Selon une évaluation datant du mois d'août 2012, plus de 2,5 milliards de personnes à travers le monde sont connectées à Internet. En 2007, ce chiffre s'élevait à 1,25 milliard. L'accès à l'outil informatique se démocratisant en même temps que les modalité d'accès au réseau des réseaux, le nombre de personnes connectées va en grandissant de manière exponentielle.

En Belgique (et oui, je suis belge et donc mon travail portait sur les chiffres de ce territoire), on recense à l'heure actuelle plus de 2.892.226 foyers (20.959.000 pour la France en 2013) possédant une liaison au web (contre 2.833.714 en 20111, pour la France, 18.909.000 en 2011). Si l'on y additionne les connexions publiques et d'entreprises, ce chiffre grimpe à 3.448.810 points d'accès à Internet 2.0 (je n'ai pas trouvé l'équivalent français de ces chiffres mais je l'évaluerais aux alentours de 25.000.000).

En prenant en compte le fait que plusieurs personnes partagent une même connexion, nous pouvons aisément conclure qu'une majeure partie de nos concitoyens surfe sur internet de manière plus ou moins régulière.

Si la majorité des utilisateurs « consomme » Internet avec modération, on estime qu'entre 0,5% et 2% de la population générale2 souffrirait de « cyberdépendance », de « cyberaddiction », d'« usage problématique d'internet », de « trouble de dépendance à internet », voire même de « toxicomanie numérique ». Les moins de 25 ans sont régulièrement pointés du doigt, or cet usage problématique concerne toutes les catégories de la population, sans distinction d'âge ni de classe sociale.

Vanessa Lalo est psychologue clinicienne chercheuse, spécialisée dans les nouveaux médias numériques. Régulièrement invitée à débattre publiquement de la question de la cyberdépendance, elle souligne : « De nouvelles pathologies propres au XXIème siècle et à son ère numérique viennent bouleverser la clinique actuelle. Société de consommation oblige, nous pouvons aujourd'hui « zapper », « bloquer » son accès aux autres, virtualiser ses relations, réagir en ligne immédiatement après un commentaire ou encore correspondre par mails ou sms via son téléphone. Une question ? Wikipédia ou Google viendront y répondre instantanément de chez soi, du bureau ou du métro. L'immédiateté des relations et la consommation excessive des objets du quotidien tendent à modifier les fonctionnements psychiques vers des pathologies dites « limites » de plus en plus fréquentes »3.

Relayés principalement par les médias, la notion de cyberdépendance interpelle autant qu'elle divise. On la compare régulièrement à l'alcoolisme ou à la toxicomanie, on l'accuse d'être la cause de divorces, de carrières brisées, de pousser les jeunes sur le chemin de la violence. Des services traitant de cette nouvelle « maladie » voient le jour. Il se murmure même qu'elle figurerait dans le prochain Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM V4), dans les troubles du contrôle des impulsions.

Il convient bien entendu de nuancer ces propos tout en se penchant sur ce qui est pourtant une réalité5 : de nombreux utilisateurs d'Internet en font un usage excessif (dû à la passion ou à une compulsion apparemment incontrôlable) et non maîtrisé (notamment dans l'incapacité à contrôler le temps qui y est alloué). Pour schématiser, on pourrait dire que la cyberdépendance est le besoin irrésistible et obsessionnel de se connecter à Internet, besoin pouvant revêtir des formes différentes.

Types de cyberdépendance

Cette analyse n'a pas pour but de réfléchir aux raisons qui conduisent une personne sur le chemin de la cyberdépendance. Aussi diverses que liées au vécu de chacun, ces raisons pourraient faire l'objet d'une analyse propre. Il convient plutôt de se pencher sur les différents visages de la cyberdépendance à l'heure du web 2.06. De nombreuses études ont été effectuées sur ce sujet et toutes convergent sur le fait que la cyberdépendance se décline en 4 types majeurs. Dans son ouvrage « La cyberdépendance en 60 questions », le psychologue clinicien Jean-Charles Nayebi les catégorise comme suit7 :

1- Le cyberjeu : cette catégorie regroupe les jeux vidéo en ligne, les jeux de hasard et les transactions en ligne (enchères, transactions boursières, etc.). Cette forme de cyberdépendance peut amener l'individu à consacrer un nombre d'heures significatif à ces activités au détriment des autres activités présentes dans sa vie. L'individu peut également investir de grandes sommes d'argent, ce qui peut contribuer à engendrer des problèmes financiers.

2- La cyberdépendance relationnelle : elle concerne l'établissement des relations via Internet et le suivi de ces relations par les moyens offerts par la technologie d'Internet. Ces cyberrelations comportent un aspect interactif et réfèrent aux rencontres, aux échanges et aux relations développées ou maintenues par le biais d'Internet ou des nouvelles technologies. Elles concernent notamment les sites de rencontres, les réseaux sociaux en ligne (Facebook, Twitter, etc.), le clavardage (par exemple, textos via messagerie mobile, MSN Messenger, etc.), les échanges par courriel et même les rencontres amoureuses en ligne. L'individu peut en venir à prioriser les cyberrelations plutôt que de mettre l'accent sur les relations sociales et familiales présentes dans la vie réelle.

3- La cybersexe dépendance : elle concerne la fréquentation assidue des sites pour adultes à contenu pornographique. C'est la forme la plus commune de dépendance à Internet. Cette catégorie renferme le visionnage, l'échange et le téléchargement de matériel pornographique poussant l'individu a privilégier ce type d'activité au détriment de la relation de couple.

4- Le cyberamassage, ou « cyberhoarding » : le cyberamassage consiste à amasser d'importantes quantités de contenus et d'informations en ligne. De grandes périodes de temps peuvent être allouées à la recherche d'informations en ligne, contribuant ainsi à une réduction de la productivité (au travail, dans les études, etc.), à une réduction du temps accordé aux autres tâches en général, à une surcharge de travail et à une hausse des facteurs de stress.

Une cinquième catégorie est sujette à polémique: il s'agit de la cyberdépendance dépensière. Souvent assimilée à la première catégorie (le cyberjeu) parce qu'elle repose sur des transactions financières inconsidérées, la cyberdépendance dépensière serait l'équivalent connecté des achats compulsifs (par exemple, on parle de «Ebay dépendance» et de «E-shopping addicts»).

Pour autant, il faut souligner qu'il n'existe pas de diagnostic concret concernant la dépendance au web et aucun consensus scientifique n'appuie l'hypothèse de l'addiction numérique. Mais c'est malgré tout une problématique qui mérite que l'on s'y attarde. Problématique d'autant plus singulière qu'avec la présence accrue de l'utilisation du web dans toutes les sphères de notre vie, il serait utopique de croire qu'une personne peut se passer totalement de l'Internet. En d'autres termes, si l'addiction était avérée, un sevrage total se révélerait quasiment impossible.

Conclusion

Bien que la cyberdépendance soit une réalité, il n'existe pourtant aucun consensus scientifique qui appuierait l'hypothèse de l'addiction numérique. Un débat houleux oppose d'ailleurs depuis 2006 l'Association américaine de psychiatrie (APA) à l'Association médicale américaine (AMA). La première, par ailleurs première institution à avoir employé le terme de «Internet addiction», souhaite inclure la dépendance à Internet en tant que diagnostic formel dans le DSM-V tandis que la seconde recommande d'étudier ce sujet plus en profondeur avant de livrer de quelconques conclusions8. Cette nouvelle forme de dépendance relèverait donc plus de l'ordre du symptôme d'une manière de vivre plutôt que de celui d'un trouble à proprement parler.

Nous l'avons vu, nous vivons à une époque où les individus sont pratiquement connectés à Internet en permanence. Loin d'être l'apanage de spécialistes des addictions, la cyberdépendance interroge la manière dont nous vivons avec des technologies en évolution constante, allant dans le sens du «toujours connecté - toujours plus vite», elle souligne notre besoin d'interagir avec nos semblables et de tisser des liens avec le monde qui nous entoure. En cela, peut-être est-elle un signe des temps?

Note : La première version de cet article comprenait une autre conclusion, sous la forme d'un petit test simple destiné à évaluer le risque addictif du lecteur. Je me permets de la publier ci-dessous.

Etes-vous cyberdépendant ?

En guise de conclusion, et plutôt que quelques lignes soulignant la vigilance nécessaire à une bonne gestion de son rapport à Internet, je vous propose de répondre à un rapide questionnaire. Ce test, appelé test d'Orman8, permet de déterminer chez un individu si son comportement est obsessionnel et relève de la cyberdépendance. Les résultats étant purement indicatifs, ils se doivent d'être bien entendu considérés avec prudence.

1. Est-ce que vous passez plus de temps connecté sur l'Internet, que vous auriez pensé initialement ? O/N

2. Est-ce que ça vous dérange de limiter le temps passé sur l'Internet ? O/N

3. Est-ce que des amis ou des membres de votre famille se sont plaint par rapport au temps que vous passez sur l'Internet ? O/N

4. Est-ce que vous trouvez difficile de rester sans être connecté pendant quelques jours ? O/N

5. Est-ce que le rendement de votre travail professionnel, ou les relations personnelles, ont souffert à cause du temps que vous passez sur l'Internet ? O/N

6. Est-ce qu'il y a des zones de l'Internet, des sites particuliers, que vous trouvez difficile à éviter ? O/N

7. Est-ce que vous avez du mal à contrôler l'impulsion d'acheter des produits ou des services étant en relation avec l'Internet ? O/N

8. Avez-vous essayé, sans succès, d'écourter l'usage de l'Internet ? O/N

9. Est-ce que vous déviez beaucoup de vos champs d'action et satisfaction, à cause de l'Internet ? O/N

De 0 à 3 réponses positives, le risque addictif est faible.

De 4 à 6 réponses positives, le risque addictif est modéré.

De 7 à 9 réponses positives, le risque addictif est maximal.

Personnellement, mon risque est modéré. Et vous ?

Références :

1Selon le rapport de l'ISPA (Internet Service Providers Association), consultable sur https://www.ispa.be/index.php/fr/key-figures

2Il faut souligner que peu d'études scientifiquement valables ont été conduites sur le sujet. Les études les plus optimistes signalent qu'entre 6 et 8% des internautes sont dépendants, les plus pessimistes donnent une fourchette de 12 à 15 %.

3Source : https://vanessalalo.com/revolution-numerique-apprendre-et-guerir-autrement-le-plus/#more-906

4Publié par la Société américaine de psychiatrie (APA) et sujet à de nombreuses controverses, il s'agit d'un manuel de référence qui classifie et catégorise des critères diagnostiques et des recherches statistiques de troubles mentaux spécifiques. La prochaine édition, le DSM V, est prévue pour le mois de mai 2013 et fait déjà polémique.

5Le premier cas de cyberdépendance a été officiellement recensé à la fin des années 90.

6La caractéristique principale du web 2.0 est la participation active des utilisateurs, passant du rôle de spectateurs à celui d'acteurs par le biais des nombreuses possibilités d'interaction.

7Jean-Charles Nayebi, « La cyberdépendance en 60 questions », Retz , 2007.

8Internet stress scale du physicien américain Dr Mort Orman, date de 2001. Le docteur Mort Orman, spécialisé dans la sensibilisation et le contrôle du stress, a réussi à établir des relations entre la cyberdépendance et certains comportements. Avec plus de 30 ans d'expérience, il enseigne aux gens comment éliminer les sources de stress et son test peut aider à déterminer si une personne souffre ou non de dépendance au web.