La difficulté dans le jeu vidéo. J'ai décidé de rebondir sur un débat de plus en plus fréquent - j'ai beaucoup lu là-dessus, beaucoup discuté et je pense qu'on l'aborde du mauvais angle...

La difficulté telle que je l'entends n'est pas votre ennemie. Elle est la conséquence des choix de design - ou de leur absence. Je ne parle pas de la difficulté brute - taper moins fort, prendre plus cher, grinding, aspect punitif des mécaniques du jeu - même si je suis également pour, ce n'est pas le plus intéressant à aborder. Allons au-delà des chiffres.

 

Le mot-clé est investissement - le second mot-clé est réflexion. C'est là que beaucoup se trompent :  il ne s'agit pas du tout de rendre le jeu vidéo élitiste et c'est l'extrême que citent toujours les défenseurs de l'accessibilité. Non, il s'agit de le rendre intelligent - dans le sens où il ne vous prenne pas pour un enfant ou pire, pour un idiot incapable de réfléchir par lui-même.

 

Remarque immédiate : il y a de la place sur le marché pour les jeux vidéos simples et accessibles. On en est tous adeptes à certains moments. Alors, fermons les yeux, prenons une grande respiration et oublions-les : maintenant que nous sommes immergés dans un délicieux bain de tolérance et que nous avons admis leur existence, passons à ce qui importe.

 

Autoguidage

 

Je vais abattre tout de suite mon meilleur exemple. World of Warcraft - ou comment suivre l'évolution du jeu vidéo sur une échelle de 10 ans.

Blizzard est toujours à la pointe, d'une manière ou d'une autre et quand ils piquent des idées, ils en font toujours quelque chose de plus derrière; et donc, ils n'ont pas inventé le MMO mais ils l'ont fait évolué. Sérieusement; et même au point d'aller influencer une branche entière de l'industrie - on y reviendra.

 

C'est d'actualité : l'épisode Nostalrius a rappelé à la communauté l'existence oubliée des serveurs privés; et pire ! Des serveurs Vanilla. En gros, des serveurs sur lesquels tourne la version originelle de WoW, datée de 2005 à 2007. Au milieu de la guerre civile qui sévit sur les forums US, on trouve quand même un débat intéressant : que valait Vanilla, dont tant de personnes sont si nostalgiques ?

Une partie d'entre vous rejette immédiatement la nostalgie. Grosse erreur : le sentiment en lui-même déforme la perception mais il n'est jamais basé sur rien... Revenons à la difficulté.

 

Vanilla était plus dur et plus long - le rythme était lent, les mobs tapaient plus fort et venaient nettement plus nombreux. Nos possibilités étaient réduites. Certes - mais comme je le disais en préambule, ce n'est pas ce que je veux vous exposer.

Prenons les quêtes, soit 80% de votre expérience de jeu avant d'atteindre le niveau maximum. Dans Vanilla, pas de grosses flèches sur la carte, pas de cercle rouge pour vous indiquer où se trouve l'objet à trouver, le monstre à tuer, la princesse à sauver. Seulement le texte de la quête, à lire en entier parce que souvent, le résumé proposé ne couvre pas grand-chose. Le texte vous donne le nom d'un lieu ou parfois seulement une indication : bref, il vous force à réfléchir, surtout si vous n'avez pas encore découvert le lieu en question parce que votre carte n'est pas complète. Vous comprenez où je veux en venir ?

 

Dans Vanilla, il ne s'agissait pas simplement d'aller tuer trois monstres. Ça ressemblait davantage à un jeu de piste, avec une part naturelle offerte à l'exploration, qu'à une bête mission à accomplir. Maintenant, constatez tout ce qui en découle :

> Vous vous appropriez le monde. Vous reliez un endroit à un nom, à une quête, à un événement, à des monstres au lieu de foncer dans le tas en suivant la flèche. Le lien joueur-monde, immensément important dans un RPG (et encore plus dans un MMO), se développe ainsi.

> Vous communiquez. Imaginez : vous ne trouvez pas l'endroit en question; les textes des quêtes sont flous, c'est arrivé à tout le monde plus d'une fois. À cette époque-là, pas de wiki, wowhead n'allait arriver que quelques années plus tard et on se retrouvait avec des sites amateurs où on disait tout et n'importe quoi. Résultat : les canaux de discussion étaient blindés, les gens parlaient entre eux. Sans parler des groupes pour donjons ou raid qui se constituaient par la parole... Le social n'est-il pas l'élément-clé du MMO ?

 

Et ainsi de suite mais ces deux points sont justement les plus gros reproches faits aux dernières extensions de WoW.

 

Donc vous voyez, n'est-ce pas ? Le jeu était plus dur parce qu'il fallait chercher par soi-même ou faire un effort en allant vers les autres, pas seulement parce que les mobs tapaient plus fort et qu'on portait des pagnes en cuir. La difficulté est une conséquence du système : leur effort sur l'accessibilité a ruiné toute la partie leveling et maintenant, ils axent tout sur le end-game. J'ai été hardcore, j'ai raidé jour et nuit pendant des années mais j'ai aussi été casual... Ne peut-on pas avoir les deux, comme à Vanilla ?

 

Mais là où WoW se rattrape sur le end-game, les jeux qu'il a influencé ne le peuvent pas. On parle de toute la branche des WRPG, qui déteint maintenant sur les JRPG (mon regard se pose sur FFXV). L'exploration y est forcée, les quêtes sont sans intérêt et l'attachement du joueur au monde, réduit. Et si vous appréciez malgré tout ces jeux, ces Dragon Age, Witcher & co, posez-vous quand même la question : est-ce que ça ne pourrait pas être encore mieux avec un peu de la "difficulté" que proposait Vanilla ?

 

Il n'y a pas d'élitisme dans ce que je viens d'exposer et 10 millions de joueurs participaient à l'expérience de leveling dans WoW - mais au lieu d'essayer de rendre le jeu plus accessible à tout prix, ne vaut-il pas mieux "forcer" le joueur à réfléchir ?

Ce qui me désole, c'est que ce n'était pas un choix de design de la part de Blizzard à l'origine. Tous les jeux fonctionnaient comme ça à l'époque : s'ils avaient eu vent des améliorations futures, ils les auraient appliquées directement, sans aucun doute. En simplifiant le jeu, on le "pense" trop, on le polit trop et on retire la part du joueur, la part d'initiative et d'imagination... 

 

 "Snake ? I've marked the targets on your iDroid."

 

Immersion

 

Ça fait déjà long - tellement de choses à dire sur WoW et encore beaucoup, beaucoup d'autres que ce seul article ne suffirait pas à mettre en lumière. Un autre exemple ?

 

Quand on pense difficulté, maintenant, on pense Dark Souls. À tort - en partie. La difficulté de Dark Souls ne vient pas seulement du fait que vous allez crever régulièrement en ratant une esquive. Pas mal de systèmes contraignent le joueur : le poids de l'équipement, le manque de raccourcis pour utiliser divers items ou sorts ou même l'absence d'un mode pause. Plus intéressant, le level design.

Dans les Souls, on a, au mieux, une vague indication de l'endroit où aller. En explorant (ou errant, plus vraisemblablement), on va tomber sur des zones où les ennemis sont trop forts pour nous et mourir. On va se perdre. Ce n'est pas une nouveauté, c'était déjà le cas dans les vieux Metroid, Castlevania & co (dont Souls est assez proche dans l'idée). On va essayer de se souvenir, de s'orienter : certains iront même jusqu'à prendre des notes ou faire des cartes sur papier. La difficulté, ici, c'est aussi le level design qui l'impose.

 

Je n'ai pas pris ces exemples par hasard. Est-ce qu'on parlait d'élitisme dans Super Metroid ou Symphony of the Night ? On jouait à ces jeux en étant gamin alors j’espère que non.

 

Ce sont des exemples théoriques mais j'aurais pu évoquer la disparition des puzzles dans des genres qui ont depuis bien changé (horreur, aventure...). Est-ce que vous pouvez imaginer l'équivalent d'un puzzle de Resident Evil à l'heure actuelle ? À l'heure des "expériences" cinématiques réalistes, un perso qui fait des va-et-vient entre deux objets du décor pendant que son maitre cherche à percer l'énigme ? Non, bien sûr, il faut toujours aller de l'avant et puis, diront beaucoup, ce n'était pas si intéressant. Si, justement ! C'était la moelle. C'était ce qui transformait le rythme du jeu en un vrai rythme, pas une succession d'action et de drama; c'était ce qui vous bloquait et vous forçait à réfléchir cinq minutes, même quand l'énigme était simple.

 

Bref

 

On a perdu beaucoup de ces choses avec le temps, dans la plupart des jeux en tout cas. On a poussé pour l'accessibilité alors que l'on aurait pas dû - la recherche de parts de marché, évidemment, mais aussi sans doute une volonté d'améliorer le produit alors qu'il était parfait à l'état brut. Il n'est pas question d'élitisme mais de design, de profondeur de jeu, de qualité de l'expérience.

Moi aussi, j'ai zappé le contenu des quêtes, honteusement tiré un trait sur toute une partie de la lore. Les développeurs le permettent mais est-ce que c'est de cette façon qu'on a envie de vivre l'expérience qu'ils nous proposent ? Je pense qu'ils méritent mieux. Je pense qu'on mérite mieux. On a acquis de mauvaises habitudes avec le temps mais on peut s'améliorer.

 

Il y a de la place pour tout : pour les jeux simples et les plus profonds. Les séries TV et leur drama facile ont leur place mais les romans aussi. Quand vous lisez un roman, l'auteur s'attend à ce que vous vous investissiez parce que toute la profondeur de son œuvre en dépend : c'est la même chose pour un jeu. Oubliez les dégâts réduits et la barre de pv plus grande du boss. L'investissement est la difficulté, la difficulté modèle notre façon d'être. Elle nous oblige, elle nous surprend : ce n'est pas une histoire de variables mais de réflexion.