Destiné aux Hardcore Gamers en soif de high score, Ikaruga est
devenu, à travers ce qu'il propose, un objet de contre/sous culture
vidéo ludique, alors qu'il trônait auparavant comme standard. Au loin
de cette liberté tant souhaitée qui, à tort, risque de devenir la seule
variable pour juger la qualité d'une production, le shoot'em up est un
genre en voie d'extinction, qui se cristallise dans nos mémoires et qui
laisserait même échapper de la bouche des plus vieux joueurs : « c'était
mieux avant ». Mais voilà, Ikaruga, production inédite (certes suite
spirituelle de Radiant Silvergun), n'est pas qu'une brève résurgence
d'un genre désuet.

 Le jeu s'axe entièrement autour de règles bien particulières basées sur
deux énergies opposées, symbolisées par le blanc et le noir. Le
vaisseau, l'Ikaruga, peut changer de polarité à volonté contrairement à
ses ennemis. Lorsque l'avion de combat est blanc, il peut absorber tous
les tirs blancs qui alimentent une jauge, pour déclencher une attaque
spéciale. Si le joueur abat un vaisseau de la même couleur, il subit un
retour de feu qu'il peut absorber ou le détruire. En effet, changer de
couleur trop rapidement peut-être fatal, un seul impact signifiant
l'explosion du vaisseau. Aussi, les dégâts seront doublés contre des
ennemis à la couleur opposée, les évinçant avec facilité, mais forçant
le joueur à les abattre en se mettant dans des situations à risques.

Là où le jeu va plus loin, c'est dans l'utilisation du « chain
bonus » ou de l'enchaînement. Si l'Ikaruga abat trois vaisseaux ennemis
de la même couleur, le score est doublé. S'il réitère, le dernier score
est doublé, lançant, à priori, le joueur dans une quête effrénée des
points, de manière exponentielle.

Ikaruga fait sa petite révolution. Une révolution parce qu'Ikaruga
ne
s'entrave pas de ce gameplay comme contrainte qui pourrait faire
chanceler l'œuvre. Comme tous les autres Shoot'em up, il puise son
intérêt dans le scoring (course au score). Mais au lieu de s'attarder
sur l'acuité visuelle, les réflexes, Ikaruga tire son essence dans la
sublimation de son système de jeu, exigeant. Souvent frustré, la
réussite du joueur n'en est que plus jouissive, addictive. A ce sujet,
il faut être sans appel : jouer et finir Ikaruga sans respecter sa
vision est
un geste absurde.

Découpé en seulement cinq chapitres, le jeu est ridiculement court
tout en étant doté d'une difficulté hors norme, ou d'un autre âge, au
choix. C'est notamment grâce à cet audacieux découpage en mouvements
que le jeu atteint le summum de son intérêt.

Ikaruga est conçu comme un spectacle chorégraphié dont chaque
chapitre est le mouvement d'un ensemble. A travers ces chapitres, le
joueur devra faire montre d'une rigueur et d'une pugnacité pour
atteindre la perfection. Vagues
d'ennemis aussi redoutables qu'esthétiques, musiques tonitruantes et
effets hypnotiques de ces grands mouvements géométriques, le joueur
zigzague à travers les nuées des tirs et d'engins, en quête de points.
Répéter encore et encore les séquences, inlassablement, pour les
retenir par cœur. Le vaisseau est l'acteur principal d'une action
millimétrée. Ne pas tirer, voguer à travers un passage peu aisé, éviter
in extremis de tirer sur un vaisseau pour ne pas détruire son précieux
chain bonus, enchaîner une phase dont le moindre écart de timing se
résumerait en game over, changer de polarité avec intelligence, puiser
dans le level-design aussi époustouflant de beauté, de génie que
magnifiquement machiavélique, user de toutes les possibilités comme
tremplins à arracher le fameux high score, le jeu est sans aucun doute
d'une rare intransigeance flirtant avec
l'impossible.

C'est au joueur de trouver sa voie, sa manière de jouer chaque
monde pour en tirer le maximum. Sa maîtrise se rapproche de celle d'un
musicien virtuose. S'accaparer le jeu pour se le faire sien. Face à ses
concurrents, il puise dans tout l'éventail des variations, autant de
nuances comme possibles interprétations de l'œuvre. Après des heures «
d'étude », il n'est pas rare que le joueur, devenu entre temps musicien
du paddle décroche son attention de l'écran et laisse ses pouces
continuer son ballet : mouvements intégrés par l'esprit, retranscrits
par automatisme.

A travers sa proposition, Ikaruga impose au joueur une recherche
autant technique qu'esthétique. Il serait même peu surprenant que le
joueur délaisse sa quête du score pour ne jouer que par quête du geste
parfait.

En ce sens, nous pourrions aller jusqu'à affirmer que le jeu, à sa
manière, dégage une aura aussi inattendue que parfaitement réussie. Et
nous pourrions même aller jusqu'à affirmer que si le jeu vidéo n'est
pas un art, Ikaruga, à sa manière, rend le joueur artiste.

 

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