Ce domaine réservé aux trois constructeurs n'est plus roi. A entendre les nombreux intervenants de ce colloque, il devient même accessoire, voire tête de pont à des ambitions plus larges. Ce précarré vidéoludique est en effet devenu trop étroit pour satisfaire l'appétit démesuré des acteurs. L'enjeu véritable est le contrôle du salon, dans lequel se concentrent tous les appareils numériques qui gravitent autour de la TV souveraine. Depuis que l'activité commerciale du jeu vidéo est aux mains de géants industriels, il n'est plus fait mystère des intentions de chacun. Microsoft et Sony recherchent à tout crin des effets d'entrainement sur les diverses activités connexes dont ils sont aussi spécialistes : la musique, l'informatique, le cinéma, etc. Et cette synergie attire d'autres candidats : "des sociétés aussi diverses que Google TV et Apple TV, les câblopérateurs..." assure Ted Cohen du consultant TAG Strategic.

Le groupe Sony était représenté par Jack Buser, directeur des plates-formes Home et PSN. Selon lui, le géant de l'électronique grand publique a été le pionnier dans l'élargissement de l'offre des loisirs : "lorsque nous avons lancé la PlayStation 3 en 2006, elle était capable de proposer des jeux en haute résolution mais aussi de lire des films HD sur support Blu-ray. Nous avons été les premiers à introduire des services comme Cinema Now, Vudu, Hulu Plus, Nettflix, c'est véritablement un centre de divertissements dans le salon". Plus que le joueur lui-même (son statut) c'est assurément son style de vie qui est au centre des préoccupations de Sony. "Nous voulons faire partie de sa vie. Chaque décision que nous prenons se focalise sur lui, ce qu'il aime et comment il se comporte" résume clairement Jack Buser. Ce coeur de cible offre au groupe japonais la capacité de lui proposer toutes sortes de services complémentaires à sa passion du jeu vidéo. Fuyant les médias traditionnels, les entreprises de marketing ont parfois du mal à cibler cette population qui utilise ses propres supports pour s'informer : "les sociétés de médias et de marques découvrent que les formes traditionnelles de marketing telles que la publicité imprimée et Web n'arrivent plus à atteindre leur public, ils investissent des lieux comme le PlayStation Network afin de pouvoir les toucher".

Michael Pachter, diseur de bonne aventure pour le compte d'Equity Research et Wedbush Securities distingue trois gagnants dans cette bataille feutrée. Le plus grand bénéficiaire de la mutation des consoles de jeu vidéo sera le "contenu utilisateur". Aussi, des sociétés comme les fournisseurs d'accès à Internet auront leur rôle à jouer (déjà entamé avec free et sa Freebox) mais le meilleur départ est attribué à Apple : "c'est le Sony de ce siècle" assure Pachter. Les envolées lyriques du consultant médium sont aussitôt rattrapées par la fidélité d'entreprise exprimée par Jack Buser de Sony, et qui tient à replacer l'expérience historique du géant de l'électronique face à l'aventurisme tout frais d'Apple : "nous possédons un héritage conséquent qui s'est illustré par 15 années de lourds investissements dans la marque PlayStation [...] nous avons investi davantage que Nintendo et Microsoft réunis [...] Grâce au PlayStation Suite et au PSN, nous sommes maintenant capables de proposer des expériences sur formats indifférenciés". L'homme tiens à souligner l'attitude généreuse de Sony dans le domaine de la redistribution de royalties "qui a bénéficié à tous nos partenaires. Nous ne sommes pas comme certaines plates-formes de jeux vidéo" qui interpellent les studios de création sur la possibilité d'être dans le top 10 de l'Apple Store pour en définitive jeter une grande partie d'entre eux sur le carreau : "ceux qui ne seront pas sélectionnés peuvent aller voir ailleurs". Selon Jack Buser aucune société concurrente ne peut rivaliser avec la culture de proximité que Sony entretien avec ses partenaires.

L'analyste de comptoir Patcher, qui n'en est pas à sa première contradiction, admet que les constructeurs de consoles de salon sont mieux placés que les nouveaux arrivants : "ils possèdent un avantage concurrentiel énorme grâce à leur base de consoles installées. Je ne sais pas ce qu'il en est de la PS3, mais il y a actuellement près de 20 millions de foyers connectés à Internet depuis une Xbox 360 [...] comparé à Apple TV qui n'exploite qu'un marché de niche". Pour Sony, qui se refuse à avancer le moindre chiffre, l'arrivée de nombreux compétiteurs ne peut qu'être bénéfique pour le marché. Cette dynamique concurrentielle "ne peut que profiter à tous" ajoute, confiant, Jack Buser. Il était inévitable que cette audience soit soumise à la question existentielle qui agite actuellement l'industrie, la disparition pure et simple des consoles comme nous l'entendons aujourd'hui. Le seul représentant des trois grands concernés par cette évolution probable du marché n'a pas éludé cette éventualité : "le marché changera radicalement dans les dix prochaines années. Parce que nous concentrons avant tout notre énergie sur le joueur et le jeu vidéo comme forme divertissement numérique global, nous n'avons pas peur du changement. Nous sommes idéalement positionnés pour faire face aux transformations" du métier de Sony. La console n'est donc pas une finalité en soi, c'est la manière d'atteindre la satisfaction du joueur qui est déterminante. Peu importe le support.

La vulgarité des arguments de Patcher n'a d'égale que son ignorance ou son mépris des constructeurs ultra-spécialisés, en l'occurrence Nintendo. S'il corrobore les arguments de Jack Buser, l'analyste cartomancien à ses heures perdues tire à boulet rouge sur Nintendo : "Microsoft, Sony et Nintendo ont un intérêt commun à pousser leur public à produire du contenu utilisateur. Nintendo ne sait même pas qu'Internet existe, ils fabriqueront des consoles jusqu'à ce que quelqu'un leur explique". Le constructeur japonais serait le canard boiteux de ce trio, rejoint par les FAI et les câblopérateurs, celui qui n'aura pas pris la mesure de ces bouleversements sources d'opportunités. "Nous ne verrons pas ces changements de notre vivant" prophétise Patcher. Un extralucide averti en vaut deux.