La Retron 5. | Hyperkin

« Ils devraient peut-être mettre un message d'avertissement pour déconseiller la machine aux bourrins », tance un collègue hilare. Comment ça, bourrin ? On a forcé un peu, c'est vrai. Mais la console ne nous laissait pas d'autre choix, et vingt-quatre heures seulement après sa mise sous tension, voilà qu'elle ne répond déjà plus. Sur le papier, un rêve de nostalgique

Petit retour en arrière. La Retron 5 est une console rétro qui sera lancée le 12 décembre en France, au prix d'environ 160 ¤. Elle est attendue avec enthousiasme par toute une génération biberonnée au jeu vidéo dans les années 1980 et 1990. Et pour cause : elle permet de brancher ses jeux Nintendo, Super Nintendo et Megadrive et d'en profiter, en HD, sur une télé moderne.

Sur le papier, tout est réuni pour réussir cette petite performance : des ports pour chaque type de cartouche (à l'époque, les jeux ne tenaient pas encore sur des CD), des entrées pour connecter deux manettes de chaque type de console, un processeur qui convertit l'image reçue en 720p (la norme haute définition minimale), et surtout un câble HDMI, d'autant plus indispensable que les téléviseurs modernes font de plus en plus souvent l'impasse sur les connecteurs Péritel d'antan, reléguant les vieilles consoles à une retraite forcée.

La Retron 5 propose de jouer à ses cartouches d'antan sur télé en HD.La Retron 5 propose de jouer à ses cartouches d'antan sur télé en HD. | Hyperkin

Non contente de vous permettre de ressortir vos jeux d'époque, cette console va même un peu plus loin : elle accepte également les cartouches des différentes gammes de Game Boy, ainsi que les jeux Nintendo, Super Nintendo et Megadrive en versions américaine et japonaise, ce que les consoles d'origine refusaient catégoriquement.

Des problèmes très gênants

Une fois la console en main, il faut peu de temps pour déchanter. Passons sur certains choix étranges, comme celui de privilégier la Famicom (version japonaise de la première Nintendo) à la Master System (console Sega qui elle a été distribuée en Europe), ou l'impossibilité d'enfiler plusieurs jeux en même temps. Les problèmes les plus gênants sont ailleurs.

En dépit d'un prix très élevé pour un produit non officiel, la machine arbore une robe en plastique bas de gamme, la manette offre une ergonomie catastrophique, ses boutons font un cliquetis de jouet de foire, et les menus de la machine sont techniques et entièrement en anglais. Quant aux ports cartouches, ils sont trop larges et dénués de bouton d'éjection, obligeant à forcer pour insérer et retirer chaque jeu – quitte à prendre le risque d'en abîmer les broches à chaque fois.

La manette de la Retron 5 est inadaptée aux jeux 8 et 16-bits.La manette de la Retron 5 est inadaptée aux jeux 8 et 16-bits. | Hyperkin

Seconde déception, les fautes de conception sont légion. Elles relèvent pour la plupart du manque du plus élémentaire bon sens, à l'image de la manette, qui propose un stick analogique plutôt qu'une croix directionnelle pour se déplacer dans les jeux. Grave anachronisme : les sticks analogiques sont apparus dans la seconde moitié des années 1990, et se révèlent extrêmement imprécis sur des jeux en 2D à l'ancienne. Essayez donc de survivre à Super Bomberman avec une manette inadaptée : le retour de flammes est inévitable.

Malheureusement, là aussi, la console déçoit dans les détails. Elle n'accepte pas le multitap, un accessoire permettant de brancher jusqu'à cinq manettes Super Nintendo sur un seul port, et la configuration des contrôleurs n'est pas automatique : il faut perdre de fastidieuses minutes dans les menus à s'en charger, sans jamais être à l'abri de voir deux joueurs contrôler le même personnage.

Enfin, les réglages par défaut peuvent être déconcertants. Un filtre du plus mauvais effet transforme par exemple les amas de pixels d'antan en une bouillie de traits étrangements lissés. Le rendu est plus proche d'un dessin animé mal encré que du pixel art, l'esthétique anguleuse tellement caractéristique des jeux vidéo des années 1980.

Des promesses tenues...

Heureusement, un petit tour dans les menus permet de revenir à un affichage plus traditionnel – bandes noir et blanc sur les côtés pour le format 4/3 en plus, et lissage haute définition en bonus. Et là, dans ses meilleurs moments, la Retron 5 permet de revivre le charme d'une partie rétro dans des conditions optimales : depuis son canapé, entre amis, avec une qualité d'image et de son dignes de 2014.

Ce sont les moments où la Retron 5 réussit à tel point sa mission que l'on oublie son existence, pris que l'on est à éviter les assauts synchronisés d'un couple d'amis à Super Bomberman, ou à réapprendre l'art du dérapage dans Super Mario Kart pour mieux défier ses records d'antan.

En théorie, la Retron 5 lit de nombreux jeux d'antan.En théorie, la Retron 5 lit de nombreux jeux d'antan. | Hyperkin

« C'est dingue comme il est âpre. On l'a oublié aujourd'hui, mais c'était un jeu très dur ! », philosophe un ami soudain emporté par la magie de l'instant. Là, tout de suite, à cet exact instant, oui, la Retron 5 a réussi sa mission. Et l'on se prend à rêver, à l'installer durablement sous le meuble télé, trop fier d'annoncer à madame ou monsieur que plus aucune vieille console ne traînera.

Et puis, dès que madame ou monsieur a le dos tourné, il y a ce plaisir enfantin et coupable d'amasser sur la table basse, comme un trésor rouillé inestimable, sa précieuse collection de cartouches jaunies par le temps – Megaman 2Tic & Tac Rangers du risqueSuper Mario All-StarsThe Legend of Zelda : A Link to the Past, l'inoubliable Secret of Mana, convaincu qu'à leur tour elles prendront place dans la Retron 5. Erreur.

... une fois de temps en temps

Produit non officiel oblige, la console conçue par Hyperkin n'est pas aussi fiable qu'une machine Nintendo ou Sega d'époque, ni même n'affiche le même niveau de compatibilité. Ainsi, plusieurs jeux refusent tout simplement de se lancer, à l'image d'Astérix et le pouvoir des Dieux sur Megadrive, de la version japonaise de Mickey Magical World ou de Street Racer sur Super Nintendo – pourtant prêté par le distributeur français de la console. Rygan, sur Nintendo, et l'édition japonaise d'After Burner sur Famicom fonctionnent pourtant parfaitement.

L'écran affiche très souvent une erreur de chargement.L'écran affiche très souvent une erreur de chargement. | LeMonde.fr

Chaque tentative d'insérer un jeu ressemble ainsi à un jet de dés. Une fois sur deux, un déprimant « No cartridge inserted » (« pas de cartouche insérée ») vient sanctionner votre essai. Il suffit parfois de forcer un peu pour arriver enfin à ce qu'apparaisse à l'écran le titre du jeu, mais dans d'autres cas, rien n'y fait. Dans ces cas là, il n'y a d'autre possibilité que de retirer la cartouche pour la remplacer par une autre.

Il serait éventuellement possible de surpasser la déception si retirer la cartouche n'était pas en soi une épreuve de force, une sorte de lutte âpre entre l'homme et les crocs de la machine, et dont vous ne triompherez que de haute lutte. Dans notre cas, non sans ironie, Astérix a fini par se montrer plus fort que la Retron 5.

Au prix d'un pénible effort, la cartouche, en se débranchant enfin, a entraîné avec elle la plaque sur laquelle tous les autres ports cartouches étaient reliés. Faux contact général ; depuis, plus aucun jeu ne marche. Un petit tour sur les forums et les avis d'utilisateurs américains le confirmera : les exemplaires défectueux sont légion, les problèmes de ports cartouches récalcitrants épinglés par de nombreux joueurs, la compatibilité logicielle encore très imparfaite, et nos confrères du magazine JV ont même reçu une console ne s'allumant tout simplement pas.

La Retron 5, on aurait tellement aimé l'aimer. Il aurait suffi d'un bouton « éjection ». Ou mieux : à 160 ¤, qu'elle prenne la peine de marcher correctement. A défaut, un adaptateur Péritel-HDMI ou un tour sur l'émulateur intégré à la Wii U s'avèrent aujourd'hui des alternatives certes moins alléchantes, mais beaucoup plus fiables.

La note de Pixels :

Trois broches de prise Péritel sur 21

 

William Audureau 
Journaliste au Monde

Article repris du Monde.fr disponible à cette adresse