Le sommet du DICE a donné lieu à une passe d'armes inattendue entre Tomonobu Itagaki et son ancien studio, Team Ninja. Encore amère de s'être fait en 2008 débarquer sans ménagement par ses supérieurs (jusqu'à les trainer en justice pour récupérer ses indemnités de licenciement et autres bonus dorés), le sulfureux développeur vedette s'est laissé aller à de rocambolesques révélations sur les aléas de son métier. Tandis que le nouvel homme fort de l'élite de l'éditeur Tecmo-Koei Yosuke Hayashi cherche à prendre ses marques.  

Lunette noire, Perfecto, jean troué et verve assassine, cette allure de mauvais garçon donne une image d'homme à poigne, distant et sans compromis. Pourtant, un passage douloureux de la vie professionnelle d'Itagaki l'a indéniablement marqué au fer rouge et révèlera une sensibilité qu'il est difficile de lui prêter. Le brillant développeur autant célébré pour ses diatribes contre Tekken que ses jeux pensait être à l'abri d'impératifs commerciaux avec l'aide de succès tel que Dead or Alive en arcade comme sur Dreamcast. Il aura pour la première fois dépoussiéré le jeu de combat en 3D grâce à une maîtrise intelligente de l'espace tridimensionnel que les VF et Tekken avaient jusque-là négligé.  

C'était sans compter sur les coups bas de la tutelle marketing : << nous disposions seulement de deux mois et demi pour faire de DOA 2 un titre de lancement (sur PlayStation 2). L'ensemble du personnel, moi compris, avons travaillé d'arrache-pied pour respecter ce délai. Mais malheureusement, le résultat final n'était pas satisfaisant. >> C'est alors qu'un responsable des ventes  se procurera auprès d'Itagaki une copie de ce  que le brillant développeur qualifiait de << version de travail >> pour un tout autre objectif que de s'essayer faussement au jeu : << il n'avait pas l'intention d'y jouer, au lieu de cela cette pré-version a été lancée dans les chaînes de production sans mon aval >> regrette Itagaki.   Il poursuit : << Tecmo avait réalisé de gros bénéfices et son introduction en bourse s'est révélée être un succès. Mais ce coup bas avait cassé quelque chose en moi. >>

Si certains membres de son équipe ont été soulagés d'apprendre que la version non finalisée de Dead or Alive sur PS2 a malgré tout rencontré son public, d'autres employés comme Itagaki ont été très affectés par les basses manoeuvres de sa hiérarchie. Jusqu'à sombrer en ce qui le concerne dans la dépression et l'alcoolisme : << je suis resté cloitré chez moi trois ou quatre mois, je n'avais rien à faire alors je me suis mis à boire plus que de raison. Quelle quantité ? Du matin jusqu'au soir. >>  

La pression familiale ne changera rien, il trouvera le sursaut ailleurs. Alors qu'il regardait le film Armageddon de Michael Bay, la bande originale interprétée par Aerosmith avec le morceau "I don't wanna miss a thing" interpellera l'homme blessé : << peu m'importe du qu'en dira-t-on, Aerosmith et Armageddon m'ont sauvé la vie, mon entreprise, mes amis et ma famille >> lâchera sans réserve le bouillonnant créatif. Il retrouvera l'énergie pour réaliser la version finale de DOA 2 (Hardcore) conforme à son critère qualité. La puissance renversante de la Xbox lui donnera l'occasion d'exprimer tout son talent (DOA 3, Ninja Gaiden...) avant de claquer définitivement la porte : << Si bien que je suis devenu indépendant en créant mon propre studio (Valhalla). >> Il travaille désormais pour le compte de THQ dans la réalisation d'un titre proche de son amour pour le jeu d'action à consonance occidentale, Devil's Third.  

La perte d'un employé de cette envergure a provoqué immanquablement un Big Bang au sein de l'éditeur japonais. Sa forte personnalité comme son professionnalisme étaient devenus l'ADN de la holding Tecmo-Koei. Gérer l'après Itagaki n'allait pas être simple. C'est tout naturellement vers Haruo Hayashi que les regards se sont tournés pour prendre la tête du studio Team Ninja. C'est en effet sous l'impulsion de son ancien mentor que le nouvel homme fort est entré dans la fine équipe. Toutefois, Hayashi n'a nullement l'intention de suivre le même chemin qu'Itagaki, préférant baliser de son empreinte les futures suites à DOA et NG.   Il se démarque immédiatement par son style vestimentaire, plus convenu, habillé d'un très discret complet. Sa façon d'être est loin de la condescendance d'un Itagaki en pleine possession de ses moyens.

L'homme affiche humilité et revendique le respect de ses pairs. Pour autant, la violence crue de Ninja Gaiden 3 ne sera pas sacrifiée malgré la personnalité effacée de Hayashi. Mais : << après le départ d'Itagaki, nous avons pris conscience que nos jeux n'étaient plus en adéquation avec leur époque. Nos nouveaux titres, Ninja Gaiden 3 et Dead or Alive 5 prouvent que nous nous sommes remis en question. Vous vous en rendrez compte par vous-même de ce qui caractérise dorénavant la Team Ninja, la philosophie, c'est particulièrement vrai dans l'histoire de NG3. >>  

La démo de NG3 montrée aux journalistes de Industrygamers.com à qui l'on doit ce compte rendu, laisse apparaître de larges séquences de dialogue, chose inhabituelle dans cette franchise qui fait d'ordinaire de l'action outrancière son identité ludique. L'autre facette de Team Ninja avec DOA est l'apologie du sexe. Le nouveau responsable de l'équipe vedette de Tecmo-Koei ne semble pas très à l'aise avec ces deux thèmes racoleurs mais ô combien vendeurs : << l'ancienne équipe était connue pour son goût immodéré du sexe et de la violence [...] il est d'une évidence pour nous de relever le niveau, en orientant nos productions vers des expériences émotionnelles qui puissent toucher le joueur. >>

Plutôt que de proposer une brutalité stricto sensu, Hayashi souhaite donner du sens aux effusions de sang qui inondent l'écran en créant un lien plus que tendancieux << entre émotion et violence [....] capable de faire réfléchir les adultes. >>   Même traitement pour la franchise DOA dont l'épisode 5 sera débarrassé de l'image misogyne qu'elle renvoie aux joueurs. Au risque de s'aliéner une partie d'entre eux friands de bonnet D et petite culotte ? << nous voulons montrer quelque chose de moins sexiste, que les mâles adultes de notre génération soient séduits par une femme et non une pinup. >>  

Itagaki exprimait une relation presque charnelle avec les combattantes de DOA, les montages photos distribués sur le web dévoilant ses petites protégées dans des déshabillés très suggestifs l'avaient profondément affecté. Un épisode facheux qui avait déplu à la direction. L'éditeur souhaite désormais donner une autre image de ses productions. L'exorcisme oratoire de Hayashi a un but purgatif, celui de faire table rase d'un passé outrancier qui avait fini par agacer.   Mais l'industrie se nourrit de ce genre d'escalade : surenchère technologique, folle promesse, dérapage verbal sont le lot quotidien qui fait la spécificité de ce secteur d'activité. Chercher à grandir c'est en quelque sorte aseptiser sa personnalité. Hayashi en est un triste exemple.