En attendant de découvrir la suite des aventures en monde ouvert de Link et Zelda, Nintendo profite de sa nouvelle poule aux oeufs d'or avec un spin-off surprise en forme de préquelle. Après avoir marié une première fois la série au genre du Musō, Koei Tecmo remet ça, et occupe avec Hyrule Warriors : L'Ère du Fléau la position la plus stratégique : celle de la grosse cartouche (littérale) de fin d'année.

Faire d'une pierre Deku

Reconnaissons à Nintendo et Koei Tecmo, qui marchent pour l'occasion main dans la main, d'avoir su profiter de la narration si particulière de Breath of the Wild pour jouer avec une certaine habileté la carte de "l'avant", et ainsi venir répondre à certaines interrogations laissées en suspens, et en profiter pour développer au passage quelques intrigues supplémentaires. La filiation entre les deux jeux est dès les premières secondes incontestable : aussi coloré et soyeux que Breath of the Wild, L'Ère du Fléau profite de tous les assets de l'original pour briller de mille feux, et caresser l'oeil du fan par la même occasion. Les dialogues et autres moments-clés de l'intrigue profitent ainsi s'un savoir-faire certain, qui flatte aussi bien la rétine que l'aficionado, et ce dans tous les dialectes, puisque le jeu a la bonne idée de proposer d'entrée de jeu des doublages japonais, anglais ou français, histoire de ne froisser personne.

À défaut de briller lors des phases de gameplay, cette préquelle profite de ses (très) nombreuses cinématiques pour prendre à contrepied l'esthétique de désolation qui attendait le héros aux oreilles pointues dès sa sortie de la grotte du réveil en 2017. Il faut dire que le jeune Link n'est ici qu'un troufion parmi tant d'autres, et il lui faudra gagner ses galons sur le champ de bataille, pour devenir le héros que nous connaissons. À la version d'Hyrule désolée qu'il nous était donnée d'explorer, ce Musō oppose ainsi un monde luxuriant et chaleureux, où la guerre fait certes rage, mais dans lesquels les nombreux villages et localisations typiques de cet univers prospèrent, et offrent un tout autre point de vue sur ces lieux, mais aussi ses habitants. À l'extrême inverse de la confusion qui règne sur le champ de bataille, la mise en scène des dialogues s'amuse avec les cadrages, resserre les plans avec beaucoup de réussite, et se plaît à suivre un big band en constante évolution, pour mieux développer la relation qui unit ces protagonistes souvent anthropomorphes.

Let's twist again

Fan service oblige, L'Ère du Fléau s'attarde sur les Prodiges des différentes régions d'Hyrule, que nous n'avions jusqu'ici découvert que sous leur forme spectrale. Si les enjeux scénaristiques ne trompent personne (quelques 20 millions de joueurs savent déjà que l'histoire se termine mal), Koei Tecmo parvient à tirer son épingle du jeu en illustrant la constitution progressive de ce Club des Cinq qui deviendra par la suite mythique, et multiplie donc les dialogues en toutes circonstances. À l'inverse de exploration isolée proposée en 2017, ce spin-off se révèle ainsi plutôt bavard, joue la carte du collectif, quitte à parfois étaler son propos plus que de raison.

Les tranches de vie de Link, Zelda, Impa, Mipha, Urbosa, Daruk, Revali (et bien d'autres que nous vous laisserons le loisir de découvrir par vous-mêmes) rythment ainsi l'avant et l'après de chaque mission, mais pour quelques scènes d'action et de suspense réussies, il faudra faire avec bon nombre de dialogues qui pourraient se terminer sur une image hilare et figée, avant de découvrir le nom de Jean-Luc Azoulay à l'écran, tant l'écriture frôle parfois la chute naïve de sitcom. L'histoire ne manque pas de rebondissements, et ce malgré un enjeu global forcément proche de zéro, mais tente tout de même de surprendre les joueurs en introduisant un nouvel antagoniste, sur lequel nous ne nous attarderons malheureusement pas plus, spoiler oblige... Heureusement que Revali et ses faux airs de Falco Lombardi sauve parfois la situation d'une certaine forme de niaiserie, comme si le volatile voulait se désolidariser d'une écriture assez caricaturale, et nous ne pouvons que le comprendre.

Sheik ton booty

Mais que les joueurs férus d'action et de combats à un contre cent se rassurent : ils passeront la plupart de leur temps à occire Moblins, Lizalfos et autres Lynels en tous genres, au sein d'environnements fermés mais malgré tout assez étendus qui reprennent évidemment les paysages et bourgades déjà iconiques de Breath of the Wild. À l'instar des derniers Musō en date, la carte ne se dévoile qu'au fur et à mesure de la progression, en affrontant les lieutenants de chaque avant-poste (qui passera ainsi sous votre pavillon), avant de suivre les différents objectifs modifiés en cours de route, et qui mettent parfois un certain temps avant de s'afficher. Alors on court, de droite à gauche, aux commandes d'un personnage dont la vitesse de déplacement accélérée lui donne des airs de Benny Hill à la sauce fantasy, pour faire exploser le compteur de kills, et se sentir aussi puissant que résolument... génocidaire.

Comme l'annonçait dès le début Koei Tecmo, L'Ère du Fléau s'inspire largement des nouveaux pouvoirs conférés par la fameuse tablette Sheikah, et nos héros blondinet peut ainsi figer le temps, déplacer de gros objets ou encore envoyer ex-nihilo une salve de bombes bleutées à la face de ses adversaires, qui n'attendaient que ça pour passer l'arme à gauche. La sensation de puissance est donc bien présente, mais avec une telle débauche d'effets pyrotechniques, la confusion s'invite souvent au coeur des batailles, et donne l'impression de taper généreusement dans le tas sans jamais avoir à particulièrement soigner sa progression. Heureusement, les lieutenants (et globalement tout bourgeois qui profite d'une barre de vie rien qu'à lui) réclament un peu plus de finesse, et nécessitent souvent de contrer certains patterns avec les pouvoirs Sheikah en question, qui permettent alors de briser une jauge d'armure, et d'abréger le combat. Pour combler une jauge de récupération commune à tous ces pouvoirs, nos héros peuvent également compter sur quelques items élémentaires en formes de baguettes, qui permettent d'alterner les différents attaques, mais hormis quelques moments propices à la réflexion, on se contente de frapper à l'aveugle, et ça fonctionne.

Les grandes manoeuvres

Heureusement, le plus célèbre des Hyliens pourra donc compter sur une palanquée de compagnons plus ou moins fidèles, que l'on incarnera d'une simple pression sur la croix directionnelle, et couvrir ainsi plus de terrain. Certes, des ordres peuvent être donnés à tout moment, mais comme (trop) souvent en la matière, on n'est jamais mieux servi que par soi-même, et il sera donc toujours plus rapide de prendre les choses en mains et faire le sale boulot. Mais cette capacité à bondir d'un combattant à l'autre donne surtout l'occasion de se familiariser avec leurs différentes palettes de coups, afin de faire le tri, et trouver ses meilleurs frères (et soeurs d'armes). Et cela tombe plutôt bien, puisque l'on pourra rapidement faire grimper en niveau ses chers poulains grâce au Champ de manoeuvres (a.k.a. le programme rubis contre expérience), qui permet de gagner un temps précieux.

Il faut dire que L'Ère du Fléau multiplie les défis en tous genres, en alignant sur la carte d'Hyrule missions chronométrées à l'intérêt dispensable et autres liste d'items à collecter, qui permettent de prolonger les combos de vos camarades, chaque zone correspondant assez logiquement aux différentes espèces de ce monde emprunt de fantasy. Si la profusion d'icônes ne dépaysera pas les joueurs d'Assassin's Creed pré-Origins, difficile passées quelques heures de ne pas soupirer en voyant la liste s'allonger encore et encore, et ce malgré quelques outils destinés à faire gagner du temps, en ciblant les recherches. Malgré la perspective de voir les différentes régions se renforcer, seuls les complétistes acharnés trouveront le courage et la motivation d'aller jusqu'au bout.

Woop woop, that's the sound of Naboris

C'est d'autant plus dommage que l'aventure offre quelques moments très plaisants (sur lesquels nous ne rentrerons pas dans les détails, divulgâchage oblige), qui en plus d'aligner les clins d'oeil expliquent souvent avec habileté de très nombreux éléments présents dans Breath of the Wild, que l'on ne parcourra sans doute plus de la même manière. Entre les iconiques Tours Sheikah, la tablette du même nom ou quelques protagonistes toujours présents 100 ans plus tard (il y en a), les fans purs et durs vont trouver avec L'Ère du Fléau de quoi remplir leur appétit de connaissances. La bande-son tire également son épingle du jeu, en proposant des thèmes inédits qui restent vite en tête, mais en arrangeant avec souvent pas mal d'inventivité quelques mélodies classiques, qui permettent parfois d'annoncer l'arrivée d'un funeste personnage pour peu que l'on tende bien l'oreille. Dès lors, quel dommage que l'enregistrement n'ait pas bénéficié d'un peu plus d'ambition : loin des envolées symphoniques des derniers AAA édités par Nintendo, on se retrouve avec une orchestration synthétique qui appelle immédiatement un album de reprises.

Mais la volonté de revenir sur les nombreux éléments désormais cultes de Breath of the Wild trouve parfois ses limites, à l'image des phases aux commandes des Créatures Divines, qui attestent sans doute plus que tout le reste d'un développement sans doute un peu trop bref pour pleinement parvenir à son objectif. Très quelconques et étonnamment brouillonnes, ces phases que seul le fan service semble justifier se contentent de faire déambuler les futurs temples dans des environnements ridiculement restreints, pour massacrer du mob par milliers, en alternant missiles, piétinement et attaques des zones semblables aux quatre mastodontes. Et malgré leur apparente simplicité, les Créatures s'avèrent loin d'être faciles ou même agréables à piloter. Alors, on tire, et l'on observe de loin ces amas de polygones se faire pulvériser dans un chaos visuel qui nous rappelle que L'Ère du Fléau semble avant tout avoir été pensé pour se jouer sur grand écran, pour ne pas subir quelques bien vilains chutes de frame rate ou finir comme ce pauvre Botrick...