Voyez-vous, je me suis récemment posé une question finalement peu originale en soi puisque déjà traitée par moult penseurs tels que Nietzsche : "Qu'est-ce qu'une réalité ?". Le luron avait en son temps abordé brillamment la question en défendant sa thèse selon laquelle le rêve est une réalité à part entière, ou en tous cas, n'est pas forcément moins réel que le monde que l'on parcourt en étant éveillé. Nous arrivons en 2012, et je me vois donc réjoui d'avoir à disposition de nouvelles technologies, en l'occurrence le jeu vidéo, qui m'ont permis, modestement, de prolonger sa pensée sous différents angles... Car oui, chaque jeu vidéo ou presque, a l'étrangeté de constituer pleinement une réalité qui lui est propre, à la façon d'un rêve ou même de notre réalité. Explications.

 

QU'EST-CE QU'UNE REALITE ?

Voici une question bien plus profonde  qu'il n'y paraît. Car à vrai dire, rien ne nous prouve déjà que la dimension dans laquelle nous sommes conscients de vivre en ce moment-même, est réelle. Nous pouvons éprouver de la douleur ? De la faim ? Nous pouvons mourir ? Et alors ? Et si la "vraie" réalité n'avait justement aucune forme, s'il n'y avait au contraire aucune possibilité de la percevoir ? Bref, nous ne sommes sûrs de rien, mais pour le moment, notre réalité perceptible est le seul référent que nous ayons. Je me baserai donc dessus tout le long de l'article.

-Pour commencer, une réalité se caractérise par le fait qu'elle soit établie sur un monde donné, lui-même constitué d'un écosystème cohérent, d'une nature, et de particularités qui lui sont propres. Et là, plus le temps passe, et plus je prends conscience que les jeux vidéo, notamment à monde ouvert, s'apparentent à des réalités. Prenons par exemple Red Dead Redemption qui, tout en transcendant ce qu'inaugurait déjà un certain GTA III il y a de cela dix ans, apporte une vraie cohérence à la formule et une densité inouïe dans le monde qu'il offre. Red Dead Redemption a réellement une nature et un écosystème vivants, il ne fait pas que mettre en scène des situations et des images pensées de A à Z par les développeurs. Car si l'on cesse de toucher à la manette, il continue de se passer des choses. Red Dead Redemption devient donc en quelque sorte un monde persistant en solo, à partir du moment où l'on allume notre console pour y jouer.

-Autre caractéristique d'une réalité : la notion de temporalité. En effet, dans chaque réalité, un être vivant a une durabilité et n'est donc pas illimité, ce qui fait de lui un mortel. Bien sûr, la quasi totalité des jeux impose aux personnages que l'on contrôle une vie qui, lorsqu'elle est épuisée, met fin à la partie. Mais cela demeure malgré tout dans le domaine du virtuel puisqu'il nous est toujours possible de recommencer à l'envie (à part d'obscurs jeux comme One Single Life). Je prendrais un exemple plus intéréssant : celui du jeu Fable, titre nous faisant incarner un héros qui lui, est bel et bien marqué par les affres du temps. Sa barbe de même que ses cheveux poussent au fur et à mesure, sans parler des rides qui ne se font pas prier pour envahir son minois. On a ainsi l'impression de contrôler un être vraiment crédible et pas forcément intemporel comme on en voit d'accoutumée. Un pas de plus qui nous éloigne du virtuel.

-Fichtre, comment pourrais-je continuer sans parler de l'intelligence artificielle ? Il n'aura sans doute échappé à personne que pour que cohérence d'un monde il y ait, intelligence il faut. Une intelligence, c'est finalement la capacité à réagir de la façon la plus adéquate et/ou crédible à une situation. Sur ce point, on peut en être certain, les intelligences dans les jeux vidéo resteront quoi qu'il arrive limitées, puisqu'artificielles. On peut les rendres surprenantes, proches de notre réalité, mais elles resteront toujours plus ou moins pensées par les développeurs, dans la mesure où l'on joue à un jeu solo. Mais si l'on prend du recul, nos intelligences à nous ne seraient-elles pas elles aussi limitées ? Peut-être que sans que nous le sachions, notre façon de penser est extrêmement scriptée ? Et puis quand on regarde un animal, ne peut-on pas voir en lui une sorte de robot programmé, d'objet animé ? Et j'irais même plus loin : la biologie, le fonctionnement des cellules, des corps, des naissances, de notre écosystème, n'est-ce finalement pas qu'une constellation de scripts et de codes ?

-Pour terminer ce chapitre, n'oublions pas que : qui dit réalité, dit limite. Chaque monde a ses limites, matérialisées sous forme de lois physiques, logiques et géographiques. Par exemple, dans notre réalité, il nous est impossible de voler (lois physiques). Dans un jeu, c'est tout naturellement le game design qui régit ses propres lois de la physique. S'il n'est pas prévu que nous puissions voler, on ne volera pas. Les lois restent néanmoins tout à fait malléables, mais ça n'en fait pas moins des composantes d'une réalité à part entière. Au niveau des lois logiques, je veux dire par là qu'il est inconcevable qu'il se produise des absurdités dans notre réalité. Par exemple, si je vois quelqu'un à un certain moment et à un certain endroit, cela défierait les lois de la logique si quelqu'un d'autre voyait cette même personne à l'autre bout du monde, à peine une seconde plus tard. Sur ce point, je vous l'accorde, le jeu vidéo a encore beaucoup de progrès à faire. Quelques ébauches de lois logiques sont cependant trouvables, si je reprends Fable comme référence. Car si l'on y décime tout un village, le village reste bel et bien décimé et ne respawn pas au premier temps de chargement venu ! Tout cela s'apparente finalement à une recherche de cohérence comme on pourrait en voir dans d'autres RPG comme les Fallout ou les Deus Ex, mais qui irait plus loin que les simples scripts pensés par les développeurs. Enfin, parlons des lois géographiques qui, si l'on fait abstraction de la supposée infinité de l'Espace, signifient que tout monde cohérent se doit d'avoir une limite géographique, donc d'étendue. Ici aussi, chaque jeu est placé dans un cadre spatial délimité, même s'il m'est déjà arrivé au cours d'une de mes expériences sur GTA : San Andreas, de constater le contraire ! En effet, j'ai eu l'insipide idée d'y prendre un avion, et de m'éloigner du territoire du jeu. Après quelques minutes de vol, la terre ferme n'est plus visible, et on ne survole qu'une mer à perte de vue. Et bien sachez que j'ai volé comme ça durant une heure et demie montre en main ! Et qu'il m'a fallu exactement le même temps pour revenir à mon point de départ en repartant en arrière ! Qu'est-ce que cela prouve ? Ca prouve tout simplement que le monde de GTA : San Andreas est infini. Alors bien sûr, durant ces heures de vol, il ne se passait pas grand-chose, hormis des changements météorologiques. Mais toujours est-il que cette heure et demie d'espace parcouru, a bel et bien été parcouru. Car si je n'avais fait que traverser la même boucle, le retour se serait fait beaucoup plus rapidement que l'aller... La parenthèse étant fermée, cela me permet de dire que quelques exemples comme celui-çi persistent à me compliquer la tâche dans ma réflexion. Parce que d'un côté, le fait que le monde de GTA : San Andreas soit infini le rend d'autant plus virtuel et improbable, mais de l'autre, le fait qu'une de ses lois géographiques ne soit pas dirigée directement par les développeurs (cette infinité a dû être programmée par une succession sempiternelle de codes) le fait se rapprocher d'une réalité...

 

CHACUN SA ROUTE, CHACUN SON CHEMIN

-Rares sont les jeux à nous fixer des objectifs palpitants. Peut-être est-ce car l'Homme a, historiquement, toujours eu du mal à avoir des objectifs dans sa vie... Pour moi, le jeu m'ayant le plus émoustillé à ce propos est sans doute The Path qui, malgré son gameplay un peu pourri, m'a réellement poussé à me questionner sur les objectifs que je devais ou non me fixer moi-même. Sur ce point, le jeu vidéo a donc un champ totalement libre pour nous apprendre quelques leçons de vie, au cas où. (A propos de leçons de vie, je conseille à tout le monde de jouer à But That Was Yesterday, Catherine, mais aussi Demon's Souls et Dark Souls)

-Maintenant, il existe des jeux qui nous font suivre un chemin bien défini, mais que l'on peut parcourir de façon tellement unique, que cela nous donne la sensation de vivre quelque chose que personne d'autre ne vivra, une sorte d'accomplissement exclusif, tel une vie dans notre réalité. Le meilleur représentant de ce concept est évidemment Heavy Rain et ses embranchements "définitifs" qui nous font faire des choix innéfaçables. L'implication du joueur est alors tout autre et là, on peut vraiment affirmer qu'une barrière entre le réel et le virtuel a été franchie. Parallèlement, je pense aussi aux mondes tels que Minecraft, Daggerfall ou Skyrim qui, en plus d'être gigantesques, sont générés aléatoirement ce qui, dans une moindre mesure, nous fait également vivre une expérience s'apparentant à notre vie : on est dans un monde dans lequel il est inconcevable de tout voir à 100%, des tonnes de détails sont disséminés partout, mais on n'en voit qu'une infime partie, désignée selon notre parcours.

 

LE MYTHE DU BUG

-Inutile d'expliquer ce qu'est un bug dans un jeu vidéo, tant sa réputation n'est malheureusement plus à forger. En revanche, je suis intimement persuadé que des bugs sont aussi présents dans notre réalité. Si je vous parle de surnaturel, de phénomènes "impromptus" et non prévus qui briseraient presque les lois de la logique, ça vous inspire quelque chose ? Je ne parle pas forcément des vampires, loups garous ou autres zombies et dame blanche qui ne sont que des contes pour enfants, ni des références traitées par la série X-Files (même si certaines d'entre elles se sont avérées vérifiées), mais bien de quelque chose que j'ai moi-même vécu. Malheureusement, je ne peux pas vous en dire plus, car cela rentrerait dans le domaine du privé, mais j'ai déjà vu de mes propres yeux des phénomènes de "sorcellerie-like" que je pensais jusqu'alors impossibles. Des histoires de concordances de dates, de numéros et d'évènements qui je vous assure, ne sont pas nés d'une quelconque paranoïa. Tout ça pour dire que les bugs existent même dans notre réalité et que du coup, nous ne sommes encore moins sûrs de quoi que ce soit...

-Autre parallèle avec les phénomènes imprévus, celui des découvertes de nouvelles lois. Selon moi, quand Newton a découvert la loi de la gravité en se prenant une pomme sur la tête, c'est exactement comme du gameplay émergent. Le principe revient pareillement à s'aperçevoir d'une nouvelle loi cohérente, pas forcément pensée à la base. Tout comme dans Skyrim, on découvre qu'aveugler les vendeurs avec un panier en osier nous permet de rafler l'intégralité de leurs étals en toute impunité.

 

QUAND REEL ET VIRTUEL SE RENCONTRENT

Aujourd'hui, le jeu vidéo demeure encore figé dans ses carcans d'antan, du moins en termes de périphériques. On reste finalement devant son téléviseur manette en main, comme au tout début. Mais le jour où on fera réellement intervenir tous nos sens (olfactifs, gustatifs et tactiles en plus donc) en ajoutant à cela le contrôle par la pensée, je peux vous dire que l'immersion sera telle que plusieurs réalités pourraient s'ajouter à la nôtre, et ainsi mettre au monde de vraies dimensions parallèles. Sera-ce réellement l'avenir du jeu vidéo ? Est-ce dangereux ? Beaucoup de questions se posent. Toujours est-il que le jeu vidéo a un beau futur devant lui, et que son importance dans l'avenir du monde pourrait peut-être devenir plus cruciale que ce que l'on croît. Bon, je m'en vais regarder Matrix une énième fois...

Ce qui me fait rire en relisant mon article, c'est qu'une des conclusions  qu'on peut tirer de tout ça, c'est que les développeurs de jeux vidéo, créateurs de mondes et de réalités, s'apparentent de plus en plus à des sortes de... dieux.

Leobiwan