Hier sur le site merlanfrit, une revue de presse renvoyait via un lien sur une analyse des décors des jeux Last Blade, jeux de combats de SNK à l'arme blanche. À la base l'article semblait intéressant, faisant le lien entre les décors du jeu et les estampes ou tableaux desquels ces décors étaient inspirés. Puis ensuite l'article nous fait un super gros cours d'histoire pour nous expliquer, je résume très brièvement, que les étrangers dans les décors du jeu sont présentés comme agressants par l'inconguité de leur présence, alors qu'à cette période de l'histoire du Japon ce n'était pas le cas, que la présence des étrangers était bien vécue. L'article au fond expliquait que le jeu posait problème en véhiculant une image faussée.

J'avoue ne pas me souvenir très bien de Last Blade, mais j'ai eu un sentiment de malaise face à cette analyse. Je me disais "Où est le problème ?". Car bien honnêtement, qui va se rendre compte, si encore cela est vrai, que ces décors véhiculent une image faussée ? Qui, en voyant deux cowboys dans un décor typiquement japonais, va se poser des questions là-dessus pour en conclure quelque chose ? Et surtout, qui va prendre ça au sérieux ? L'article avouait d'ailleurs que ce n'était même pas forcément de l'intention des auteurs, et qu'ils ne faisaient que reproduire des clichés déjà existant.

En somme ce qui me dérange, c'est le besoin de se "prendre la tête" pour utiliser une expression populaire, l'onanisme intellectuel infécond. J'avais déjà eu ce sentiment de malaise, et vous également j'imagine, dans mes cours de littérature au lycée, quand un professeur voyait dans un texte des choses qui n'avaient probablement jamais été pensées par l'auteur.

Y'a-t-il quelque chose à dire sur le jeu vidéo ?

En jouant à Valkyrie Profile en ce moment, avant de prendre en compte ce que raconte le jeu, je m'aperçois surtout que la direction artistique est assez douteuse. Le mythologie nordique façon VP, c'est une cathédrale au Valhalla, un Odin qui n'est pas borgne, des gorilles mauves en guise d'ennemis, des restaurants à sushis dans des villes qui font moyen-âge alors que le temps des légendes se situent avant cette période. Et dans le prologue on aura même deux types habillés en longs manteaux noirs avec des ray-ban façon Matrix...

On peut alors se dire deux choses ; soit on en conclut que la direction artistique est faite un peu au hasard, parfois heureux, parfois malheureux, soit on s'imagine que les créateurs sont des génies, que tout a un sens, et que ce qui au premier abord semble jurer, c'est en fait une symbolique du jeu à décrypter pour obtenir un message secret, le véritable sens du jeu, celui pour les seuls initiés.

C'est là-dessus que se repose Far Cry 3, livrant au premier degré un scénario affligeant, mais semant ici et là le doute avec des pistes sur la folie, Alice au pays des merveilles, etc. Je n'y crois pas une seconde. Je ne crois pas aux différents degrés de lecture, pas de cette manière là.

Les différents degrés de lecture, en littérature, sont d'un autre ordre. C'est-à-dire qu'un lecteur moyen va comprendre l'histoire qui est racontée, et qu'un lecteur plus aguerri percevra des allusions plus fines. Pareil au cinéma, tout le monde est capable de comprendre l'histoire que raconte Gran Torino, après d'autres personnes sentiront ce qui n'est pas dit explicitement, et d'autres encore percevront les sens dissimulés dans la mise en scène, le cadrage, etc. Mais tous les niveaux racontent la même chose. Les second, troisième, quatrième degrés sont là en renforcement.

Quand Far Cry 3 pond un étron en guise de premier niveau de lecture, y'a-t-il vraiment un intérêt à creuser plus en profondeur ? À rassembler les morceaux d'un puzzle de la sottise crasse ? Ou encore ; quand un scénariste est incapable de proposer une histoire cohérente (comme chez Rockstar), peut-on prendre le propos derrière au sérieux, la critique sociale par exemple ?

Enjoliver pour se cacher la vérité ?

Parfois j'ai l'impression qu'un auteur d'article de ce type se dit qu'en parlant intelligemment d'un jeu, ça va rendre le jeu intelligent. Qu'écrire de belles phrases dessus, ça le rend beau. Avec beaucoup d'imagination et un peu de culture générale, on peut tout faire dire à un jeu, comme à un texte, voire n'importe quelle oeuvre. On enjolive, mais au final, on parle très peu du jeu, de sa matière à lui, de comment il fonctionne, ou au contraire de pourquoi il ne fonctionne pas.

Personnellement je serai le premier à vouloir analyser le fonctionnement d'un jeu en profondeur, seulement le constat que je fais, c'est qu'il y en a rarement qui fonctionne. Même dans les bons vieux jeux, et cette tendance s'aggrave aujourd'hui dans les titres AAA où le gameplay n'a plus aucun rapport avec le scénario.

On peut analyser un jeu même maladroit ou raté s'il s'efforce de suivre une voie. Mais quand un Final Fantasy aligne les références mythologiques à base de Shiva et autres Odin, y'a-t-il vraiment un sens à tout ça, ou n'est-ce pas plus simplement que le créateur a un jour ouvert son dictionnaire imagé de la mythologie mondiale, et à puiser dedans les créatures qu'ils trouvaient cools ? Saviez-vous qu'Evangelion, dont perso j'étais très intrigué par rapport à l'histoire du fruit artificiel, les créateurs avaient choisi de se référer à la religion catholique parce que c'était... cool ?

La culture des idiots

Tout ça n'a rien de grave ou de dommageable tant qu'on reste conscient que ce n'est que du jeu vidéo. On regarde bien des films comme La Colère des Titans tout en sachant que c'est du grand n'importe quoi (je dis on pour me sentir moins seul... et en plus j'ai vu la suite...).

Mais essayer d'obtenir une reconnaissance pour cela, de réclamer un statut d'art, je pense que ça n'aide pas du tout le jeu vidéo, ça encourage au contraire à rester sur ses mauvais plis, avec ses interrogations qui ne vont nulle part sur le rôle du joueur, avec ses "Bouh c'est pas bien de tuer des polygones" dans des jeux de guerre dans lequels on ne voit jamais la véritable horreur, parce que celle-là, faudrait des couilles pour la proposer.

Pourtant il y aurait plein de choses à dire, à faire vivre via le gameplay. Sur merlanfrit encore, on peut trouver un article sur un jeu nous mettant dans la peau d'un fonctionnaire, l'idée étant de nous transformer en bureaucrate enclin à la banalité du mal. On joue donc (car on achète des jeux pour jouer généralement), et il semble que le jeu puisse appuyer un vrai propos en même temps. L'interactivité et le gameplay sont des armes puissantes d'immersion et d'implication, et la rigueur dans la création dans le jeu vidéo pourrait nous ouvrir, j'en suis quasiment sûr, des portes insoupçonnées, nous faire prendre conscience de qui nous sommes, dans quel monde nous évoluons, même à travers des jeux sans prétention. Juste de la rigueur.

La banalité du mal via le jeu vidéo : https://www.merlanfrit.net/Le-rideau-de-fer

Mais on reste dans l'hypocrisie, le charlatanisme, la maturité qui n'en est pas, le mauvais goût en guise de subversion, l'incompétence et la médiocrité récompensées. Quand le jeu vidéo n'était vu que comme simple divertissement, il avait sa légitimité artisanale, et son absence de prétention n'empêchait aucunement des concepts bien pensés de voir le jour. Depuis qu'il veut sa place au soleil de la culture et qu'il en a la possibilité car il a le hardware et l'expérience pour, depuis qu'on nous gave d'émotions via des cinématiques interactives et des QTE pour sortir une blague et douze explosions juste après, ou des jeux artyshow qui n'ont rien à dire mais font très bien semblant, il est plus important que jamais de voir les jeux tels qu'ils sont, et non pas tels que nous aimerions qu'ils soient, sous peine d'en faire une nouvelle culture de l'idiotie, comme l'a été et l'est encore celle de la télévision, en bien pire.