen pour fuir ce cauchemar.

Pourtant, quelque chose me dérangeait, je n'avais pas d'arme !
Sans défense, je pris mes jambes à mon cou et je parvins à fuir dans un
ascenseur. Alors que je reprenais mon souffle, deux lames acérées
bloquèrent soudainement la porte. La gueule béante d'une monstrueuse
créature se mit à hurler dans ma direction. Mais je n'avais pas peur ...
je n'avais pas d'arme, alors j'étais sans crainte. Ce n'était pas encore le moment de combattre, il ne pourrait pas m'atteindre. Comme pour me
donner raison, la porte se referma aussitôt et écrasa littéralement la
créature qui me fit pitié. Qu'est-ce que ça pouvait bien être ? Des
Aliens ?
Sans doute une espèce peu évoluée, me disais-je en souriant, son
acte était du suicide pur et simple.

Je découvris les lieux, les bruits environnants et stressants, des
effets inquiétants de lumière, des ombres fuyantes... Tout était calculé pour donner aux entrailles de ce vaisseau, une angoissante présence !
L'endroit était parfait pour cette balade tortueuse que je me
promettais.
Cependant, le peu d'inquiétude qui me lancinait lorsque j'étais
désarmé se volatilisa dès l'acquisition de ma première arme. C'est sans
peine que mon Cutter Plasmas fît disparaitre les premiers germes de la
frayeur. J'analysais rapidement son fonctionnement, je l'imaginais
plutôt basique, une arme de seconde zone en attendant de trouver mieux.
Je m'émerveillai pourtant de ce que j'avais entre les mains : les lasers m'indiquaient qu'un simple tir en valait trois, et que je pouvais viser à l'horizontale ou à la verticale. Voilà qui était curieux et qui
m'interrogeait sur la nature de mes ennemis, j'avais entre les mains une arme de précision et j'avais déjà la sensation que j'allais devoir
faire preuve de plus de subtilité qu'un simple tir en pleine tête.
Et dans cet enfer de métal où chacun lutte pour survivre, je ne
sais pas si je devais en avoir honte, mais je n'attendais qu'une chose : trouver une créature... les bruits terrifiants étaient maintenant des
indices, les coins sombres devenaient une tanière éventuelle, les murs
de sang une curiosité du coin.

Dans ma raisonnable folie, entre le mépris de la mort et la curiosité,
j'explorai le chemin pavé de cadavres.
C'est alors, qu'au fond d'un couloir, je me retrouvai face à l'un
de ces monstres. Je l'attendais, je l'évaluais : il était étrangement
humain, un corps, deux jambes, une tête et deux faux à la place des
bras. Je n'avais qu'une idée en tête : vérifier ma petite théorie.
Quelques tirs dans la face, et celle-ci éclate... mais la tête ne
semblait pas manquer au corps puisqu'il continuait de s'approcher de
moi.
Je m'attendais à ça, je réagis en conséquence et le plasma à la
verticale, je tirais efficacement dans la jambe puis avant même qu'il ne tombe à terre, je reconfigurais mon arme. Maintenant à l'horizontale,
je visais le bras gauche en lançant à la créature mugissante : « essaye
de ramper maintenant ». L'horrible monstre a eu son compte et un petit
rire m'échappa, il faut donc les démembrer et trouver leur point faible, l'idée m'amuse.

Petit à petit, je retrouvais cette sensation primaire. Je devenais le
chasseur et je n'attendais plus qu'une chose, que mes proies me
surprennent. Et elles s'en sortaient plutôt bien, faisant preuve de
finesse dont je ne les aurais pas cru capables. J'ai vu une créature
feindre d'être en difficulté afin d'attirer mon attention et je me
retrouvais l'instant d'après encerclé par ses petites copines. Elles
utilisent la ruse, jouent avec le bruit, font mine de s'enfuir,
m'attaquent dans des endroits inattendus, profitent de leur grand
nombre. Ces monstres font preuve d'un esprit de ruche, une communauté
dont la civilisation m'échappe. En fait, j'en viendrais même à leur
concéder, que le sauvage dans cette histoire, c'est moi.

Mes manies revenaient, elles sont dangereuses et même stupides...
je ne supportais pas de gaspiller mes munitions, rater ma cible était
hors de question et je n'osais pas utiliser d'armes trop efficaces. Ce
n'était pas tant la peur de me retrouver confronté à une créature plus
puissante que les autres, j'aurais pu économiser pour ce genre
d'imprévu, mais au fond de moi je savais bien que j'étais maniaque...
juste maniaque. A moitié mort, ma santé en piteux état, ma respiration
s'accélérait et je commençais a boiter. Pourtant, me résoudre à utiliser une simple trousse de soin devenait une véritable lutte intérieure. Mon inventaire était rapidement saturé et je devais à contre-cœur
abandonner les munitions de trop ou les recharges de stase.
Si j'avais eu un canon plasma, je l'aurais troqué contre un
couteau.

Mais j'ai vite appris à mes dépends que le corps à corps est à
proscrire, peu efficace, aucun indice sur ce que j'infligeais à des
créatures qu'il faut démembrer et non cogner. Elles, au contraire, sont
d'une mortelle efficacité. J'ai même cru mourir... j'ai eu comme une
vision extrêmement gore et sauvage, le monstre séparait la tête de mon
corps et je me retrouvais totalement démembré et vidé de mon
hémoglobine. Heureusement, ce n'était qu'un cauchemar, je me suis
réveillé plus frustré que suant de peur devant une borne informatique
qui me proposait de sauvegarder... j'étais mal à l'aise, qu'est-ce que
cela pouvait signifier ? Que je n'étais qu'une vulgaire information
recyclable ?!

Alors que je prenais le chemin en direction du tram, j'aperçus
soudainement une de ces bêtes à terre, inerte... morte. Un frisson
parcourut mon corps et mon doigt appuyé sur la détente trembla indigné
devant cette misérable tactique.
Boom ! J'arrosais ce cadavre qui me prenait pour un abruti : « tes petites copines m'ont déjà fait le coup ». La créature se releva dans
un sursaut, son effet de surprise passé à la trappe, elle mourût dans
une râle. C'était bien la peine de faire la morte si c'est pour crever
aussi lamentablement. Je développais un humour grivois.

Vous savez ce qu'il y a de plus effrayant chez l'homme ? C'est
qu'il peut s'adapter à toutes les situations.
Pas une seconde, je n'ai cherché à savoir ce qui se passe ici.
Quand j'étais jeune, mon père me conta l'histoire d'un jeune homme qui
cherchait désespérément à ressentir la peur, le soit-disant héros tuait
les démons et décapitait les ogres. Mais il était le seul monstre dans
cette fable, incapable de comprendre la valeur de la vie, la sienne
comme celle des autres. Il jouait, c'est tout. Seule la peur pouvait le
libérer de son indifférence... Je n'ai pas peur, je vais avoir peur, je
dois avoir peur.

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