Yakuza fait partie de ces séries bénéficiant d'une curieuse aura de sympathie, bien que, sous nos contrées, peu de personnes, finalement, y ont vraiment joué. La faute a une plate-forme exclusive, la PlayStation (2 puis 3) et, surtout, un univers et une accessibilité un peu à part. Difficile, en effet, d'apprécier les Yakuza sans s'y plonger corps et âme, et prendre le temps de lire les tonnes de dialogues qui emmaillent chaque opus. À cet égard, le fait que Yakuza 2 n'ait pas été traduit en français - tout comme ce troisième épisode, qui ne propose que des sous-titres anglais - n'a évidemment pas arrangé les choses... Quoi qu'il en soit, on appréciera particulièrement, ici, la possibilité de regarder les résumés vidéo des deux premiers volets, véritables petits films de 15-20 minutes commentés par la voix chaude de Takaya Kuroda (Kiryu dans le jeu). Une manière pour certains de se rafraîchir la mémoire, et pour les autres de découvrir des scénarios (tordus) suintant l'énergie et la passion, entre trahisons, combats à mort et improbables coups de théâtre. Notons qu'à l'écrivain Hase Seishu, scénariste des deux premiers opus - et de l'épisode Kenzan - succède Masayoshi Yokoyama, un illustre inconnu qui a su heureusement respecter à la lettre l'esprit Ryû ga Gotoku, à quelques mièvreries près. L'indéboulonnable Toshihiro Nagoshi (qui a oeuvré notamment sur les Super Monkey Ball... et Shenmue !) reste le maître d'oeuvre, et partage avec Hideo Kojima, un vieux compagnon de troquet (véridique), un amour certain pour les cinématiques à rallonge, ici plus que jamais présentes.

Okinawa way

Difficile, pour un fan de la première heure, de ne pas être immédiatement emballé par Yakuza 3. Enfin, la qualité de réalisation -certes imparfaite sur certains points - permet de faire honneur au sens du détail qui caractérise la série. Quant aux cinématiques, elles transcendent un character design d'une qualité et d'une variété étonnante, soutenu par des visages désormais presque photoréalistes. Le bonheur. À l'image d'un Kazuma Kiryu désormais retiré du monde et cherchant avant tout la paix, le début du jeu vous invite à découvrir l'île d'Okinawa, son temps superbe, ses touristes en chemises à fleurs... Une atmosphère idyllique entachée par une conspiration politico-mafieuse dont on conçoit peu à peu l'ampleur, tandis que l'on devine, évidemment, que la retraite de l'ex 4ème chef du clan Tôjô, qui administre désormais un orphelinat, ne peut être que de courte durée. Une parenthèse d'une dizaine d'heures avant l'inévitable retour à Kamurocho qui, toutefois, permet de se faire la main, et découvrir à peu près tous les aspects du titre entre mini-jeux (on va y revenir), intérieurs de magasins modélisés avec un soin maniaque, ambiance de foule plus vraie que nature (on regrette juste une atmosphère sonore un peu en deçà) et, il faut bien le dire, missions diverses pas toujours follement intéressantes. Entre livraisons de nouilles, recherche de gamine égarée, cache-cache et transport de glaces à six boules, on n'a en effet pas toujours franchement l'impression d'incarner le yakuza le plus classe du monde. Les petites frappes que vous croisez sans cesse et qui ne manquent jamais de vous provoquer - les inconscients - sont heureusement là pour arranger ça...

Mawashi-geri dans ta face

Coeur du gameplay, les combats dans Yakuza 3 se révèlent, sans surprise, d'une richesse ahurissante. Comme dans les précédents opus, c'est en gagnant des points d'expérience que vous pourrez améliorer certains de vos talents, et étendre votre palette de coups. Projections, esquives, contres, rétablissement sur chute, garde... Les possibilités offertes permettent de développer son propre art du combat, tandis que l'on privilégiera plutôt telle ou telle capacité (résistance, vitesse...), le tout en ayant la possibilité, évidemment, d'utiliser diverses armes blanches ou de poing, ces dernières étant de surcroît customisables. Surtout, le dynamisme des combats et la possibilité sans cesse renouvelée de découvrir de nouveaux finishing moves - différents en fonction de l'environnement immédiat, du type d'armes ou d'objets utilisés, de la partie du corps que vous attrapez, etc. - font qu'au final, chaque nouvelle échauffourée peut se révéler différente de la précédente. Évidemment, pour cela, il faut creuser au maximum le "fighting system", comme dirait Van Damme, mais tous ceux qui se donneront cette peine prendront un pied monstrueux, vraiment, à démonter yak' et wesh-wesh à tous les coins de rue. Cadeau Bonux : désormais, avec son téléphone portable, Kazuma peut "saisir" une scène qui l'interpelle dans la rue (première "révélation" : une petite vieille qui percute une voiture en scooter et fait un soleil...), et s'en inspirer pour mettre au point un coup spécial, le tout étant ensuite relaté, de façon assez drôle, sur un blog imaginaire ! Un principe complètement con... et absolument réjouissant.

Serial gamer

On trouve de tout dans Yakuza 3 : des bars et des restaurants à écumer, des salles clandestines proposant des jeux de cartes ou de dès exotiques (chô-han, koi-koi, oicho-kabu...), des tournois d'Ultimate Fighting underground, des courses-poursuites, des clés de consignes disséminées ici et là qui permettent de récupérer différents objets, du bowling, du golf, des jeux de fléchettes, des sessions de pêche à la ligne... Pas mal de choses déjà visibles dans les précédents épisodes, mais que l'on retrouve avec toujours autant de plaisir et qui bénéficient évidemment ici d'un soin particulier. Il faudra notamment gérer particulièrement bien les sticks analogiques pour certaines épreuves, comme le billard ou les fléchettes, qui réclament de la concentration et une vraie précision (ce qui en énervera plus d'un). On ne soulignera évidemment jamais assez à quel point Yakuza 3, à l'image là encore de ses illustres prédécesseurs, ne se prend pas au sérieux et s'autorise une constante autodérision. Tout est dans le détail : ennemi qui vous attaque avec un énorme thon congelé, finishing moves à la violence totalement démesurée, séances de karaoké durant lesquelles Kiryu aligne les paroles niaises et chante comme une casserole, salary man qui vous défie à un concours de biture et roule sous la table... L'ambiance légère du jeu, qui contraste sainement avec l'atmosphère plus sérieuse des cinématiques, fait que l'on parcourt le jeu avec un plaisir toujours renouvelé.

No woman, no cry

Sujet (évident) de discorde, "l'ablation" avérée des versions américaine et européenne du jeu, qui se voient amputées de la séquence des bars à hôtesses, notamment, a donné à certains gamers l'envie de couper la dernière phalange du petit doigt des responsables de cette décision a priori aberrante. Et fait naître des velléités de boycott. Bien que je n'excuse en aucun cas ce genre de procédés, il convient toutefois de ranger les canifs. Ne plus avoir l'occasion de draguer à loisir quantité de jeunes femmes aux coiffures improbables, trop heureuses de faire suer votre carte bleue, n'a finalement rien de dramatique. Surtout qu'il est toujours possible d'en rencontrer quelques-unes au hasard, dans la rue (et de profiter d'elles pour commander en une fois toute la carte d'un resto histoire d'accumuler les points d'expérience !). De plus, dans un effort louable, la version "premium" du jeu proposée en Europe contient différents bonus, entre B.O. d'une trentaine de titres, tableau "interactif" détaillé des relations entre personnages (dont on retrouve l'équivalent dans les menus du jeu) et DLC gratuitement téléchargeables (malheureusement très axés baston, et pas forcément inoubliables). Bref, un titre d'une richesse absolue, quoi qu'il en soit, et à la durée de vie impressionnante, de toute façon incontournable pour tous les amoureux de la série. Ceux-là pardonneront aisément les quelques dérives d'un titre ancré dans des mécanismes certes un peu old school, et apprécieront pleinement ce que Yakuza 3 sait proposer de mieux : une fantastique aventure humaine.

On peut reprocher à Yakuza 3 certaines choses : une maniabilité parfois un peu raide, une difficulté évidente à innover d'un épisode à l'autre, une durée de vie artificiellement augmentée par des missions pas toujours passionnantes, une atmosphère curieusement gnangnan sur toute la partie qui se déroule à Okinawa... Et pourtant, la magie, cette fois encore, fonctionne. Bénéficiant d'heures de cinématiques superbes, impressionnant de possibilités, et proposant un système de combat riche et soigné, ce nouvel opus ne peut être qu'accueilli à bras ouverts par les amoureux du Japon en général, et les habitués de la série en particulier. Quant aux quelques éléments malheureusement absents de cette version occidentale - le résultat de coûts de localisation trop élevés, dit-on officiellement chez Sega - il serait dommage qu'ils fassent oublier à certains la qualité globale du jeu, qui n'a, dans le fond, rien perdu de sa superbe.