Une vision biaisée du média

Pourquoi n'évaluons-nous pas les scénarios de jeu vidéo pour ce qu'ils sont réellement ? Le problème a deux sources, selon moi.

1. D'abord une profonde mauvaise foi collective. On trouve toujours des excuses. D'un côté certains osent prétendre que le jeu vidéo, c'est encore mieux que le cinéma, mais d'un autre côté, ils excusent toutes ses faiblesses par le fameux :"Non mais c'est du jeu vidéo !" Ainsi, tout ce qui peut nuire à un scénario de film, à une trame de roman ou de bandes dessinées, tous ces problèmes s'évaporent comme par enchantement dans le royaume naïf du jeu vidéo. À lui, la débilité la plus crasse est permise, chez lui, les incohérences n'ont strictement aucune importance car "c'est du jeu vidéo". Si Transformers est majoritairement considéré comme une merde par un public amateur de cinéma, Uncharted 2 devient, avec les mêmes recettes scénaristiques, un jeu passionnant à suivre...

Évidemment, le statut de jeu vidéo pardonne certains approximations, de même au cinéma nous pardonnons la condensation de l'action, des libertés prises avec la réalité, mais tant que cela sert le film. Lorsqu'au contraire cela nuit à notre plaisir au point de nous faire sortir du film, nous avons là ce qu'on appelle un défaut. Et les défauts du jeu vidéo sont très souvent pardonnés, même et surtout quand ils sont gigantesques. Le rythme poussif des cinématiques de la licence Metal Gear Solid, ses personnages nanardesques, la beauferie ambiante de la mise en scène ont eu pour résultat d'élever Hideo Kojima au rang de... génie...

2. L'autre problème, c'est qu'à force de manger de la merde, on finit par y prendre goût. J'ai aimé le scénario d'Uncharted 1, et aujourd'hui je sais pourquoi. Ce n'est pas une question de qualité. En fait les scénarios de jeu sont si pourris qu'à l'époque je me contentais d'une forme réussie. Uncharted 1 est bien doublé, avec des personnages bien modélisés, bien animés, une trame linéaire cohérente et une mise en scène plan-plan. Ça le met au-dessus de 98% de la production. Et pourtant ça reste de la série B sans saveur, le genre de trucs qu'on n'irait jamais voir au cinéma, du direct-to-DVD avec la mention direct-to-poubelle. Des personnages insipides et inconsistants dans une trame à grosses ficelles. Mais j'avais aimé à l'époque, car mon taux d'exigeance était terriblement bas. Une autre façon de se dire "Oui mais c'est du jeu vidéo"...

Et souvent les oeuvres les mieux scénarisées du jeu vidéo, ou que nous considérons comme telles, sont en fait complètement foireuses. Grand Theft Auto 4, Red Dead Redemption, Metal Gear Solid, autant de licences qui sortent à peine la tête de la nullité ambiante et auxquelles on accorde un peu vite, avec beaucoup trop de naïveté et d'enthousiasme, un statut de qualité non mérité. Elles font à peine mieux, et parfois elles font pire mais avec panache, que le reste de la production.

Un constat navrant

Aujourd'hui, je ne me dis plus "Oui mais c'est du jeu vidéo", je ne tolère plus rien. Il y a une manière beaucoup plus simple et parlante pour savoir ce que vaut un scénario de jeu vidéo, c'est de se l'imaginer sur un autre support, approprié à son style. Par exemple, imaginer God of War en animé, du style du Batman des années 90. Uncharted avec de vrais acteurs et les mêmes dialogues. Infamous en comics. Le constat s'impose de lui-même. Uncharted c'est du Sidney Fox (et non, comme on aime le dire, du Indiana Jones). Infamous accumule les héros sans charisme. God of War s'en sort honorablement tant qu'il reste au niveau d'un Ken le Survivant.

Puis il y a les constats qu'on refuse de voir. Il y a deux adaptations plutôt réussies de jeu vidéo au cinéma. Silent Hill et Prince of Persia. Ce sont tous les deux des films de qualité médiocre, ça oui, mais ce sont de bonnes adaptations. Dans Prince of Persia, on retrouve la Perse en carton-pâte du jeu, un héros canaille et rigolo au faciès occidental à qui on a une furieuse envie de mettre des baffes, une trame naze aux enjeux caricaturaux. Dans Silent Hill, on retrouve les dialogues simplistes du 1, les personnages réalistes mais écrits à gros traits, et une trame somme toute banale.

Mais on se refuse à le voir, en se disant que ces adaptations ne sont pas dignes des oeuvres originales, qu'elles ne communiquent pas l'ambiance. En vérité, elles sont très fidèles, cruellement fidèles. L'ambiance dont on parle, elle venait du gameplay, non du scénario. J'ai revu Silent Hill récemment, j'ai comparé en regardant une partie du 1 ; le jeu au-dessus de 98% de la production, et la mise en scène pour de la PS1 force le respect encore aujourd'hui. Mais cette inexplicable latence dans l'échange des dialogues, ce rythme mou du genou, ces costumes simplistes qui font Halloween (policière, infirmière)... Tout qui donne envie de lâcher l'affaire.

Comment cela se fait-il que GTA4 soit si grotesque, caricatural et incohérent, et que The Trahmaster, un petit film fait à partir du moteur du même jeu, transcende ses personnages en polygones ? Qualité d'écriture et de mise en scène, sens du rythme. Je ne dis pas que The Trashmaster est génial, je ne l'ai d'ailleurs pas vu jusqu'au bout (la vidéo fait ramer mon PC). Mais il m'a fait oublier que je regardais une cinématique de jeu vidéo. J'étais dedans, j'avais envie de connaître la suite pendant mon visionnage d'un quart d'heure, quand les cinématiques généralement m'épuisent au bout de deux minutes tellement elles sont connes. Les seules fois où j'ai ressenti cela avec du jeu vidéo, c'était avec L.A. Noire, Shadow of the Colossus, et Final Fantasy Tactics.

Avant que le jeu vidéo devienne un art, il aurait surtout besoin de sortir de sa profonde débilité scénaristique. Qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas écrit. Je ne parle aucunement de jeux plus réalistes, plus sérieux, etc. Je parle de scénarios mieux écrits, quel que soit leur genre. Que Kratos puisse tuer femme et enfant parce qu'il y a de la fumée et donc il les a mal vus... et qu'après on ose se dire que le remake du Choc des titans est une sombre daube... Deux poids, deux mesures.