Bonjour Nadim Haddad, tu es Game Designer et Producteur chez Pastagames et ma 1ère question concerne justement le studio, pourquoi ce nom et depuis quand êtes vous dans le milieu du jeu vidéo ?

« Pastagames à la base est une société qui à été créée par 3 amis venant du sud et aimant le Pastis donc le Pastaga. A la base, c'était Pastaga.org, un site internet, puis l'opportunité de faire des jeux sur téléphones mobile leur a fait rajouter les lettres M.E.S. à la fin de leur nom et ça a donné Pastagames. La société à 10 ans déjà, a eut plusieurs vies, fait plein de choses sur différents supports. Des jeux en flash, sur mobiles donc, sur DS, pour Fluide Glacial même à l'époque, vraiment plein de choses. On est actuellement dans une nouvelle phase avec Pastagames, nous faisions spécifiquement de la DS pendant longtemps, maintenant, on s'ouvre à de nouvelles plateformes, naviguer dans différents domaines, voir où l'on peut s'amuser, faire des jeux qui valent le coup, qui rencontre un public parce que faire des jeux auquel personne ne joue, ça ne sert à rien. »

Peux tu nous expliquer ce qu'est Maestro ! Jump In Music ?

« Maestro ! vient d'une conclusion simple, nous sommes tous des joueurs de jeux de plateforme, on adore ça, je pense qu'aucun d'entre nous ne pourra dire le contraire. Et on s'est dit que les jeux de plateforme, spécifiquement les plus durs, sont au bout du compte des jeux de rythme. Ce sont des jeux où une séquence d'action doit être menée dans le bon ordre avec le bon tempo afin de passer le niveau. Quand tu joues à Megaman 3 par exemple, tu es parfois obligé d'apprendre les niveaux par cœur, limite fermer les yeux du genre à telle seconde tu dois te baisser ou sauter, etc... C'est tout simplement une rythmique. Nous nous sommes dit, tant qu'à faire, pourquoi ne pas assumer cette conclusion et d'en faire un jeu. Faire un jeu où la plateforme et la musique vont de paire et sont indissociables, où chaque action sera à la fois une action de plateforme (sauter, descendre, taper, etc...) et à la fois une action musicale ( jouer une note de guitare, taper un ennemi donnant un son de batterie, etc...). Voilà d'où est né le projet Maestro ! Jump In Music. »

Quelles sont les inspirations principales du jeu ?

« Elles sont très vastes, déjà nos 1ères inspirations sont des jeux que nous avons fait dans le passé. On avait fait un 1er jeu qui s'appelle Electrics Panic sur téléphone portable, qui était un jeu à UNE SEULE TOUCHE. Les contraintes étant énormes, on ne pouvait pas faire mieux qu'une touche. Il n'y avait pas de croix sur tout les téléphones de l'époque, donc quand tu es développeur, graphiste, game designer et qu'on te dit de créé un jeu vidéo avec UNE SEULE TOUCHE, sans croix ni plusieurs boutons, tu te dis : ok je vais le faire.
Electrics Panic, c'est un piaf jaune qui saute sur des cordes où il y a du courant électrique qui passe, et bien sûr il faut sauter au bon moment. Plus tu presses la touche longtemps, plus ton saut est haut (tu récupères des items, etc...). Donc on avait adoré ce jeu, avec un rendu très plaisant malgré les 3 pixels sur 3 pixels, un son de qualité médiocre, des contrôles difficiles et un programme qui ne pesait que 26 ou 28 ko, je ne sais plus exactement.
On s 'est dit que ça vaudrait le coup d'en faire un « vrai jeu » un jour, avec toutes nos idées que l'on voulait intégrer, mais qui avec les contraintes précitées, nous ne pouvions pas faire à l'époque.
Nous avons d'autres inspirations dans le domaine du jeu vidéo, je vais parler en mon nom, car d'autres personnes du studio ont leurs propres références. Personnellement, ma principale c'est REZ ( créé par le génial Tetsuya Mizuguchi), c'est ma plus grosse claque en matière de musique et jeu vidéo (note de L.A. : je suis du même avis). Pour moi, c'est la 1ère fois où j'ai fait le lien qu'un jeu c'était beaucoup plus que simplement s'amuser en jouant. C'était une expérience complète, le mélange PARFAIT du visuel, de ce que tu ressens , entends, etc... REZ m'a ouvert les yeux, et je me suis dit qu'un jour je ferai un jeu de musique. Mais je précise qu'il n'y a aucune référence directe à REZ dans Maestro !
Par contre, la référence plus directe au jeu c'est OSU TATAKAE OENDAN (Elit Beat Agent en occident), sur certains systèmes d'information et pas mal de codes visuels (les cercles qui se rejoignent pour indiquer le moment précis où taper en rythme sur les ennemis, etc...). On a récupéré des choses qui ont été très bien faites dans ce jeu, on les a adaptées à notre sauce, et on s'est dit que si les développeurs avaient passés pas mal de temps à chercher des trucs pour leur jeu, de notre coté, nous avions d'autres problèmes à gérer. Honnêtement, on leur a piqué pas mal d'idées directes, d'autres dérivées qu'on a déformé mais que nous avions adoré.
Il y a aussi des inspirations de Taiko No Tatsujin (de Namco/Bandai), avec un gameplay très proche des roulements de tambours, quand il faut taper sur un poulet Mexicain (VERIDIQUE). Au bout du compte, les gameplay sont assez proches mais diffèrent par la façon dont ils sont intégrés, mis en valeur dans le jeu.
La différence majeure de Maestro par apport aux autres jeux du genre, c'est d'abord la couche plateforme qui est importante, ainsi que les différences que tu as d'un niveau à l'autre. Tu vas jouer dans une certaine zone de l'écran avec un gameplay basé sur la rythmique, d'autres où il va falloir jouer avec des contre temps, des accords précis dans d'autres zones de l'écran, faire de grands gestes avec son stylet, parfois gratter très vite, etc... Nous avons voulu faire un jeu où en fonction de ton évolution, tu ai un plaisir de jeu concret avec ta main, le stylet, l'écran . Que tu ai plein d'approches différentes, que tu ressentes du plaisir à jouer par le physique aussi. Plein de gameplay utilisant à fond le hardware de la DS. »


(p'tit moment de détente pour les créateurs de jeu)

Maestro ! Jump In Music va être distribué par Big Ben, pourquoi ce choix ?

« Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d'abord Big Ben à de très gros réseaux de distribution en Europe, ils ont la possibilité de mettre notre jeu dans de très grandes surfaces, ce que d'autres distributeurs ne savent pas faire. La 2ème raison de ce choix, c'est que nous avions l'ambition de faire des goodies avec Maestro ! , genre un médiateur, un casque avec micro pour la partie chant du jeu (SCOOP). Au bout du compte, on a préféré ne pas continuer dans cette voie pour différentes raisons, et on s'est même rendu compte en essayant des médiateurs vendus avec d'autres jeux par exemple, que ce n'était pas une bonne idée. Ce n'était pas aussi jouable qu'avec le stylet de la DS, qui est lui, plus efficace. »

Quels sont vos objectifs pour Maestro ! Jump in Music ?

« L'objectif de Maestro est clairement de plaire à ceux qui vont y jouer !!! Que les gens qui y jouent prennent leur pied de la 1ère à la dernière seconde et soient incapable de le lâcher. C'est un jeu musical donc la replay value est assez conséquente, on peut rejouer les morceaux jusqu'à les maîtriser parfaitement. Nos objectifs de vente sont différents en fonction des versions, même en terme de marché qui ne sont pas forcement adaptés à un support ou à un autre : les casuals, les enfants, les hardcores-gamer pour les niveaux les plus élevés, les adultes aussi qui se mettent au jeu vidéo, qui peuvent l'apprécier rien que pour la bande son. Toucher aussi ceux à qui les parents ont offert le jeu pour leur faire découvrir Erik Satie, Beethoven, etc...
Il y a beaucoup de façons d'aborder le jeu, différents plaisirs à en tirer. On va sûrement toucher un public de Plateforme, très certainement un public friand de jeux musicaux parce que la musique est ESSENTIEL dans Maestro, TOUT EST MUSICAL DANS LE JEU. On veut aussi attirer les rétrogamers qui aiment les pixels, la 2D, etc...Notre jeu ratisse large, mais il a de quoi plaire à beaucoup de monde et fédérer différents plaisirs de jeux. »

Maestro ! sort sur DS en boîte, mais aussi sur DsiWare et iPhone. Pourquoi 3 versions du jeu ?

« Dans les versions Dsi et iPhone, il y a des choses qu'il n'y a pas dans la version DS et inversement. Maestro sur Dsi est une toute petite version qui coûte très peu chère, je n'ai pas le détail exact, mais c'est environ 300 ou 500 Nintendo Points. La version DS sort dans les réseaux de distributions classiques et reste la plus complète des 3 versions.
Il y a plusieurs intérêts à faire les versions Dsi et iPhone, le 1er est de toucher un public qui consomme des petits jeux efficaces, rapides, qui ne demandent pas de s'investirent sur du long terme pour diverses raisons (famille, travail, etc...). Uncharted 2 et Batman Arkam Asylum qui sont des jeux que nous trouvons un peu courts, qui durent environ 10 à 15 heures pour un prix de 70€, sont beaucoup trop long pour ce public. Ils ont envie de format plus condensé avec un plaisir de jeu immédiat, sans une longue et fastidieuse courbe d'apprentissage, ils veulent rentrer tout de suite dans le truc. Pour les versions Dsi et iPhone, on a choisit un sous ensemble de la version DS et on a ajouté de nouveaux morceaux, de nouveaux environnements graphiques, etc... On a surtout réussi à extraire la partie la plus basique du jeu, le fondement même de Maestro sans rentrer dans les détails, les fioritures qui évoluent au fur et à mesure dans la version DS. Par ces « petite versions », on aimerait donner l'envie à ces joueurs de prendre la version DS. »

Combien de personnes ont participé sur Maestro ?

« Pastagames est un tout petit studio, on peut difficilement faire plus petit. A la base, on est 5 : un graphiste 2D, un graphiste 3D, 2 développeurs, et un game designer. C'est la Core Team, la base. Pour ce projet, on a différentes personnes qui sont venues travailler avec nous. Julien Harinkouck (qui a fait un boulot merveilleux) nous a aidé à développer ainsi que Laurence Guermont qui nous a fait des illustrations sur Maestro pour donner un coup de main aux graphistes. Et bien sûr, on a nos deux acolytes musiciens : Yubaba, Smith & Fortune qui nous ont accompagné depuis le tout début du projet mais qui ne sont pas salariés Pastagames, ils ont une structure indépendante. »

Justement, pourquoi Yubaba, Smith & Fortune ?

« Pour plusieurs raisons : premièrement et sans être présomptueux, ce sont les meilleurs, à chaque fois qu'ils bossent sur un jeu ils gagne le prix Milthon de la meilleur bande son. Une des raisons pour laquelle ils sont aussi fort en ce qui concerne les jeux vidéo et surtout sur DS, c'est que l'un d'eux est un ancien développeur avec qui nous avons travaillé dans une « autre vie de Pastagames ». Il connaît toutes les contraintes technique du codage, du hardware, etc... Ce qui fait qu'il réussit à exploiter les consoles au mieux, ce n'est pas un musicien qui n'a aucune idée du fonctionnement d'une console.
Ils ont un talent fou, personnellement j'en suis fan (note de L.A. : moi aussi), il font des choses extraordinaires. Sur Nervous Brickdown, Big Bang Mini (d'Arkedo) et Soul Bubble (de Mekensleep), les musiques n'ont rien à voir même au sein du même jeu. Ils ont une diversité de création musicale, le tout en MIDI et sur DS.
Ce sont des amis avec un vrai rapport de confiance, ça fait longtemps qu'on se connaît. Sur les 3 ans de développement, on se voyait pratiquement toutes les semaines, on déjeunait ensemble, s'échangeaient des idées.
Dans Maestro, il y a beaucoup d'idée de gameplay qui viennent directement des Yubaba. Un exemple simple : Screamin' Jay Hawkins (I Put A Spell On You dans le monde aquatique). On avait un souci car ce morceau tient sur le voix de Screamin' Jay Hawkins, il crie, fait des choses de folie tout le long du titre. On ne pouvait pas retranscrire sa voix dans le jeu, parce qu'on a pas les droits, on a les droits sur la composition, pas l'interprétation. Donc il a fallut travailler la voix pour la transformer en un instrument. Mais pour rendre ne serait ce que le quart du dixième de la folie de Screamin' Jay Hawkins quand il chante, il fallait trouver des idées mais aucunes ne nous convenait. Alors on a laissé mûrir, et on s'est attelé à d'autres parties du jeu.
Au bout d'un certain temps, les Yubaba nous disent avoir trouvé une idée : ce sera une anguille qu'il faudra gratter (comme la mandoline dans le monde romantique) pour faire lâcher des bulles qui feront la « voix » de Screamin Jay Hawkins. On a pu se permettre des folies dans le son, avec un rendu graphique un peu différent car si tu mets juste une corde par exemple, tu la gratte et tu t'attends à un son direct, pareil quand tu shootes un petit angelo dans le monde baroque, il faut un son percutant, impactant. Un son de violon quand tu tapes un ennemi, ça n'a pas de sens, donc il nous fallait quelque chose à la fois en gameplay, graphiquement, sonore et qui bien sûr ait du sens.
Les Yubaba ont participé à toutes les couches de la production, ils ont autant d'importance que Pastagames sur Maestro ! Jump in Music. »

(Nadim en plein boulot)

Allez vous bosser sur PSP, vu que le prix du kit de développement a baissé ?

« Alors pour être clair, on a un kit de développement mais on attend de voir si le marché de la PSP GO vaut le coup car il y a beaucoup de soucis avec cette machine, ils arrivent avec un catalogue de jeux gigantesque, des gros jeux et je ne pense pas qu'il y ait de la place pour la nouveauté, même si je l'espère. Pour le moment on patiente, voir si c'est viable.
En l'occurrence, on va bosser sur un projet « alimentaire », notre 1er jeu PSP, peut être faire un petit moteur spécifique à la console pour pouvoir optimiser le rendu mais on prend notre temps. »

Quid du XBLA, PSN et le WiiWare ?

« Nous sommes beaucoup intéressés par ce marché. Pour être honnête, on a eu une proposition, ça a limite été un peu plus loin mais pour le moment, ce n'est pas prévu. On voulait absolument imaginer un gameplay de Maestro sans contrôle. Avec le projet Natal, éventuellement concevoir un jeu où vraiment on bouge avec les mains, une interaction directe, gratter sur l'écran, etc... Comme un chef d'orchestre.
Sur la Wii, c'est un petit peu plus difficile à imaginer avec une Wiimote même avec le Nunchuk, trouver d'autres gameplay paraît compromis et compliqué.
Adapter un jeu pour adapter n'est vraiment pas notre but, pas faire des one shot non plus mais presque. On fait des jeux pour leur support, optimiser au maximum le rapport entre le jeu et le hardware, limite violer le hardware parfois. Typiquement, pour Maestro sur DS, la reconnaissance du micro n'était pas suffisante à notre goût, on a une partie chant dans le jeu, et il ne distinguait quasiment qu'ON/OFF, pas les tonalités, les attaques, etc... Donc on a travaillé avec la société Voxler, qui nous a fait un moteur de reconnaissance vocale beaucoup plus puissant, plus aboutit pour pouvoir profiter à fond sans être contraint par les limitations hardware et software. On veut pousser au maximum ce que chaque console peut nous donner et on ne veut sûrement pas porter le jeu pour simplement le porter.
Dans tous les cas, si Maestro sortait sur d'autres plateformes, il aurait certainement de très grosses modifications. »

Entre Arkedo et Pastagames, en dehors de partager les mêmes locaux, quelles sont vos relations ?

« On partage nos lits, nos femmes, on partage tout avec Arkedo (lol). On a tous travaillé ensemble, à part peut être une ou deux personnes, dans une ancienne société (qui n'existe plus) créé par Camille Guermonprez (le fondateur d'Arkedo). On a fait des jeux sur téléphones pendant deux ou trois ans au moment où le marché du téléphone mobile était soit disant porteur. C'était un casse tête pas possible, 400 versions d'écran, pas de croix gérée sur tous les mobiles, le son, etc... Bref, certains sont partis et ont fondé le studio Arkedo, et ont commencé à développer des jeux sur DS, on a suivit leur exemple.
Au début, on ne partageait pas les mêmes locaux, mais on s'échangeait pas mal d'expérience sur la DS, Arkedo nous a beaucoup aidé sur telle ou telle façon d'utiliser le hardware ou le software. Donc on a pas mal appris, on déjeune, on travaille ensemble avec une vraie interaction, main dans la main depuis un bon moment déjà. Même si des vitres nous séparent, nous sommes très proches. »

Petite question subsidiaire ; Quel est pour toi le jeu de l'année 2009 ?

« C'est Batman sur PS3, sans aucun doute, qui est une petite merveille de gameplay. C'est assez simple, ça ne va pas chercher très loin, il ne réinvente pas la roue à chaque moment du jeu, mais le gameplay est super équilibré, bien foutu, le système de combat est merveilleux. Je trouve vraiment ce jeu, à beaucoup d'égard, comme étant ma claque de l'année en terme de grosse production à licence. »

Fin de l'interview de Nadim Haddad en vidéo avec 3 mots pour résumer Maestro! Jump in Music.