Ma mission est aussi simple que lucrative : escorter la chanteuse d'un groupe de J-pop mondialement connu, démasquer son harceleur et intervenir en conséquence. Elle me l'a demandé parce que je suis le meilleur mercenaire de Night City. Je n'ai aucun détail, aucun indice, juste mon flair, mon intuition. Ma cliente a choisi de flâner dans le populeux quartier de Kabuki. Les grouillots d'un gang l'interpellent et se font rembarrer, une fan lui demande un selfie, elle acquiesce. Je me tiens à distance, j'observe, je scanne à tout va pour connaître les identités de chaque badaud. Fausse alerte quand un laissé pour compte lui hurle au visage. Le pauvre hère n'a sûrement pas conscience de ce qui l'entoure. Nous empruntons un pont. De l'autre côté, un visage croisé quelques instants auparavant. Je décide d'aller me placer derrière et attendre. J'avais vu juste. À peine son flingue dégainé, je l'agrippe et l'assomme. Les flics s'en chargeront. J'aurais pu tuer, de bien des façons. J'aurais pu ne rien voir venir, et avoir un décès sur les bras, puis m'engueuler très fort avec un autre membre du groupe, jusqu'à la mort. Cette quête annexe fait figure d'exemple (très, très léger) parmi tant d'autres que Cyberpunk 2077 , c'est surtout une pile d'options et de choix.

Si le/la V demande ça

Et ça commence avec l'éditeur de personnage. Si vous l'on vous impose une identité, celle de V (prononcé Vi), l'expression de celle-ci vous appartient. À commencer par l'apparence. De votre coupe de cheveux et votre dentition à vos organes génitaux - qu'un filtre de censure pourra toujours masquer - et votre voix, il y a de quoi se perdre quelques dizaines de minutes pour se confectionner un avatar unique. Juste avant d'avoir créé une bombe sexuelle tatouée et scarifiée, une gueule cassée bardée de chrome, ou avoir laissé cette affaire entre les mains d'un générateur aléatoire, parce que, bon, vous vous en foutez, il aura aussi fallu déterminer le parcours initial, entre trois différents.

Nomade, voyageur et pillard vivant hors des agglomérations ; Gosse des rues connaissant la dure loi des bas-fonds et s'y étant adapté ; Corpo sachant comment fonctionne les sociétés tenant le monde par les balloches : le prologue (plus ou moins bref) et, naturellement, la façon dont vous allez endosser votre rôle seront soumis au profil voulu. Par la suite, ce background vous donne aussi accès à d'autres options durant les dialogues, facilitant quelques prises d'infos ou vous conférant des avantages uniques. Tout comme vos attributs et la façon dont vous allez les gérer, dans d'autres compartiments du jeu.

Corps à corps

Toujours durant le processus de création, parce que Cyberpunk 2077 est un jeu de rôles et que dessiner les contours de son protagoniste passe par là, il est question de répartir des points dans ces caractéristiques : Constitution, Intelligence, Réflexes, Capacité technique et Sang-Froid. Avec les niveaux d'expérience, chacune peut évoluer, charriant son lot de bonus ciblés. Comme il est impossible de tout maximiser en une seule session, il est nécessaire de bien déterminer ce vers quoi l'on tend, sachant que cela a des répercussions sur le terrain comme lors les discussions. Une porte à forcer ou amadouer grâce à des connaissances technologiques, un videur à intimider, un interlocuteur à impressionner avec un peu de cran ou de clairvoyance... Cela peut aussi bien être pour le show que pour changer la trajectoire d'une mission.

Même chose pour les Avantages, capacités regroupées en arbres de compétences dans les attributs. Leur profusion donne très vite le tournis. Mais il convient de bien connaître ce qui est susceptible de vous aider à forger votre partie. Plus de facilités à pirater, à résister aux coups, à en donner, à manier les flingues, les fusils, les sabres ou les armes contondantes, à jouer les ninjas et lanceurs de couteaux, à récolter des pièces pour, qui sait, se fabriquer de nouveaux équipements ou les améliorer. Eh oui, comme si ça ne suffisait pas, Cyberpunk 2077 dégueule, comme dans un Skyrim, de babioles (dont beaucoup de godemichets perlés, étrange) à revendre, de butin qui traîne et de matériel à acheter. Dans des proportions assez indécentes. Du genre à vous faire pleurer de lâcher une veste ou une mitrailleuse qualifiée d'épique ou légendaire parce que vous avez trouvé plus beaucoup protecteur dans un rang inférieur.

La mauvaise réputation

Une fois que l'on a déjà commencé à se balader librement, il ne faut pas oublier les Charcudocs. Nom barbare, mais grande utilité. Il s'agit de chirurgiens du futur présents un peu partout pour vous caparaçonner de modifications corporelles, de technologies. Si vous avez envie de sauter plus haut, de porter plus d'objets, de récupérer plus vite, de ralentir le temps dans les situations chaudes, d'avoir davantage de slots pour ces programmes de piratage qui court-circuitent, aveuglent ou donnent des positions ennemies, pouvoir manier des armes à feu aux balles intelligentes ou avoir de gros rasoirs sur les avant-bras, un peu d'argent fera l'affaire. Mais pas que. Une fois encore, par souci de ne pas vous donner tous les meilleurs outils trop rapidement, et donc de progression un peu équilibrée, les Charcudocs ne vous laisseront parvenir à certaines pièces qu'avec une réputation suffisamment haute, en plus du niveau adéquat.

Comment se fait-on un nom dans cette partie de la Californie en 2077 ? Tout comme vos compétences profitent de nouveaux bienfaits avec une pratique assidue, et que l'argent ne tombe pas des fenêtres - à la limite des terminaux que vous hackez à l'aide d'un mini-jeu de logique bien trouvé -, il faut bosser. Le plus possible. Et à Night City et ses environs, ce n'est pas le boulot qui manque. Des agressions, des infiltrations, des bastons de rue (dans la pure tradition des jeux CD Projekt RED), des piratages, des sauvetages, des agressions, des poursuites, des vengeances, des vols, des enlèvements.... La ville grouille d'activités. Coup de pot, les programmeurs n'ont pas été manchots et livrent ici une copie intéressante.

Le troisième (Deu)sex

Autant le dire tout de suite, la profondeur sur le papier, et l'interface touffue mais fonctionnelle sur le plan informatif, ne sont pas là pour épauler un jeu au rabais. Disons pour faire simple, et sans faire insulte à qui que ce soit (les années ont passé), que Cyberpunk 2077 fait bien volontiers penser à un Deus Ex sauce Eidos Montréal affranchi de ses raideurs dans un monde ouvert sans chargements qui n'est pas sans rappeler GTA - sauf que quand on roule sur tout le monde, un système de prévention fait exploser notre véhicule - par son côté organique sur lequel nous reviendrons plus tard et les jeux Bethesda pour le nombre de points d'intérêt au km² - ainsi que pas mal de bugs d'affichages, d'objets volants, de PNJ figés, de ragdolls tordants ou de téléportations inattendues, heureusement, rien de tragique.

S'il n'est pas un FPS pur, à garder à l'esprit, il s'en tire assez bien côté sensations et spectacle - Dieu sait que ce n'était pas gagné il y a quelques mois. On bouge bien, avec dynamisme. Il y a même des glissades si l'on s'accroupit durant un sprint. Les différentes armes (et il y en a un paquet, cinétiques ou intelligentes) parviennent à procurer une bonne impression de puissance, tous comme les affrontements à mains nues. Peut-être trouvera-t-on l'ennemi à la fois pas assez doué, avec tendance à tirer sur des murs ou rester à découvert, et un peu trop clément en difficulté normale, permettant de faire parfois fi des avertissements sur la dangerosité. Sauf lorsqu'il y a le nombre, qui compense une éventuelle bêtise, et amène l'encerclement en prime, ou la puissance de feu dans des niveaux plus élevés. Ou que vous vous trouvez à portée d'un boss et oubliez de contrer ou esquiver. Bref, jouer bourrin, c'est possible et ça fonctionne.

Idem pour l'infiltration, souvent appuyée par de la grimpette, de la verticalité, et un piratage qui assure de belles opportunités (aveuglement, court-circuit, désactivation, diversion...), y compris en combat. Reste que le champ de vision périphérique des opposants se montre vraiment restreint et que certaines de leurs réactions étonnent (note : s'il suffit qu'un seul vous voit pour que tous les autres connaissent votre position, cela peut se justifier dans un futur surconnecté). Les plus fourbes seront heureux de saisir par derrière, choisir de tuer ou non leur victime, planquer et même surprendre par les airs.

Et la route ? Côté sensations, pas de sortie de route. Les différences entre les tas de boue, les bolides, les voitures de fonction et les camionnettes se ressentent. Il y a du poids et il est agréable de prendre le volant... Ou le guidon, la moto offrant un autre degré de liberté. Mais les conducteurs... Ils s'arrêtent pour le moindre obstacle, créant des embouteillages monstres. Vous pouvez les sortir de leur caisse, ils ne bronchent pas. Traversez en dehors des clous, si une voiture fonce vers vous, elle ne s'arrête guère... Bref, l'I.A. a des choses à se reprocher, sans que l'on puisse clamer qu'elle fait moins bien que dans d'autres mondes ouverts. Sauf en cas de poursuite par les flics, qu'un tour au fond d'un restau annulera comme si de rien n'était, ou de muret qui "oublie" de cacher notre présence. On pourra toujours la gronder, l'impact sur l'expérience, qui pioche où il le faut et avec application, se révèle rarement significatif.

Johnny, Johnny Come Home

Il y a du taf à tous les coins de rue (on se sent d'ailleurs très vite submergé), pour tous les types de clients. Bien sûr, aucune obligation. Mais l'on conseillera à qui veut être à l'aise dans la dernière ligne droite d'un scénario principal tenant entre 20 et 30 heures de ne pas négliger ce qui semble annexe. D'autant qu'il y a d'autres histoires à tirer des petites histoires. Mais parlons de la grosse. Dans Cyberpunk 2077, devenir le meilleur mercenaire de Night City, gravir les échelons, être reconnu, c'est votre objectif dans la vie. Un objectif que vous poursuivez avec votre meilleur ami, Jackie Welles. Et qui vous a mis dans la merde jusqu'au cou. Une autre mission vitale vous revient. Celle-ci devra s'accomplir en compagnie, forcée, d'un certain Johnny Silverhand, une vieille gloire locale. Un type rock'n'roll jusqu'au bout des doigts métalliques de son bras gauche. La réussite du voyage proposé par les développeurs polonais lui doit beaucoup. Évidemment parce que Keanu Reeves lui donne vie avec énergie et assurance (notez que Jean-Pierre Michael, sa voix française, s'en sort aussi très bien). Aussi parce que ce personnage va, en se dévoilant, montrer l'étendue de sa puissance, de son humanité, vous faire rire, commencer à s'insinuer dans vos réflexions, peut-être brouiller vos certitudes jusqu'aux tout derniers dilemmes d'un scénario complexe, passionnant, riche en rebondissements. À moins que ce ne soit le contraire. En tout cas, il ne pourra vous laisser insensible.

Toujours est-il que c'est, comme dans The Witcher III, auquel il emprunte la structure narrative, en dehors de la route principale que se trouve les plus grand bonheurs. Vous croiserez d'autres gens importants, d'abord par intérêt. Vous aurez le choix d'approfondir vos relations, créer des affinités avec ces personnes secondaires aux visages si bien dessinés et expressifs. Vous retiendrez des rencontres pouvant changer votre existence et le dénouement - qui n'existe pas en un seul exemplaire. Petit à petit, à force d'aider ou de se faire aider, il pourra y avoir de la romance, ou au moins des liens solides. Les storylines même les plus insignifiantes et cachées, parviennent à offrir des moments captivants avec des échanges bien articulés et écrits, des caractères diablement bien définis et qui s'intègrent logiquement à cet univers. On pensera à ce flic esseulé et dépressif, cette star soupçonneuse, ce politicien parano et surtout cette compagnie de taxi très, très particulière. CD Projekt RED n'a pas perdu son aptitude à associer à des moments de gameplay appropriés, entre infiltration, enquête, action, hacking, pilotage et discussions, des scénarios écrits avec talent, pensés pour divertir mais aussi réfléchir un chouïa sur le contexte politique et social, ou simplement s'apaiser et partager un "instant privilégié" plus touchant. Une écriture solide, 100% 18+ et assez crue, qui pose toujours le doigt du joueur sur le bouton rouge des décisions difficiles. En lui faisant comprendre qu'il y a toujours pléthore de débouchés dans un monde, qui, comme celui du Sorceleur, est fait de nuances de gris. Et que s'il décide de lancer une autre partie, avec un(e) V différent(e), il a des chances ne pas vivre tout de la même manière.

La poupée qui fait néon

Après plus d'une soixantaine d'heures passées (et il en reste un paquet pour le 100%), il y a un terme que l'on peut associer instantanément à Cyberpunk 2077 : immersion. La vue subjective, qui a tant fait parler, produit les effets voulus. Quoi qu'il se passe, on ne se sent pas spectateur - ni caméra sur pattes, grâce à une vraie conscience corporelle. Vivre de l'intérieur change notre rapport, notre ressenti. Cela dynamise, voire dynamite, la mise en scène. Lorsque l'on se bat, se faufile, aime, ou investigue dans les danses sensorielles (extraits de mémoires dont on analyse différentes couches façon scènes de crimes de Batman Arkham) on est V. On pourrait presque parler de réalité virtuelle sans casque tant Night City et sa population se découvrent dans une extase quasi-absolue. Comme avec l'oeuvre d'Andrzej Sapkowski , les développeurs de Varsovie ont su s'accaparer un univers - avec l'apport de son créateur à la voix si sexy, Mike Pondsmith - pour réaliser quelque chose d'assez unique, exubérant, et d'une éloquence démentielle. On ne peut que tirer un grand coup de chapeau aux artistes de CD Projekt RED pour la vision globale, qui tape dans toutes les facettes du genre Cyberpunk ou presque, et la réalisation sans fausse note.

Ville de lumières

Night City est une oeuvre d'art. Un joyau Cyberpunk dont chaque artère, chaque bâtiment, chaque bureau, chaque habitacle de voiture impressionne par sa diversité, sa cohérence, et le soin maniaque apporté à ce que beaucoup pourraient estimer comme des détails futiles. On pense à Blade Runner, à Akira, à Dark City, à Ghost in the Shell, à Strange Days, à Gunnm et à beaucoup d'autres... On pourrait presque humer les gaz d'échappement, l'eau de pluie stagnante et la pisse ayant badigeonné les coupe-gorges mal éclairés ou le parfum de la bouffe des stands, et deviner l'histoire de chaque environnement traversé, cadavres compris. Il suffit de marcher ou conduire pour s'imprégner des petites ruelles marchandes, des mégabuildings disproportionnés, des statues gigantesques, des quartiers résidentiels "à l'ancienne" ou des favelas. Faites attention à la population, bien dense, diversifiée : rien que les fringues, les allures peuvent vous dire où vous vous trouvez. Prêtez l'oreille aux sons, aux musiques (beaucoup de rock et de techno qui donnent la rage, mais aussi du jazz), aux babillages des reporters, aux conversations. Ces dernières dans des dialectes spécifiques ou faisant place à des accents à couper au couteau, sont aussi des marqueurs de votre situation, et du contact proche des factions dominantes qui peuvent aussi être en pleine fusillade face aux "autorités" sans que cela inquiète les passants. Le trip contemplatif pourrait presque tourner à l'excursion historique.

Incroyablement vivante, animée, variée, violente, aimante, avec ses marchés, bordels et clubs surpeuplés, changeante selon l'heure et la météo, qui font danser différemment les néons chaleureux et les fumées des cuisines des bouis-bouis, la mégalopole se présente, sortez le Poncif Express, comme un personnage à part entière. Du genre qu'on voudrait connaître sur le bout des doigts, en zappant les postes de téléportation et en lisant tout ce qu'il est possible de lire à son sujet. Elle semble petite, si l'on se fie à la seule carte. On dira qu'elle fait la bonne taille pour celles et ceux qui n'ont pas envie de s'investir dans trop gros, et que son caractère condensé ne lui fera pas cracher tous ses secrets aisément. Il serait presque triste qu'un multijoueur façon GTA Online n'y soit pas prévu, histoire que de nouveaux destins s'y accomplissent. Mais là, le choix appartient à CD Projekt RED.

Un mot sur la version PC : l'idéal

Nous aurions aimé disposer de Cyberpunk 2077 sur PS4 et Xbox One, voir ce qu'il en est exactement, puis profiter du petit boost sur PS5 et Xbox Series X et Series S. C'est avec une version PC GOG que nous avons passé plus de 60 heures, avec un départ pour le moins compliqué. Les ralentissements à foison, les problèmes d'affichage en 1080p comme en 1440p ou en 5120x1440, en paramètres élevés ou Ultra, avec ou sans Ray Tracing activé, et malgré le DLSS, nous ont fait nous interroger. Avant le patch et l'arrivée d'une mise à jour de pilotes Nvidia, la configuration employée (AMD Ryzen 3900X associé à une RTX 2080 Super et 32 GB de RAM, avec un stockage sur SSD NVMe) a failli être désignée coupable. Au final, il fallait juste attendre que les rouages s'imbriquent après quelques téléchargements : les retouches apportées par le constructeur comme le développeur ont débouché sur une mouture qui tourne comme une horloge, sans inquiétude à avoir si vous possédez une machine moderne, même s'il faudra peut-être sacrifier quelques détails, le RTX ou le frame-rate, pour ne pas être témoin de bonne chutes dans les zones très peuplées. Quoi qu'il en soit, Cyberpunk 2077 est en préréglage Élevé tout à fait ravissant, sûrement plus que sur consoles. En Ultra, on touche le bonheur du doigt pour le rendu des bâtiments, des véhicules, des personnages, la distance d'affichage (qui n'empêche pas quelques éléments de popper en retard) et la qualité des effets de lumière en fonction de l'heure ou de la météo. C'est de la vraie Next-Gen, ni plus ni moins. Celles et ceux qui ont une machine de guerre propulsée par une RTX Serie 30 devraient chérir leur investissement et passer un moment encore plus confortable, viser le réglage Ray-Tracing Ultra sans casse, peut-être même tenter le RT Psycho avec ses reflets plus vrais que nature, avec de fréquentes envies de mode Photo, qui présente un paquet d'options pour se créer de jolis fonds d'écran.