Pedrof et les études en Game Design :

En choisissant la voie, du Game Design pour tes études savais-tu que le milieu professionnel du jeu vidéo répond à ce slogan "Beaucoup d'appelés, peu d'élus" ? Et si oui qu'est-ce qui t'as convaincu de tenter quand même l'aventure ?

En fait j'ai traversé plein de stades par rapport à ma volonté de travailler dans le jeu vidéo. Ça remonte au collège et c'est passé par plusieurs étapes. Aujourd'hui j'ai pas beaucoup d'illusions voire pas du tout mais ça m'apparaît toujours au moins comme une manière qui me convient de gagner ma vie. Si je peux pas travailler sur des jeux qui me bouleverseraient en y jouant, je peux au moins faire un travail qui me satisfasse même sur des formats de jeu a priori qui ne sont pas ma tasse de thé (je pense à du serious game, à des jeux facebook, même si je ne m'y suis pas encore frotté). Donc je n'ai pas de gros rêve par rapport à ma carrière de game designer, mais je pense qu'il y a moyen que je gagne ma vie là-dedans en me faisant pas trop trop chier, ça veut dire qu'il y aura je pense de la place, pas forcément énorme mais il y en aura, pour ma sensibilité et ma vision de ce qu'il peut y avoir de bon dans un jeu. Donc en fait j'ai toujours de l'espoir, mais pas démesuré. Je rêve plus de faire mon MGS quoi.

Lorsqu'aujourd'hui tu écris des tests avec une analyse poussée, est-ce que cela vient en partie de tes études (et si oui dans quelle mesure ?), ou est-ce surtout basé sur tes propres expériences et réflexions de joueur ?

Ça vient des deux et même d'autres choses. Au cours de cette première année j'ai eu des cours qui me donnent l'impression d'avoir enrichi ma réflexion sur le jeu vidéo. Sur le jeu en général - comment ça fonctionne un jeu ? - et plus particulièrement sur le level design. Il y a aussi un atelier d'écriture auquel je participe et qui m'influence pas mal dans comment je parle de l'écriture des jeux.

Est-ce que le savoir qu'on te transmet dans tes études te semble toujours pertinent ?

Oui, quand même. Des fois je ne suis pas d'accord avec l'orientation de l'intervenant, par exemple quand un intervenant se fiche de la narration, mais même dans ce cas-là, pour ce qui l'intéresse, je ne trouve pas ses propos impertinents. Je peux pas dire au cours de cette année à un moment avoir été en profond désaccord avec une idée qu'on cherchait à m'enseigner. Pour comparer, je me trouve bien plus critique envers ce que je lis dans la presse JV qu'envers le savoir que m'ont transmis mes études.

Je pensais que tu dirais le contraire ! Ça me fait toute une énigme à te poser ! Il y a un décalage entre tes cours que tu trouves pertinents, et les jeux que tu notes assez durement en général. De mon expérience également, j'ai souvent l'impression que mes quelques idées de simple joueur pourraient grandement améliorer certains jeux, et je pense que c'est un sentiment partagé par de nombreux joueurs. Comment expliquer donc ce décalage entre une formation solide probablement comme le sont les autres, et des jeux aux faiblesses frappantes parmi les grosses productions ?

Je pense que les ambitions des grosses productions sont assez éloignées de faire des jeux solides au strict sens ludique. C'est pas leur priorité. Sans doute n'estiment-ils pas qu'une vraie qualité ludique est indispensable pour vendre, et comme les jeux auxquels on joue en version boîte sur nos grosses consoles sont très chers à produire, il y a peu de place pour des ambitions autres que la rentabilité.

Est-ce que l'idée que tu te fais du jeu vidéo a été remise en question par des découvertes lors de tes études ? Y'a-t-il des idées qui ont changé, d'autres qui se sont renforcées ?

Il y a des idées qui ont été renforcées et j'ai une vision bien plus précise de comment on peut fabriquer un jeu vidéo. J'ai pas vraiment été remis en question, par contre j'ai été ouvert à d'autres approches du jeu vidéo qui m'emballent pas, mais avec lesquelles maintenant je suis un peu plus familier (comme le roleplay). Ça c'est peut-être surtout en parlant avec d'autres étudiants.

Des cours m'ont beaucoup apporté sur le principe du jeu et le level design, et ce qui fait un bon niveau, un bon jeu, ne me semble pas si éloigné de ce qui fait une bonne histoire. Il s'agit dans les deux cas d'exposer le participant à une confrontation à des problèmes qui soit « intéressante ». Je résume peut-être grave vite et j'ai pas forcément la capacité de développer, mais c'est en gros ce que je ressens ; je fais des liens entre les règles de la dramaturgie (de Yves Lavandier par exemple) et les règles qui définissent un bon jeu (je pense à Sid Meyer).

As-tu rencontré des étudiants qui avaient une vision du jeu vidéo qui te semblait unique ou même solide ? Ou au contraire y'a-t-il un certain conformisme comme on peut le voir dans les avis de la presse ?

Non. Je n'ai pas rencontré d'autres étudiants qui avaient une vision du jeu qui me semblait unique ou même solide. J'ai senti soit de la frilosité avec beaucoup de préoccupations marketing (« faut plaire au client », dans ce que la formule a de plus péjoratif), soit des poncifs (du poétique branché, de l'esthétique pompée sur les gros succès) et dans les deux cas ça fait des choses pas très solides. J'ai vu peu de confiance, peu de propositions vraiment personnelles et enfin peu d'ambition au sens large (ne serait-ce qu'appliquer avec rigueur nos enseignements).

Y'a peu d'érudition chez les autres étudiants. Y'a peu de gens qui connaissent à peu près tous les jeux, qui ont une bonne culture du média. Un certain conformisme ? Un petit peu, ouais. Y'a peu de gens qui vont à l'encontre des positions de la presse, soit parce qu'ils ne s'y intéressent pas, soit parce qu'ils la prennent un peu pour argent comptant. Mon expérience des étudiants de JV, c'est loin d'être des révolutionnaires ou des gens qui ont à la fois un sens critique et des choses à apporter. C'est pour ça je pense que je vois beaucoup de poncifs, de stéréotypes dans les productions. Je ne dis pas que tout le monde est comme ça, mais c'est plus la grosse majorité que la minorité.

Dans l'ensemble, est-ce que tes études t'ont stimulé, découragé ?

Globalement, elles m'ont donné le sentiment qu'il y avait moyen que je m'épanouisse dans ce métier. Épanouir pas vraiment dans le sens psychologique, plutôt dans le sens trouver une stabilité professionnelle. Je pense que je peux faire ce métier, voilà. Mais mes études ne sont pas encore terminées.

Japon versus Occident :

Perçois-tu des différences de philosophie du jeu vidéo entre l'Occident et le Japon, et si oui lesquelles ?

Beaucoup moins de bullshit visuel au Japon. J'ai rarement vu des jeux japonais qui cherchaient à cacher une pauvreté purement technique par des effets visuels rendant plus difficile voire impossible la perception des détails. C'est facile, tu compares Ico et Prince of Persia Les sables du temps. Le premier a une image ultra propre, nette, le deuxième baigne dans de la lumière diffuse qui cache mal une modélisation et des textures de qualité moindre. Aussi, il me semble que les Japonais ont moins l'égo qui rend compliqué aux Occidentaux le fait de produire des choses qui ne seront pas forcément vues par le joueur.

En ce moment ils me semble que les Japonais se complaisent dans une position d'outsider (au moins sur les consoles de salon), empilant des titres voués à ne pas connaître un grand succès mondial, qui n'essaient même pas. D'un côté ils se défoulent (voir les délires de Suda 51, Platinum Games) mais d'un autre ils se refusent à venir jouer dans la cour des grands et laissent les Occidentaux donner le la à l'industrie. Il me semble loin le temps où du Japon venaient des gros jeux ambitieux qui mettaient de loin tout le monde d'accord. Pourtant ce temps a existé : Final VII, VIII et MGS2 par exemple.

Autre chose : les Japonais sortent en général des jeux finis, alors que les Occidentaux comptent systématiquement sur au moins un patch à la sortie du jeu. Plus grand respect du consommateur sans doute.

Penses-tu qu'il s'agisse d'un refus ? On dit partout qu'ils ont du mal à suivre la cadence sur console de salon.

On dit ça oui. Je vois passer peu de jeux japonais sur ma PS3, alors que la majorité de mes jeux PS2 sont japonais. Je ne comprends pas ce qui se passe, est-ce qu'ils ont délaissé les consoles de salon pour les mobiles et portables ? Je ne sais pas. J'ai envie de nuancer la phrase qui t'a fait réagir : il y a toujours des gros studios qui font du AAA, je pense à Square et Capcom, et ceux-là oui ils visent les gros marchés. Mais à part une poignée de blockbusters qui sortent tous les cinq ans et des jeux aux coûts plus modestes qui jouent la carte de la déconne, je ne vois pas grand chose. Il y a des exceptions, comme Demon's Souls, mais alors que tout le monde parle déjà de la fin de la génération PS360, où est la ribambelle de Tenchu, de J-RPG, T-RPG, A-RPG, d'oeuvres expérimentales et ambitieuses à laquelle le Japon nous avait habitué sur les consoles précédentes (Sword of the Samuraï, Echo Night Beyond, SOS The Final Escape) ? Où sont les Ape Escape et autres jeux de plate-forme ? Où sont les survival-horror, Project Zero, Kuon, Rule of Rose ? Les Japonais, soit une quantité de studios ont fermé, soit ils développent sur d'autres consoles que les PS360. T'as vu un Shadow of Rome sur PS360 ? Je sais pas, les Japonais ont désinvesti d'une façon ou d'une autre les grosses consoles de salon. Et je le regrette. Je ne sais pas l'expliquer.

Pedrof veut qu'on lui raconte des histoires, mais pas n'importe comment :

Note que bien que ce qui m'intéresse dans un jeu c'est l'histoire, ça passe nécessairement pour moi par du jeu de qualité. Si on considère que c'est autant le jeu que les cinématiques qui racontent l'histoire, si les phases de jeu ne sont pas intéressantes ça fait autant de portions d'histoire pas intéressantes.

J'ai beaucoup appris sur comment on peut faire des niveaux (en Game Design) ; très peu sur la narration. Ça reste un domaine délaissé par le jeu vidéo, de mon point de vue d'étudiant.

Pourtant les jeux actuels laissent une grosse part à la narration ; cinématiques interactives, choix de dialogues, documents à lire.  Même Heavy Rain ou le prochain Beyond te contredisent, non ?

En même temps je ne sais pas si tu te rappelles, mais une année des étudiants en game design avaient sifflé David Cage lors d'un évènement en France, parce que ce pourquoi il était salué, c'est-à-dire ce qu'il avait fait avec Heavy Rain, ça leur semblait contraire à tout ce qu'on leur apprenait dans leur formation.

Moi ça me semble pas absolument contraire Heavy Rain. Je trouve justement que le challenge est intéressant (arriver à une bonne fin) et mon expérience était pleine de tension. C'est quand même le jeu où on ne peut pas recommencer ; ça me fait penser au jeu dont Kojima rêvait qui s'auto-détruisait si on perdait et qu'il fallait ensuite en acheter un autre exemplaire. On n'y est pas encore mais Heavy Rain c'est un jeu où t'as un objectif et tu n'as pas le droit à l'erreur, ou alors tu n'as pas d'autre choix que de faire avec. J'ai trouvé que c'était un challenge intéressant. Après je ne me suis pas senti du tout dans la peau des persos mais plutôt comme un dieu qui tirerait les ficelles de leur destins (comme des marionnettes)(genre les shinigamis dans Death Note) et qu'on aurait mis au défi de s'assurer que les quatre personnages arrivent à bon port au terme de la crise que suit Heavy Rain.

Les gens ont peut-être reproché à Heavy Rain la maniabilité en QTE mais pour moi c'est un faux procès parce qu'il y a bel et bien un jeu derrière. C'est au niveau de la méthode d'interaction que ça a peut-être coincé. Mais à ce moment-là que dire des jeux d'aventure en point'n'click ?

Pour revenir à la question, ça m'étonne pas que les gros jeux mettent en avant la narration. La narration c'est un truc qui touche tout le monde, et comme ils cherchent à vendre le plus possible... C'est à mon avis un des domaines sur lequel ils mettent plus le paquet que sur les qualités ludiques. Avoir des cinématiques qui claquent, qui font trop vrai t'as vu, ça excite les markéteux, et c'est eux qui doivent le plus avoir leur mot à dire sur les AAA. Ils doivent penser que ça permettra de vendre d'une manière ou d'une autre plus de palettes qu'un système de jeu et une implémentation (c'est-à-dire des niveaux) solides.

Moi je ne mettrais pas dans la même phrase "cinématique interactive, choix de dialogue" et "narration".

En somme pour toi tout ce qui est déployé actuellement pour raconter une histoire (cinématiques interactives, choix de dialogues ou moraux, textes à lire) est contreproductif ? Les jeux comme Mass Effect feraient fausse route ?

La narration, pour moi, c'est le jeu qui te raconte quelque chose. Ça va du jeu vers toi et pas l'inverse. Un roman te raconte quelque chose, un film pareil. Quand tu participes à l'écriture du scénario ou du récit d'un jeu, pour moi c'est pas de la narration. Ça n'empêche pas qu'il y en ait à d'autres moments, mais quand on me demande à moi joueur de définir ce que le personnage dit ou fait, c'est pas de la narration.

Je vois une exception à ça. Parfois un dialogue est un challenge, comme les joutes verbales de Human Revolution. Je pense aussi à l'agent d'Alpha Protocol où manipuler les gens pour parvenir à ses fins fait partie intégrante de son boulot. Dans ces cas-là les choix de dialogues font partager au joueur un choix difficile du protagoniste, c'est de la narration. A l'inverse, quand à la fin d'Alone in the dark je dois choisir entre sauver ou non la fille, c'est pas de la narration.

Mass Effect c'est un cas particulier, il demande pas mal de choses au joueur mais il lui en donne aussi beaucoup. Je renvoie à ma critique.

Les cinématiques interactives, du genre on essaye de montrer le plus possible au joueur sans faire une vraie cinématique mais en verrouillant la caméra, supprimant la fonction de course et tout autre mouvement que la marche, je vois vraiment pas l'intérêt. Ça donne l'impression de regarder un film super mal filmé tout en devant maintenir une touche pour faire lecture. À bannir.

Les textes à lire ça dépend. Dans Penumbra Black Plague, le but du jeu c'est de découvrir ce qui est arrivé au père du héros. La plupart des documents de ce jeu participent à l'enquête, j'ai aucun problème à les lire, au contraire je suis avec le personnage et je dois les lire. Par contre dans le premier Penumbra, Overture, les textes sont là juste pour raconter des petites histoires sur des personnages inconnus (genre la femme du contremaître que t'as jamais vu a fait une tarte en l'attendant) à fin j'imagine de densifier l'univers. Je n'ai pas envie de lire ces textes-là. J'ai pas trop de problèmes non plus avec les documents à lire pour résoudre une énigme.

Qu'est-ce qui te raconte une histoire dans un jeu ?

Absolument tout. Il ne faut surtout pas réduire la narration aux dialogues et aux cinématiques. Ce qu'on fait dans le jeu, c'est l'histoire. Ratchet & Clank 1 par exemple, que je suis en train de faire sur PS3, je zappe toutes les cinématiques. Court-métrages d'animation, elles sont complètement hors-sujet de l'histoire racontée par le jeu quand j'ai la manette, qui consiste principalement en une quête de puissance avec force ramassage de boulons et collecte d'équipement après séquences d'exploration / combat relevées sur diverses planètes et accomplissement de missions proposées par des personnages secondaires inutiles. Je n'ai aucun intérêt à regarder des cinématiques à ce point à l'ouest du jeu, finalement très abstrait. Comme les cinématiques de Super Meat Boy, j'en ai pas regardé une seule.

Je n'ai rien contre les cinématiques, au contraire, je pense que c'est une bonne solution pour pouvoir raconter des passages dans une histoire qu'on ne peut pas raconter de bonne manière tout en laissant la manette au joueur. Mais les cinématiques et le jeu doivent s'accorder sur l'histoire à raconter.

Cela dit je ne reproche pas à Ratchet et Super Meat Boy d'avoir enrobé leurs aventures d'un semblant d'habillage dramatique. C'est toujours bien, mais j'ai dit ça pour rappeler qu'on peut facilement se retrouver avec des jeux qui ne racontent pas vraiment l'histoire annoncée dans le pitch, qu'on retrouve au final seulement dans l'enchaînement des décors et les cinématiques.

La musique me fait passer l'émotion du personnage, son animation sa façon de marcher, la nature du challenge la nature précise des épreuves qu'il affronte... Les fameux "choix intéressants" de Sid Meier qui font la qualité d'un jeu (voir l'intro de cet article), devraient être précisément ceux du personnage dans l'histoire que les développeurs cherchent à raconter.

Exemple, on veut raconter dans un jeu l'entrée par effraction d'un agent secret dans une banque. On peut le faire façon Splinter Cell Chaos Theory, en faisant jouer chaque détail de la séquence, ou faire jouer une partie de morpion qui déterminera si oui ou non l'agent arrive à entrer dans la banque. En cas de réussite, une cinématique ou un texte t'explique que l'agent a réussi son effraction. Ça, ça serait le niveau zéro de la narration par le jeu vidéo. Parce que les choix réalisés lors d'une partie de morpion sont bien peu évocateurs des choix qu'a à faire l'agent secret sur le terrain.

Je pense donc que la narration par le ludique, c'est faire en sorte que les choix intéressants que tu donnes à faire au joueur sont bel et bien représentatifs de ceux du personnage dans l'histoire que tu veux raconter.

Enfin, je souligne encore l'importance de la cohérence entre le scénario et ce que le joueur fait à la manette. Que le massacre de centaines d'êtres humains dans Uncharted ne semble pas pris en compte dans les dialogues entre les personnages c'est un bon exemple d'échec à ce niveau.

Qu'est-ce qui ne te raconte pas une histoire (dans le sens des trucs censés favoriser la narration, mais qui font le contraire) ?

Rien vraiment. On ne peut pas dire au joueur, à propos d'un élément du jeu, "oublie ça, ça fait pas partie de l'histoire". Chaque élément contribue à sa manière au récit. Certains peuvent le torpiller, comme les trophées et autres défis. Quand le personnage est censé vouloir sauver sa femme et qu'à côté, toi joueur, tu cherches à finir tes 50 tués au fusil à pompe, il y a un problème quelque part. Je ne dis pas qu'il faut supprimer ces défis, mais réfléchir à deux fois quant à la manière de les implémenter (uniquement à partir de la deuxième partie ? au choix du joueur ?).

Je pense à des éléments qui racontent mais à mon sens pas de façon pertinente : les textes pour développer l'univers (inutiles si les graphistes et scénaristes ont bien fait leur boulot), les cinématiques interactives.

Il y a quand même un discours qui m'intrigue, c'est quand je vois dans la description des modes faciles "pour les joueurs qui veulent profiter de l'histoire". Comme si difficulté, résistance du jeu, n'avait rien à voir avec l'histoire, alors qu'au contraire c'est la façon qu'a un jeu vidéo de raconter une histoire, sinon on est dans la cinématique interactive comme je l'ai décrite plus haut. Les dispositifs du genre localisateur d'objectifs, apparition d'une icône sur un élément interactif, ça enlève pas mal de composantes qui auraient pu contribuer à ce que le joueur se sente dans la peau du perso. Une conduite de gaz qui fuit, t'as pas à chercher la valve, tu cherches l'icône du bouton de ta manette dès que tu passes devant qui te saute aux yeux. Ça s'inscrit peut-être dans un mode de pensée qui voudrait que pour raconter une histoire, il faut que l'histoire avance continuellement, alors que le propre du jeu vidéo ce n'est pas ça. C'est de mettre le joueur dans la peau du personnage et tant pis si ça lui prend une heure pour trouver la valve, il aura vécu, ressenti, ce que ça faisait de chercher la valve. C'est ça la narration dans le jeu vidéo, pas le fait de maintenir un bouton pour faire avancer un film. C'est du cinéma inconfortable ça !

As-tu des idées personnelles, même si pas forcément inédites, pour améliorer la narration dans les jeux ?

Oui. Déjà tout ce que j'ai dit au-dessus, mais aussi des procédés que j'ai relevés dans des jeux ou qui m'ont fait les imaginer. L'utilisation de la musique dans une séquence de gameplay où tu sais ce que tu dois faire et t'as juste à bien le faire, ça me paraît puissant parce que dans un tel cas de figure je me trouve moi-même très réceptif à la musique qui joue en fond sonore, et par là même aux émotions qu'elle m'évoque. Je rêve aussi d'un thriller intense dans une ville ouverte à la GTA où les déplacements ne seraient justement pas libres mais difficiles, laborieux et où les transports rapides (voitures, taxis) seraient bannis. Du genre un jeu où on serait recherché par la police, le FBI, etc... mais où on aurait besoin de se rendre à divers endroits de la ville tout en restant en vie et en liberté. On serait un fugitif donc, où chaque déplacement, ne serait-ce que traverser la rue, devrait être considéré avec prudence.

Dans Heavy Rain, l'absence de possibilité de recommencer me semble une belle idée. Moins de points de passage serait forcément une bonne chose, à condition que les jeux soient plus "justes" et un peu plus sympa avec le joueur. Pouvoir recommencer immédiatement après un échec à l'endroit où on a échoué annihile la tension. Je pense aussi que les passages "apprentissage par l'erreur", qui obligent à mourir pour comprendre ce qu'on doit faire, si on veut raconter une histoire sérieuse sérieusement, c'est à bannir.

Ah et puis aussi : faire bosser les scénaristes en étroite collaboration avec les game designers. Ça c'est obligé. Pour la cohérence entre les choix du joueurs et les choix du protagoniste dans le scénario, mais aussi dans l'enchaînement des niveaux et l'évolution de la nature des épreuves. Le mode d'interaction (la palette de mouvements) devrait être pensée par rapport au scénario, ou l'inverse, mais surtout pas indépendamment. J'imagine que le mieux serait de le faire en même temps avec des échanges ping-pong entre le scénariste et le game designer. Que le récit soit écrit par le scénariste (parce que c'est là où il est bon) en collaboration avec le game designer, pour savoir quels niveaux sont possibles, leur enchaînement, etc. Faut vraiment que les deux travaillent main dans la main.

Voilà

Peut-être une deuxième partie si vous êtes sages, et Pedrof coopératif !