Pas besoin de trimballer cet énorme poisson encore gigotant très longtemps : un candidat enthousiaste me présente bien assez tôt sa tête pour que j'enfourne la bestiole dessus. Tandis qu'il titube sous la violence du choc et l'obscurité soudaine qui a remplacé la dernière image qu'il a pu voir, je l'embroche d'un geste assuré de la Wiimote avec cette lance que je viens de récupérer. Il se débat encore, tout en pissant le sang sur le sol de cette énorme cuisine asiatique, tandis que ses camarades restent encore à distance. Manque de bol, l'un d'eux est encore trop près pour éviter de rejoindre son pote sur ce qui est devenu entre mes mains une brochette humaine sanguinolente. Ni une, ni deux, j'agite une fois de plus la Wiimote cette fois en direction du chaudron central rempli d'huile portée à ébullition pour en faire un double beignet Tempura style qui me rapportera facilement 25 000 points de plus. Y'a pas à dire : Jack est un sauvage sacrément créatif, et l'incarner est une catharsis tout à fait efficace.

Red is the new black

Avec son esthétique à dominante noir & blanc, uniquement contredite par le jaune d'onomatopées typiquement BD et un déluge de sang rouge quasiment continu, Madworld est un digne héritier des titres Clover et des projets précédents d'Atsushi Inaba, de Viewtiful Joe à Okami, en passant bien sûr par Godhand. "Mon style c'est de prendre un type de jeu qui existe, et de pousser le délire à fond", nous disait-il en interview. C'est exactement ça. Mais délire gore assumé ne veut pas dire jeu idiot, du moins, pas tant que ça. Car contrairement à ce qu'on aurait pu croire à l'issue de premières impressions limitées par le temps, Madworld cache aussi bien son "jeu". Au-delà du pitch - un héros cliché propulsé au milieu d'un reality show macabre pour une partie de massacres à la wiimote -, Madworld propose une véritable histoire, un fil conducteur narratif surprenant de qualité. Et ce n'est pas un hasard, puisqu'on le doit à Yasumi Matsuno (Final Fantasy XII, Final Fantasy Tactics, et Vagrant Story). Est-il nécessaire d'en dire plus ? Pour tous ceux qui se souciaient (à juste titre), de l'aspect potentiellement lassant et répétitif de ce qui ressemble à un beat'em all pur et dur, sachez déjà que l'histoire à elle seule est un moteur étonnamment efficace pour accrocher le joueur à sa wiimote du début à la fin de Madworld. Mais ce n'est pas le seul.

Hardcore et Wii à la fois

C'est incontestable, un jeu comme Madworld manquait à la Wii. Mais plutôt que de ne fournir qu'un titre hardcore en profitant de la vacuité de la ludothèque Wii en la matière, Platinum Games en a fait un jeu qui ne pourrait pas exister sur une autre console que la Wii. Si sa mécanique de base (accumuler des points jusqu'à débloquer l'accès au boss d'un niveau) est d'une trivialité déconcertante, la créativité du level design et l'utilisation de la wiimote font toute la différence. Se contenter d'appuyer sur des boutons pour tabasser de l'ennemi jusqu'à plus soif, c'est forcément moins frais que d'agiter la wiimote pour tabasser de l'ennemi jusqu'à plus soif. Je vous l'assure. Et bien que chaque bouton ou presque du couple wiimote + nunchuck soit utilisé par le jeu, l'ensemble reste remarquablement intuitif. Un mouvement vers le bas pour tronçonner vers le bas, un piqué vers l'avant pour embrocher, un mouvement circulaire au-dessus de la tête pour faire tournoyer et envoyer valser, etc. Les Quick Time Event intervenant dans les combats de boss (assez savoureux) en deviennent eux aussi beaucoup plus intéressants que sur d'autres consoles ou on enchaîne les séquences de boutons, puisqu'à l'écran, Jack reproduit les mouvements mimés dans des séquences complètement surréalistes. Jouable et riche à la fois, Madworld fait tout pour renouveler les situations et varier les plaisirs, en offrant une foule de finish moves et de mini-challenges (mention spéciale aux extraordinaires Défis Bain de Sang, qui sont d'ailleurs autant de mini-jeux disponibles pour du multi-joueurs local), qui font de la traversée de chacun des quartiers de Varrigan City, boss après boss, un plaisir presque inattendu.

La dictature des points

Mais Madworld n'est pas aussi parfait qu'il en a l'air. Si les premiers niveaux s'apparentent à une balade jouissive à la découverte de toutes les idées gore débiles réparties aux quatre coins des stages par les développeurs, arrivés au château, il devient évident qu'il faut commencer à faire attention à ce que l'on fait, et que le game design reste encore tributaire de traditions japonaises d'antan. On continue d'accumuler les points, pour débloquer bonus, défis bains de sang et finalement bataille de boss, mais le nombre de vies limité, et l'absence de sauvegardes à mi-niveau, peuvent faire grincer des dents lorsqu'il s'agit de répéter depuis le tout début un manège d'une quarantaine de minutes qui charme forcément moins que la première fois. La rapidité et l'efficacité du joueur chevronné ne sont pas récompensés autrement qu'en lui donnant accès plus rapidement au boss, sans doute par souci de permettre à tous d'arriver tôt ou tard à cet objectif. Mais ça fait de l'accumulation des points nécessaires une affaire d'acharnement plus que de talent, avec un petit côté Ouvrier Spécialisé du Carnage dont il aurait pu se passer. Enfin, la seule esquive pour mouvement défensif, et des errances de caméra parfois très pénalisantes achèvent de rendre la formule imparfaite, lorsque la difficulté se fait suffisamment importante pour que ça devienne un problème, c'est à dire passé les 2/3 du jeu.

Reste que Madworld est un titre aux qualités non seulement multiples, mais rares sur Wii, et qui a bien plus à offrir qu'un simple rollercoaster de massacres au visuel aussi tranchant que la tronçonneuse de son héros à la voix graveleuse. C'est un titre au game design affûté et efficace, et si vers la fin, il peut s'avérer répétitif ou frustrant, si son humour est aussi peu subtil que son goût est douteux, il est une occasion en or de dépoussiérer nos Wii et de se défouler un bon coup en découvrant un titre à nul autre pareil.