Ayant passé cinq années sur Rennes au début de ce millénaire et l'ayant quitté en 2007, je n'aurais pu, si je l'avais voulu, assister qu'à deux éditions du Stunfest dans la mesure où il a vu le jour en 2005. Mais trop occupé à valider des diplômes aussi pertinents qu'un Shoryu dans la garde, je liquidais mon temps entre deux lectures discursives et de fréquentes virées chez les bouquinistes du coin, qui répondent d'ailleurs toujours au poste place Sainte-Anne.Mon activité vidéoludique se résumait quant à elle à quelques rares parties sur Crash Team Racing. Avec un camarade de classe, nous révisions toutefois nos gammes piteuses sur un Street Fighter Ex plus Alpha envers lequel j'ai toujours eu un petit faible, malgré ses tares et ses nombreux détracteurs.

Le jeu vidéo n'était plus mon affaire. Ou du moins, plus encore...

Après un sevrage de quelques années et d'inutiles rencontres aux GA (gamers anonymes), j'ai définitivement replongé dans les affres du jeu vidéo. Mais trêve de souvenirs.

L'édition du Stunfest 2014 sera donc ma première.

Dimanche 4 mai. Levé à sept heures pour rendre visite au père. En terres finistériennes. Accompagné de ma chère et tendre. Après cinq heures de caisse, arrivée à Rennes. Dévoré un Subway. Trop fat. Pas pu le finir. Je m'en veux un peu de jeter le quignon de mon sandwich à la poubelle. Je me dis que je pourrais faire preuve de charité en l'offrant à un clochard qui doit bien traîner par là. Nous sommes à Rennes, après tout... Mais craignant que ce geste apparaisse comme une offense, je choisis de m'en débarrasser dans une poubelle.

Visite des Champs Libres et de son nouvel espace pour les jeunes permettant de jouer notamment à diverses consoles. Un petit bonheur pour les jeunes de la capitale de Bretagne, j'imagine. Cependant, ils n'ont toujours pas mis en place de prêt de jeu tant la législation demeure floue à ce niveau.

Le Stunfest s'offre à nous. Il s'expose dans l'imposante salle du Liberté pour la première fois, semble-t-il. Les billets ont bien été imprimés, puis soigneusement engouffrés dans le sac. Nous parvenons à remettre la main dessus. Un bon point pour nous.

On nous colle un bracelet rose fluo afin de valider notre entrée tout en nous laissant vaquer à notre guise entre et hors des murs du festival. L'ambiance bonne franquette saute aux yeux. Et rapidement aux narines. Cela me rappelle mes années fac et ses blocus interminables afin de manifester contre telle ou telle démarche gouvernementale(CPE j'écris ton nom).

Les couloirs sont gorgés de monde. Pas mal de types avec des sticks arcades sous les bras. Quelques dessins de Bastiens Vivès - entre autres - sont exposés.

Des consoles de la seconde génération de console sont jouables. A côté se tient le stand de l'éditeur Pix n'love.

Pendant que dans un coin certains esquintent leurs chevilles sur Dance Dance Revolution, d'autres s'excitent sur des jeux similaires sur lesquels il faut frapper sur des sphères à l'aide de ses mains. Pop n' Music.

Dans un couloir, les tables, jouxtées les unes aux autres, avaient amassé une masse de joueurs colossale.

Dix joueurs s'affrontent sur une partie de Bomberman et offrent un spectacle tout en suspense. Du jamais vu, en ce qui me concerne...

A côté, des joueurs s'écharpent sur N64 et Gamecube, les consoles de Nintendo étant encore les meilleurs pour jouer à plusieurs en écran splitté, on y trouve des aficionados de Mario Kart Double Dash ou encore de Super Smash Bros Melee. Plus loin, d'autres joueurs peut-être un peu moins dilettante conversent ensemble. Les sticks arcade sont posés négligemment sur des tables usées qui rappellent celles malmenées par les cancres. On se repose et on boit un coup entre deux phases de vesus fighting. Ca sent le mâle. Peau de banane sur téléviseur et gobelets délaissés. Le lieu prend des allures de squat, de fin de soirée. Ou de fin du monde.

A coté, deux jeunes rivalisent sur Windjammers, bijou de la Neo Geo. Secrètement, je les envie.

Plus loin encore, des bornes d'arcade sont exposées et quelques adolescents s'excitent sur des jeux de tirs cultes comme Time Crisis.

A l'étage, d'autres bornes sont alignées telle une ribambelle que l'on peut observer de l'extérieur du bâtiment, au travers des immenses baies vitrées de la salle de spectacle.

Nous assistons en direct à la mort d'Aerith lors d'un Superplay de Final Fantasy VII. Alors que le compteur affiche un peu moins de cinq heures de temps de jeu. Il y a dans ce passage du jeu une charge émotionnelle telle que lorsque Cloud et son équipée combattent Jenova, le Thème d'Aerith continue d'être joué, prolongeant la lancinance de cet instant dramatique.

Plus loin, un zig joue les équilibristes sur un jeu de skate.

A côté, c'est la salle principale. On y propose des superplays et des tournois. Bref, c'est définitivement là que les choses commencent. Les transats de la ville de Rennes (ceux utilisés notamment place de la mairie pour larver en mode farniente lors des journées caniculaires, c'est-à-dire deux fois par ans) sont disposées devant un écran géant retransmettant les prouesses de joueurs qui ne jouent plus réellement, à ce niveau.

Alors qu'une session éprouvante vient de s'achever sous les applaudissements de la foule, je vois Ken Bogard. Je jouis intérieurement de partager le même oxygène que ce type à qui je dois tant d'éclats de rire. Je n'ose l'approcher alors qu'il est en train de s'égosiller à commenter un match probablement retransmis sur le net.

Nous faisons le tour et arrivons dans la zone réservée aux tournois. Pour accéder à celle-ci, il faut se munir d'un badge spécial, afin de ne pas être trop nombreux et gêner ainsi les participants. La concentration est à son comble et la tension palpable. Que du Versus fighting. Le bonheur. Du Street, du KOF, du Soulcal, du Ultimate Marvel versus Capcom 3, et j'en passe.

J'y croise Yamato, de Gamekult. Je dégaine l'appareil photo. Je devine qu'il se laissera tirer le portrait, car, selon son propre aveu, c'est un bisounours. Hors, il ne peut pas m'envoyer chier, sous peine de quoi il pourrait être banni du paradis des bisounours. Il se plie donc à l'exercice en m'adressant un franc sourire ainsi que ses deux comparses présents sur le cliché.

Yamato prêt à joyeusement en découdre sur Ken le survivant.

De retour dans la partie consacrée aux superplays , j'observe le stand de Radio campus, station pour laquelle j'avais failli travailler. On m'avait proposé une matinale. Mais étant plus indécis que matinal, j'avais laissé filer l'opportunité. Sur une estrade, ils étaient quelques uns parmi lesquels j'ai cru reconnaître Karim Debbache.

Sur la scène principale, SPS, joueur asiatique, fait un superplay sur Ketsui. Superplay, le mot est faible. Le type ratiboise tout ce qui apparaît sur l'écran et évite les gerbes incessantes de missiles ennemis avec un rigorisme de chirurgien.

Avec ma douce nous nous posons dans les tribunes qui ont davantage l'habitude d'accueillir des spectateurs de Pascal Obispo que de jeux vidéo. Parmi eux, 2080, quelques rangs devant nous, reconnaissable entre cent grâce à ses lunettes blanches.

A l'unisson, nous applaudissons à chaque fois que SPS étale un boss. Je tente d'expliquer ce qui se passe à l'écran à ma douce qui ne voit dans ce feu d'artifice de pixel que d'esthétiques effets pyrotechniques. Au bout de cinq minutes, elle semble avoir compris que le but du petit vaisseau en bas de l'écran est d'éviter les assauts massifs de l'intelligence artificielle. Elle comprend un peu mieux pourquoi le reste de la salle est époustouflée et pourquoi nous sommes quelques centaines plantés devant un écran géant.

Ce à quoi nous assistons est exceptionnel.

Elle me fait remarquer que SPS tient son stick paume vers le haut, ce qui peut dérouter. On apprécie davantage encore la maestria avec laquelle ce joueur se déplace. Le spectacle est ahurissant.

Certaines choses, en ce monde, sont difficilement compréhensibles. Il y a un degré d'excellence qui confine parfois au surnaturel. Qu'il s'agisse de la chapelle Sixtine de Vinci ou de la bicyclette de Zlatan contre l'Allemagne, il faut bien admettre que certaines choses se situent hors de portée du commun de mortel. C'est cela que l'on appelle l'exceptionnel.

SPS parvient au quatrième niveau sans perdre de vie. Il continue son ouvrage, tel un Kasparov du stick. Les nuées de missiles deviennent telles que cela en est dégueulasse. Puis il perd une vie, puis deux... En tout, il a du trépasser quatre fois. Les spectateurs, eux, sont restés éberlués jusqu'à ce qu'il détruise le dernier boss sous un tonnerre d'applaudissement, occasionnant par là une standing ovation de la part de la moitié de la salle.

Lorsqu'il commentera ensuite sa performance, il se fendra d'un remerciement envers le public. La fameuse humilité nippone.

SPS après avoir terminé son run sur Ketsui

Ken Bogard a ensuite pris place sur l'estrade afin de commenter la finale de Super Street Fighter 2X opposant le français Balcork (Fei Long) au légendaire Justin Wong (Sagat). Bogard a beau avoir 'taunté' l'américain (qui ne pipe pas un mot de français) dans la langue de Molière, cela n'a eu aucun effet. Le match, ainsi que le tournoi, a été remporté par ce dernier, rendu célèbre par sa défaite face à Umehara Daigo sur 3.3 à l'EVO 2004.

Ecoeuré, Ken Bogard, non sans humour a évoqué un jeu de merde et tenté d'étouffer les applaudissements destinés à Wong. Mais Wong le téméraire a également brillé sur Ultimate versus Capcom 3. A un commentateur qui lui demandait, concernant son adversaire : « Can you beat him, but not too fast ? », l'americain répondit « Maybe. » avant de livrer un match serré contre le britannique 1upmiles. Wong a remporté le tournoi de ce jeu. Et là aussi, les applaudissements étaient de mise.

Justin Wong contre Momochi

Nous nous sommes éclipsés alors que le tournoi de Soulcalibur V faisait rage. Car il nous restait de la route à faire. Nous n'avons pas pu assister à la finale de Super Street Fighter IV AE et à la victoire de Luffy, qui fut vraisemblablement le point d'orgue venant conclure ce festival à merveille.

C'est probablement idiot, mais pendant quelques heures, je me suis presque senti moins seul. Cela est peut-être dû aussi au fait d'avoir aperçu un type ayant le même sac Atari que moi...

Toujours est-il qu'une fois arrivé à bon port, j'ai pu me reposer dans les bras de Morphée, espérant revenir dans cet antre du bonheur. Je me suis endormi avec, telle une promesse de gamin, le bracelet rose toujours attaché autour de mon poignet.

Finale de Super Street Fighter IV Arcade Edition entre Justin Wong et Luffy