Je
crois que ce que j'aime le plus dans les jeux d'aventure « point &
click », mis à part bien évidemment le fait d'être transportée dans une
histoire et un univers intéressants, c'est de jouer avec l'inventaire.
Explorer les décors, trouver des objets, chercher comment les combiner
ou les utiliser... On peut dire, il me semble, que le gameplay
d'un jeu d'aventure se résume à deux choses : dialoguer avec des
personnages, et bricoler avec des items et des mécanismes
. Pour faire un jeu réussi, il faut que les deux axes soient au top. Des
dialogues piquants et bien écrits, des personnages crédibles, ça c'est
comme au cinéma ou dans les romans. Mais la partie bidouillage, ça c'est vraiment l'essence du jeu d'aventure. Ce n'est pas juste des éléments
de fun pour servir de faire-valoir à la narration ou des casse-têtes
pour fabriquer de la durée de vie : non, quand c'est bien fait, cela
fait partie intégrante de la narration et de la mise en scène de
l'univers (comme dans Alice is dead 2 ci-dessous, un petit jeu, mais vraiment pas mal).

Comme je le disais il y a peu, chaque jeu possède
son propre « code », qui détermine l'horizon d'attente du
joueur-enquêteur. Tel jeu me demande de trouver un mot de passe chiffré : ok, les chiffres en question doivent se trouver notés quelque part dans la même pièce. Tel autre jeu affiche les symboles des forces
élémentaires, et j'ai dans mon inventaire des pierres bleue, blanche,
rouge et verte : ok, il faut associer chaque couleur à son élément. Dans les jeux bien faits, nul besoin d'explications, il faut donner
au joueur l'impression qu'il a deviné tout seul
, qu'il a décodé l'énigme par sa seule perspicacité.
Du coup, la contrainte est qu'un joueur moyen doit être capable d'en
venir à bout, sans prendre de notes ou assez peu, sans faire de maths
trop compliquées, sans avoir besoin de références culturelles trop
savantes. On obtient alors des résultats complètement anti-réalistes, et des situations dans lesquelles les secrets les plus compromettants sont gardés par des codes faits de signes du zodiaque, d'associations de
couleurs ou notés sur des pense-bêtes éparpillés un peu partout. C'est
surtout le cas dans les jeux de type « Escape the room » où l'univers
est par définition réduit à une seule pièce, parfois un peu plus. Le
premier réflexe de l'habitué est toujours de regarder sous les meubles
et d'essayer de retourner chaque objet, à la recherche d'un indice - ou
de l'éternel tournevis. L'espace limité ne permet pas le développement
d'un background détaillé, mais généralement les bons jeux mettent en
avant une thématique qui donne un indice sur le type de code à quoi
s'attendre : par exemple l'un demandera de jouer sur l'allumage de différentes sources de lumière pour révéler des éléments,
l'autre demandera de collecter une série d'items ou encore de réparer
une machine.

Dans les grands jeux d'aventure, on peut au contraire se permettre de baser les énigmes sur un ensemble
d'informations plus complexes, voire sur tout une culture. Pour ne pas
larguer le joueur en route, il convient alors d'intégrer ces
éléments de culture directement dans le jeu
, et de les rendre
consultables. C'est ce qui avait été brillamment fait par exemple dans Myst, où la lecture de différents livres illustrés de schémas était
nécessaires pour comprendre le fonctionnement des étranges machineries
rencontrées, ou encore dans Gabriel Knight 3, où on disposait
d'un ordinateur dans le jeu lui-même, capable d'effectuer des recherches sur une vaste série de mots-clefs.

Après bien sûr, on peut aussi décider de faire exprès de tromper les attentes du joueur, et de prévoir des
objets complètement saugrenus et hors de propos, ou complètement
mystérieux. Je pense par exemple à Nikopol, qui reposait sur des énigmes vraiment fumeuses et décalées, ce qui
allait très bien avec un contexte de superstitions mi-sectaires,
mi-politiques, saupoudrées de culture pop futuro-ringarde. Ou aussi aux
items utilisés de façon absurde pour un effet comique, réussi (dans Monkey Island avec le fameux poulet-poulie) ou raté (dans Runaway, avec la plupart des actions stupides soit-disant marrantes - oui, je
n'aime pas ce jeu). Tout le plaisir repose alors sur
l'expérimentation
un peu au pif : que se passe-t-il si je
combine le canard en plastique avec la pince et la corde à linge ?
(généralement rien, sauf si on est dans The Longest Journey).
Le jeu inspiré de Jules Verne, Voyage au coeur de la Lune, a
très bien réussi cela en s'inspirant du contexte de l'exploration
scientifique : le joueur, parvenu sur la lune, peut collecter toutes
sortes de substances et tenter de les mélanger, de les cuire, etc afin
de fabriquer différentes potions aux effets inattendus. J'avais adoré le sentiment de liberté et d'immersion que cela procurait !

Mais on peut aussi décider que finalement tout ça importe peu, ce qui
est drôle c'est de trouver des objets et de résoudre des puzzles avec un fond narratif suffisamment intéressant. Et voilà qu'apparaissent les
jeux de type « hidden objects » ! Il s'agit en effet de cliquer dans un
décor fixe tout une liste d'objets, sans aucun rapport avec l'histoire
ni avec quoi que ce soit. On a donc généralement de superbes vues d'un
incroyable désordre, assez moches dans la plupart des jeux, mais parfois réellement inspirées et esthétiques dans d'autres. La série des Mystery Case Files est sûrement le meilleur exemple à ce jour (image de titre) et présente
des scènes de merdiers, certes, mais de merdiers délicieusement rétros
dans lesquels il faut trouver des robots, des bretzels, des fers à
cheval, des clochettes, et autres cuillers à miel. Tout cela finit par
nous mettre sur la piste du criminel, sans que l'on sache vraiment
comment. C'est une sorte de gameplay métaphorique ! On
cherche, on trouve, peu importe si on a cherché un bretzel pour trouver
une empreinte digitale.

C'est aussi ce qui fait le charme du
jeu, ce côté métaphorique c'est son essence-même (il suffit de penser
aux jeux traditionnels type échecs...). On a le même système de « suspension of disbelief » dans des jeux de stratégie ou un peu RPG : la résolution des phases de combat est
remplacée par une séquence de puzzle game
où l'on groupe des pions par
couleur, etc. , par exemple dans Might & Magic : Clash of
Heroes
: le joueur accepte de passer par une étape complètement non-réaliste mais sans rupture de l'immersion.

Il y a enfin un dernier type de jeux qui fait un usage intéressant de la recherche et de la manipulation
d'objets dans un contexte narratif, il s'agit des jeux
d'enquêtes
. Le plus emblématique est la série des Ace
Attorney
sur Nintendo DS, avec Phoenix Wright et Apollo Justice (le prochain doit sortir sous peu d'ailleurs). La seule
façon de faire progresser l'enquête et l'histoire, c'est de dégainer le
bon item au bon moment : la preuve qui montre que le suspect a menti, le témoignage qui disculpe votre client... Tout repose sur la collecte des
items et sur la gestion de ce précieux inventaire. C'est le jeu
d'aventure réduit à sa plus simple expression, mais quelle efficacité ! Chaque item est davantage que lui-même, le joueur doit déduire tout ce que
peut symboliser chacun
: un bretzel n'est pas qu'un élément du
kitsch apéritif, ça peut être l'arme du crime, la preuve de la présence
d'un suspect à tel heure à tel endroit, ou bien un déclencheur de
conversation avec un témoin. De même dans Metropolis Crimes ou Criminology : tout le gameplay consiste à collecter des éléments de preuve, à les
analyser dans le but final de faire un rapport complet permettant de
déterminer le coupable. Dans ce type de jeu, l'histoire et la narration
deviennent des prétextes et sont en retrait par rapport au gameplay. Les deux titres français mettent en scène des personnages assez clichés,
inspirés la plupart du temps par la télé américaine, mais la série Ace Attorney réussit au contraire à donner de l'épaisseur à une
galerie de caractères vraiment sympas, en recourant à de nombreux
dialogues, des apartés du héros, des commentaires pour chaque élément
observé... Cela en fait des jeux vraiment attachants, au contraire des
deux autres. Ces derniers ont, je pense, été victimes de la mode de la « touch generation » : on doit effectuer toutes sortes de manipulations
au stylet, au micro afin de simuler les gestes de l'enquêteur. C'est
souvent plus énervant qu'amusant, et ça ne nourrit pas du tout l'univers ni l'immersion. Mais il faudrait y revenir.

En fait il y a vraiment plein de façons
différentes d'imaginer un gameplay d'aventure à base d'inventaire, du
plus réaliste au plus symbolique, et toutes sortes de plaisirs à en
tirer. Je ne comprends vraiment pas les jeux d'aventure qui font
quasiment l'impasse dessus, comme si c'était une faute de goût, un truc
ringard à éviter depuis qu'on fait des jeux visuellement réalistes. Je
pense à Sybéria par exemple : une belle histoire, de beaux
décors, mais complètement lisses et lointains tellement il n'y a rien à
faire (appuyer sur des boutons ou composer un numéro de téléphone, c'est pas vraiment le summum du gameplay). Ou encore à Dreamfall,
alors que The Longest Journey était si bon (mis à part le
canard en plastique). Probablement la tentation de faire des
films interactifs et de penser un gameplay le plus transparent possible, au risque qu'il devienne inexistant
. Heureusement je pense
qu'on va vite revenir de tout ça, je suis d'ailleurs bien curieuse de
voir ce qu'il en sera dans Heavy Rain (quand j'aurai acheté une PS3 T_T).