Se réclamant avant tout de l'école du gameplay, le titre de Sunhead Games n'en oublie pas pour autant de poser les bases de son univers, le temps d'une succession de plans fixes en guise d'introduction : alors que sa grand-mère chérie lui expliquait les arcanes de la cartographie, la jeune Carto se retrouve brutalement séparée de l'aïeule grisonnante après un bien vilain accident de dirigeable. On la retrouve échouée sur une île loin d'être déserte, et c'est ainsi que l'aventure commence. En deux minutes, douche comprise, les enjeux et les mécaniques sont connues. Du grand art.

Sur une île dans le soleil

Situé à la frontière du puzzle game et du jeu d'exploration, Carto marie les genres, surtout pour le meilleur. Via une succession de chapitres qui s'entendent comme autant d'environnements différents, notre héroïne éponyme va se servir de la carte du monde comme d'un terrain de jeu à modifier pour espérer progresser, et fêter de chaleureuses retrouvailles. Chaque lieu est ainsi divisé en carrés, qu'il convient de découper, pivoter, recoller et mélanger pour transformer son environnement immédiat, et faire apparaître de nouvelles cases. Ah, si seulement l'ergonomie avait été pensée pour être plus souple et plus intuitive... Si lors des premières heures, tout va pour le mieux, la gestion des cases devient vite pénible dès lors qu'il faut multiplier rapidement les essais et les combinaisons. En explorant les nouveaux lieux créés ex nihilo, Carto met ainsi la main sur de nouvelles cases, souvent synonymes de rencontres, de nouvelles histoires, et de nouveaux indices.

Au-delà de son génial principe qui se complexifie à chaque chapitre, Carto raconte également une histoire, ou plutôt, des histoires. À l'instar d'un certain Dragon Quest VII, l'aventure nous conduit d'île en île et de forêts en déserts à la rencontre de tribus aux coutumes toujours ancrées dans un lointain passé, et auxquelles les autochtones ne sauraient échapper. Les habitants accueilleront alors à bras ouverts la jeune fille, pour la mettre au parfum sur leurs pratiques, qui cachent évidemment... des énigmes, pardi.

La salle des Bois Perdus

Car en plus de coller des cases entre elles pour agrandir son terrain de jeu, Carto nous demande de toujours plus comprendre ce qu'il attend de nous, non sans laisser une grande part de réflexion au joueur. Habitués des assists, passez votre chemin : ici, la résolution ne se fait qu'à force d'observation. Relier les quatre coins d'un autel morcelé pour le reconstituer, prolonger une rivière pour la voir se jeter dans la mer, sortir des triples Bois Perdus avec le sentiment d'être un vrai génie, voilà ce qui fait la beauté de cette aventure qui multiplie tout au long de ses dix chapitres la sensation d'émerveillement, après avoir enfin compris l'astuce. La solution était pourtant là, sous notre nez, mais il faudra parfois tourner en rond pendant plusieurs minutes pour relier entre eux les points de la solution.

Difficile de rendre justice à l'ingéniosité des mécaniques sans dévoiler le pot-aux-roses, mais Sunhead Games a fait preuve de tant de réflexion que l'exploration de cet univers pastel et reposant est un vrai plaisir, d'autant plus que les nombreux protagonistes dévoilent en creux un message d'émancipation, de remise en cause et de tolérance qui fait, à plus forte raison par les temps qui courent, beaucoup, beaucoup de bien. Mais malgré son message positif et zenifiant, Carto risque tout de même de jouer avec les nerfs de certains joueurs, tant il semble prendre un malin plaisir à rendre ses indices rares et parfois cryptiques, quant il ne les glisse tout simplement pas dans des dialogues impossibles à relire. Derrière sa bonne humeur permanente et son sourire bon enfant se cacherait-il un monstre de sadisme ? N'allons pas trop loin, je vous prie.