Derrière ce titre un peu barbare se cache en réalité une idée assez simple : discuter autour de deux œuvres qui se ressemblent et qui partagent nombre de similitudes. Si, depuis 2001, Twin Peaks avait une infime relation avec le jeu vidéo par l'intermédiaire de son acteur principal Kyle Maclachlan, qui fût le doubleur officiel de Donald Love dans GTAIII, c'est en 2010 que la série se voit souvent associée à ce média grâce à Deadly Premonition. C'est via un ami que j'ai découvert DP, qui m'avait conseillé à l'époque de regarder la critique constructive de la chaîne de TV Nolife. Un peu intrigué par l'ensemble positif qui ressortait de la vidéo, à contrario des critiques des sites de jeu, je me suis plongé dans cet univers sans même n'avoir jamais entendu parler de Twin Peaks auparavant. Puis, avec le temps et la curiosité, mais surtout à force de lire et d'entendre que le second s'inspirait du premier, j'ai fini par craquer et me pencher sur la série TV de David Lynch et de Mark Frost.

De l'importance d'un univers varié

Pour faire simple, Twin Peaks est un mélange d'univers entre deux réalisateurs extrêmement différents, résultant sur un équilibre impressionnant et magique. D'un côté, on retrouve celui qui a bouleversé les codes du cinéma, n'hésitant pas à critiquer les clichés de celui-ci dans son film Blue Velvet, qui développe un univers très personnel, surréaliste et souvent angoissant, David Lynch. De l'autre, un réalisateur spécialisé dans la télévision, dont la touche humoristique est venue apporter la fraîcheur et la particularité si unique de Twin Peaks, Mark Frost. On se retrouve ainsi projeté dans une petite ville américaine aux mystères plus nombreux qu'il ne le semble, avec une ambiance jonglant entre l'angoisse, la comédie et le dramatique, et où une jeune femme répondant au nom de Laura Palmer s'est faite assassinée. Ainsi, d'une scène à l'autre, on passe de l'angoisse au rire, parfois les deux interviennent en même temps. En exemple cette scène où Leland Palmer, le père de la victime, se jette en pleurs sur le cercueil de sa fille, le visage enlaidit par la douleur, et que l'on voit finalement être balancé de haut en bas par les mouvements du cercueil, ou encore cette table au poste du shérif, sur laquelle se trouve des dizaines et des dizaines de beignets pour seulement 4 personnages, discutant de l'enquête comme si de rien n'était. Cette étrange alchimie est également très présente dans DP, notamment vers le début, quand l'inspecteur Francis York Morgan partage un déjeuner avec la responsable de l'hôtel dans lequel il loge. Ce qui est surprenant ici, c'est la table, qui fait plusieurs mètres de long, avec l'inspecteur se trouvant à un bout, et la vieille dame dure de la feuille à l'autre. On est ici bercé par une musique aussi décalée que la scène, et on se met à rire alors que l'enjeu est dramatique, enquêter sur le meurtre d'une jeune fille. C'est ainsi pendant une longue partie du jeu, ce savant subtil d'humour et de drame qui planait dans Twin Peaks transpire dans chaque goutte de DP, pour le plus grand bonheur du joueur. Pour appuyer un peu plus sur cet univers dérangeant, je rajouterai que DP possède des similitudes avec Silent Hill lorsque l'on passe aux phases d'actions (ratées par le côté technique, admettons-le) : on passe dans une autre dimension, un personnage menaçant apparait avec un long manteau et une arme lourde à la main, tout ceci par temps de pluie (la pluie qui joue un rôle extrêmement important, surtout dans le dernier Silent Hill Downpour). Twin Peaks se réfère également souvent à des dimensions tierces (la black et la white lodge par exemple, dans lesquels se jouent l'une des scènes les plus mémorables qu'il m'est été donné d'observer dans l'épisode final de la série), avec un personnage important dont je ne donnerai que le nom : Bob.

Des similitudes, même dans les détails

Beaucoup d'éléments récurrents de la série se retrouvent dans DP. On reviendra sur les deux inspecteurs du FBI, Dale Cooper pour Twin Peaks et York Morgan pour DP, qui jouent un rôle presque identiques. Ici, on s'intéresse aux détails, comme le café. Ce n'est rien en apparence, mais d'un côté on a Dale, qui considère s'offrir un cadeau chaque jour en prenant un café (et qui juge d'ailleurs, tout au long de la série, de sa qualité), et de l'autre York, qui a des visions dans les formes du lait dans le café. Le rapport à la nourriture est aussi assez présent, avec en tête de gondole, le célèbre donuts d'Homer Simpsons. C'est dans le bureau du Shérif Harry S. Truman (notez le nom, appuyant sur le décalage complet de la série) dans TP que l'on trouve toujours un donuts qui traîne, parfois il se multiplie pour en remplir une table entière. Dans DP, c'est un élément important dans le sens où il ne redonne pas seulement de la vie, il permet aussi de combler l'appétit de York, qui meurt s'il ne mange pas. Ce principe de gameplay occupe un rôle capital par ailleurs, puisque DP propose un monde ouvert où la réalité est plus omniprésente qu'aucun jeu auparavant. Sans être contraignant, York doit dormir, manger, se raser (ou non, si vous le préférez avec une barbe qui pousse avec le temps), se changer sans quoi des mouches finiront par tourner autour de lui, ou même mettre de l'essence dans sa voiture pour pouvoir rouler (il y a une quête annexe assez fun à réaliser en relation avec la pompe à essence). Le temps joue aussi son rôle puisque tout est en semi temps réel, il y a des horaires, qui influeront sur le lieu où l'on trouve certains personnages, l'ouverture des magasins etc... Un jeu très ambitieux qui se rapproche plus facilement de son aîné par ce côté réaliste, semblable à la vie. On pourra également citer l'importance du journal intime dans les deux œuvres, et la similitude dans le fait que c'est la mère qui joue le rôle de témoin dans les deux cas, alors qu'elle est seule chez elle. Certains lieux possèdent également des caractéristiques identiques : les restaurants A&G diner et le RR Diner sont tous les deux des lieux récurrents, la pompe à essence de Ed Hurley, le bureau du Sherif omniprésent, ou encore les deux hôtels du Grand nord et du Grand cerf. Enfin, et on s'arrêtera là puisqu'on peut dénombrer encore de nombreux parallèle, Deadly Premonition fait également référence à l'importance des échecs dans l'une des quêtes annexes du médecin. En effet, une bonne partie de la fin de saison 2 de Twin Peaks est un jeu du chat et de la souris entre Dale et un personnage arrivé après la découverte du meurtrier de Laura, et cet affrontement se fait à coups de pions sur un échiquier.

Des protagonistes qui se ressemblent

Que serait une série ou un jeu sans personnage profonds, complexes et attachants ? Pour ma part, surement pas grand-chose. Justement, c'est l'une des forces des deux œuvres. Même si l'on ressent bien plus les couches nombreuses du caractère des personnages dans TP, il est indéniable que le mystère touche également ceux de Deadly. Passons sur la niaiserie de la relation de James et Dona dans Twin Peaks, ou encore sur les personnages trop peu exploités de Deadly, et parlons de ce qui nous intéresse. Tout d'abord les deux protagonistes principaux : Dale Cooper et Francis York Morgan. Tous deux agents du FBI, ils sont appelés sur les lieux d'un crime dans une petite ville américaine. Dans les deux cas, le meurtre rejoint une affaire à laquelle l'un et l'autre a participé, et qu'ils n'ont pas résolu. On est confronté ici à ce qui semble être le fait d'un serial killer, toujours dans un cas comme dans l'autre. Même introduction, même mystère qui plane déjà sur nos têtes. Seule différence, Dale Cooper arrive sans problème à Twin Peaks tandis que York Morgan est accidenté de la route et s'oppose déjà à des êtres venus d'une autre dimension. Ensuite, chacun d'eux se met à la recherche d'un hôtel, celui du grand nord pour Dale, théâtre d'un pilote de saison 2 magistral, et celui du grand cerf (le mot grand, encore une référence) pour York. Dale s'adresse souvent à un magnétophone, il discute avec une dénommée Diane, dont on doute de l'existence pendant toute la série, avant d'avoir un soupçon de certitude dans le film Twin Peaks : Fire Walk With Me, puisque l'on retrouve une scène dans laquelle Dale discute physiquement avec Diane, sauf que l'on n'entend ni ne voit cette dernière. York, lui, est sans aucun doute schizophrène, cette pathologie donne lieu d'ailleurs à quelques moments drôle, et surtout nous ouve les portes de la complexité de York (ici n'est pas le but, mais on pourrait très bien discuter longuement sur le rôle de son autre personnalité, Zach, puisque le joueur se sent avant tout concerné et on a l'étrange sensation d'être son double schizophrène). Il y a encore de nombreuses similitudes entre eux, notamment l'amour qu'ils portent pour le café et les tartes, mais d'autres personnages méritent aussi qu'on en parle. On retrouve ainsi des caractéristiques similaires entre les victimes, Laura Palmer dans TP, et Anna Graham dans DP. Leur disparition entraîne une vague de scène où amis et proches pleurent sa mort, dans des circonstances identiques : tuée par un serial killer. Considérée toutes les deux comme les deux plus jolies filles de la bourgade, elles ont également une meilleure amie qui cherchera à percer le mystère chacune de son côté (Donna Hayward et Becky Ames), sans oublier l'importance de leur journal intime précédemment cité. En ce qui concerne les autres protagonistes, on notera qu'Andy dans Twin Peaks, partage un caractère semblable à l'adjoint Thomas dans Deadly, un peu faible et qui pleure facilement. De même, Ben Horne et Harry Stewart sont tous deux des personnalités riches et excentriques, qui possèdent une grande partie de la ville. C'est lors de la saison 2 que Ben Horne évoluera vers un personnage plus attachant et qui perd complètement pied, même les personnages les plus rationnels semblent touchés par une certaine folie. Certaine folie partagée par la dame à la bûche dans Twin Peaks, qui pense que sa bûche est la réincarnation de son défunt mari. Cette étrange dame nous fera immanquablement penser à la dame à la cocotte-minute, qui nous arrachera quelques sourires dans les quêtes annexes de Deadly Premonition. Pour terminer, je citerai l'étrange ressemblance que peuvent avoir Bob et Forrest Kaysen, dont les origines semblent être à quelque chose près similaires, mais je vous laisserai le plaisir de le découvrir par vous-même.

Les personnages, moteurs de l'intrigue

Si les personnages de Twin Peaks ont souvent leur alter ego dans Deadly Premonition, ils sont également dans les deux cas ceux qui font avancer l'intrigue. Les personnages secondaires sont aussi bien travaillés que les personnages principaux, chacun d'eux comportent une part de folie (comme Ben Horne qui se prend pour un général de guerre après un choc émotionnel, ou bien Dale Cooper tout simplement, qui a des visions d'un géant ou bien des rêves dans lequel il voit un nain danser. Dans le cas de Deadly, on peut citer « Roaming » Sigourney, la dame de la cocotte-minute, ou encore Brian L'insomniaque) et évolue au cours du temps. Les plus impressionnants à mon goût sont les deux détectives aux rôles centraux, avec un avantage certain pour Dale Cooper. Chaque personnage possède une clé de l'intrigue, possède un secret ou un mystère qu'il garde pour lui. Le moindre protagoniste qui semble avoir peu d'intérêt se révèle finalement profond : c'est le cas d'Harold Smith dans TP par exemple, qui ne supporte pas de sortir de chez lui et cultive des orchidées, ou de Polly Oxford, la gérante de l'hôtel du grand cerf. Dans Twin Peaks, des personnages loufoques viennent insuffler de la fraîcheur dans la série pour relancer l'intrigue. C'est le cas du très décalé Gordon Cole, le supérieur de Dale Cooper. Tout comme Polly Oxford, il est dur d'oreille, on se retrouve donc face à un personnage qui est obligé de parler fort, et oblige les autres aussi à parler fort (hormis Shelly Johnson). Cela donne lieu à une scène assez comique lorsque, au bureau du Sherif, Gordon Cole propose à Dale de s'éclipser afin de parler en tête à tête. Les deux s'isolent dans un bureau mais comme il crie à cause du problème de Gordon, tout le monde les entends. Ceci dit, dans Deadly Premonition, pour que les personnages soient les clés de la compréhension du scénario, il faut aussi se forcer à faire les quêtes annexes, sans quoi on peut louper beaucoup de choses.

Une écriture remarquable

Encore une fois, difficile de critiquer les deux œuvres sur ce point. Pour prendre un exemple, une des scènes que j'ai particulièrement apprécié met en scène l'inévitable Dale qui donne la réplique au maire de Twin Peaks. Le second accuse la compagne de son frère, Lana, de l'avoir tué (il faut savoir que le maire et son frère sont très âgés, et que la fille doit avoir dans les 20 ans) et la menace de son fusil en affirmant qu'il va la descendre sans hésiter. Le Sherif, Andy, Hawk (le second adjoint) et Dale essaye de calmer le jeu et protège la fille. Dale dit avoir une idée :

Dale : « Nous allons laisser Lana et le maire discuter seul à seul » (drôle d'idée quand on sait qu'il veut la tuer)

Le maire : « Je ne veux pas discuter, je veux la tuer »

Dale enthousiaste et souriant : « Vous aurez toujours le temps de la tuer plus tard, discuter d'abord ».

Après quoi on retrouve le maire quelques secondes plus tard avec plusieurs traces de rouge à lèvre sur le visage, complètement tombé sous le charme de Lana. L'écriture de la série comme du jeu Deadly Premonition est un véritable régale dans les répliques (c'est le cas de Harry, le riche propriétaire de Deadly), les dialogues sont très souvent intéressants. Cependant, et on l'a vu précédemment, l'écriture comprend d'autres paramètres, comme les personnages qui sont pour la très grande majorité, excellents. Question scénario, les deux valent le coups d'œil, on enchaîne les cliffangher dans Twin Peaks et on assiste à une montée progressive de la pression/tension dans Deadly Premonition. Les deux sont menés avec brio. Sans oublier que le tout est accompagné d'une ambiance sonore et musicale tout à fait adapté au style. Les thèmes contraste totalement avec la gravité des événements.

Pour conclure

Il y a tellement à dire sur Twin Peaks et Deadly Premonition, indépendamment l'un de l'autre d'une part, et conjointement d'autre part. Pour terminer cet article fleuve (qui malgré tout, comporte beaucoup de manque comparé à la richesse de Twin Peaks et Deadly Premonition) je me permettrai tout de même de prendre un peu de recul et de ne pas baigner que dans l'éloge. Oui ce sont des œuvres particulièrement bouleversantes, mais il ne faut pas oublier quelques détails. Je me permettrai une critique concernant Twin Peaks, qui perd de son intérêt à partir du milieu de la saison 2 (hormis l'épisode final, juste gigantesque). Les personnages sauvent l'honneur et heureusement, parce qu'il n'y a pas grand-chose à se mettre sous la dent côté intrigue, le rythme baisse et la magie disparaît peu à peu (le départ de David Lynch pour quelques épidoses en est surement la raison). En ce qui concerne Deadly Premonition, il n'est pas à mettre entre toutes les mains. C'est un jeu excessivement ambitieux, avec des quêtes annexes à foison, des personnages tordus à souhait, un scénario « Lynchien » pour rester dans le thème. Globalement, c'est aussi une expérience exécrable au niveau du gameplay, il est jouable, mais il faut prendre sur soi pour le continuer (surtout qu'on aborde le jeu avec une phase d'action, le pire de tout). Techniquement à la ramasse, il peut en décrocher plus d'un, encore plus si vous êtes amateur de graphismes poussés à l'extrême. Dans son cas c'est également un extrême, mais pas le bon. Alors attention avant de vous plonger dans l'un comme dans l'autre, tout n'est pas à garder et les deux ne plairont pas nécessairement à tous.