On le sait depuis qu'il a rejailli à l'E3 dernier, lors duquel il avait fait sensation. Splinter Cell : Conviction joue plus que jamais la carte de l'action. La série nous a habitués auparavant à une forme d'infiltration centrée sur l'observation, en vue d'une progression chargée de précautions et si possible parfaite, sans laisser de traces. Même s'il continuera de planifier dans l'ombre, ce Sam-ci est plus sombre, plus violent, plus que jamais en phase avec les héros du cinéma et du petit écran que sont les Jack Bauer et autres Jason Bourne. Alors qu'avant, il ne laissait rien qui puisse indiquer son passage, c'est une traînée de cadavres qui marquera désormais son sillage.

Un seul être vous manque et tout est à dépeupler

La mort de sa fille Sarah, écrasée par un chauffard ivre, aura laissé Sam Fisher dans un état très particulier. C'était déjà le point de départ de Double Agent - dans lequel Sam s'éloigne déjà peu à peu de son rôle de Splinter Cell "officiel". Parfaitement inscrit dans la continuité de ces profonds changements que traverse Fisher, Conviction s'ouvre sur une terrasse de café, lorsqu'une oreillette et un GSM sont apportés sur un plateau au Lieutenant Commandeur. À l'autre bout du fil : Anna Grimsdottir, la cyber-spécialiste d'Echelon 3, qui le lance directement dans le feu de l'action, puisque des hommes armés sont sur le point de lui tomber dessus. De ce départ sur les chapeaux de roues, Sam n'est pas près de se remettre puisqu'il se retrouvera vite au beau milieu d'une conspiration terroriste qui le mènera jusqu'à un final assez réussi à la Maison Blanche. Entre temps, si l'ensemble reste très action, il est aussi suffisamment varié ; sans trop en dévoiler, on retiendra une course poursuite à pieds, une écoute au micro directionnel, une scène de rage pure dans laquelle Sam abandonnera toute subtilité pour des exécutions en chaîne, ou encore un flashback sinon très intéressant ludiquement, du moins agréable scénaristiquement.

Moi vois, moi marque, moi tue

Cette nouvelle optique d'infiltration meurtrière se perçoit non seulement dans le ton de l'histoire, axée sur des motivations purement personnelles de Fisher (tout du moins au début), mais aussi dans le gameplay et en particulier sur des mécaniques centrales. Le Mark & Execute, comme nous en avons déjà parlé, offre la nouveauté la plus intéressante, mais aussi la plus violente. Qu'on se rassure : le fait de pouvoir marquer plusieurs cibles et de les éliminer d'une simple pression de bouton n'est pas un sésame surpuissant vers le succès, mais juste un outil aussi indispensable que limité. Son utilisation se révèle très tactique, puisque d'une part, il ne peut y en avoir qu'un seul en réserve (on gagne la possibilité d'Exécuter en éliminant un ennemi au corps à corps), et que d'autre part, on peut Marquer à n'importe quel moment, des humains ou des objets, même sans avoir d'Exécution prête. Du coup, on peut préparer très en amont ces Exécutions, et surtout, on hésite à utiliser cet atout majeur, tant il pourrait se révéler crucial un peu plus loin...

Résultat, on cherche surtout à s'en sortir sans Exécution, jusqu'à ce que la situation nous y oblige. Malheureusement pour les puristes de la série, on se rend finalement compte qu'il est nettement plus simple de passer parfois en force, que d'évoluer sans jamais déclencher une seule alerte... mais cela en fait aussi un agréable défi à relever pour les amateurs. Reste enfin plusieurs petites idées bien venues, comme la désaturation de l'écran indiquant un camouflage total des ombres, les scènes d'interrogatoire, qui ne sont certes pas très évoluées mais restent amusantes, et, surtout, l'excellent système de couverture, ambassadeur de choix d'une maniabilité globale impeccablement implémentée.

Rattrapage in-extremis ?

Au-delà des choix de réorientation de la série, qui s'apparentent plus à une nouvelle approche musclée de l'infiltration qu'à un abandon réel de ses fondamentaux, la refonte totale du projet en cours de route a laissé quelques écueils pénibles. Rien de rédhibitoire, mais de quoi se sentir agacé parfois tout de même, à commencer par une IA très perfectible. Si globalement, les gardes et autres mercenaires ne se jettent pas systématiquement dans la gueule du loup, ils ne brillent pas pour autant par leur intelligence. Exploiter leurs réactions se révèle assez facile, surtout avec la mécanique de la Dernière Position Connue (signalée après avoir été repéré par une silhouette blanche marquant le lieu où les ennemis vous ont vu pour la dernière fois). Les gadgets s'avèrent moins nombreux que dans certains épisodes passés, mais l'essentiel est là : la caméra-glue et de nouvelles goggles-radar très bien trouvées. Le matériel reste en effet très centré sur l'offensif, lui aussi, avec un ajout de taille particulièrement intéressant pour les perfectionnistes : les défis PEC. Pour faire simple, il s'agit de petits succès intégrés au jeu et rapportant des points qui permettent d'améliorer les matériels. Disparaître sans laisser de trace, réussir à éliminer plusieurs ennemis en leur sautant dessus, les leurrer grâce à la silhouette, etc. Enfin, alors que les origines de la série en avaient fait une belle incarnation d'excellence graphique, on est aujourd'hui face à un titre soigné, propre, mais sans l'avance habituelle sur le reste de la production de sa génération. On regrettera également l'impossibilité de déplacer les corps, qui peuvent pourtant alerter les gardes et donc poser problème, mais c'est un choix qui s'inscrit dans la nouvelle logique du Sam Fisher énervé.

Un coopératif brillant

Agréablement mise en scène en camouflant les chargements dans des cinématiques, en usant de surimpressions pour afficher objectifs et détails sur l'état émotionnel des personnages, et bénéficiant d'un final avec de belles surprises et d'un scénario moins retors et alambiqué que ceux des précédents (donc plus facile à suivre et ce n'est pas un mal), la campagne solo portera les joueurs tout au plus sur une dizaine d'heures de jeu. Mais les modes multijoueurs ne sont pas à négliger, au contraire, en particulier le coopératif, absolument génial. Servant de prologue à l'histoire principale, il propose à deux joueurs en écran splitté, liaison multiconsole ou sur le Live, d'incarner deux agents, l'un américain et l'autre russe, au cours d'une petite campagne spécifique. Et pour le coup, progresser avec un ami en partageant les Marquer & Exécuter (les deux joueurs pouvant exécuter les cibles marquées par l'autre), en tendant des pièges, en sauvant son coéquipier d'un mauvais pas, et en devant mener des interrogatoires tout en repoussant des vagues d'ennemis s'avère particulièrement jouissif. Cette perle multi s'accompagne de modes plus classiques. Nettoyer des maps de ses gardes seul ou à deux, avec des contraintes d'infiltration plus ou moins marquées ou repousser des vagues d'ennemis en protégeant un générateur : de quoi s'amuser un peu plus longtemps encore.

Radicalement différent de ses prédécesseurs, ce Splinter Cell : Conviction revient de loin. Avec une campagne solide et une nouvelle approche beaucoup plus nerveuse de l'infiltration, certains fans de la première heure risquent de ne pas s'y retrouver, mais Sam Fisher ne manque certainement pas de répondant pour autant. Avec une ergonomie sans faille, de très bonnes "petites" idées et un mode coopératif en béton armé, Conviction parvient à faire oublier les faiblesses de l'IA et une réalisation pas aussi époustouflante que les précédents en leur temps, pour nous proposer un gameplay plutôt solide et des situations variées. Une réussite certaine, qui en laissera peut-être certains sur le carreau, mais en convaincra beaucoup plus par une modernité et une accessibilité accrues, placées au service d'un fun plus immédiat.