Que l'attente a paru longue entre Dark Souls III et Sekiro. Presque trois années durant lesquelles le "souliste" n'a presque rien eu à se mettre sous la dent - à part un remaster du premier épisode, le très bon Nioh ou encore d'autres titres à la qualité inégale tels qu'Ashen ou The Surge. Et si Déraciné a su nous séduire, ce n'était au final qu'une petite chips apéritive en attendant ce 22 mars tant espéré. Bref, ça y est, From Software est de retour, pour de vrai, avec un jeu qui va vous mettre une claque. Ou plutôt même deux, une sorte d'aller-retour.

Le double effet Sekiro

Et c'est au royaume d'Ashina, dans le Japon médiéval d'une ère Sengoku au bord de l'apocalypse, que va prendre place l'intrigue de Sekiro. On y joue Le Loup, un Shinobi qui a été élevé et entraîné par La Chouette, et dont le rôle est de protéger son jeune maître, L'Élu, contre toutes les menaces qui pèsent sur lui, du fait de ses pouvoirs occultes qui intéressent des personnes bien mal intentionnées... C'est en mauvaise posture qu'on retrouve notre Loup, dans des égouts, amnésique, et son jeune maître capturé par ses ennemis. Si l'on va toucher du doigt son sauvetage dans le prologue, en y perdant un bras au passage, lors d'un magnifique combat, ce sera bel et bien un échec, qui verra notre Shinobi subir un nouvel affront déshonorant. Mais coup de chance - ou pas - un vieux sculpteur de statues de bouddha retrouve alors Le Loup, le soigne et lui installe une mystérieuse prothèse/couteau Suisse qui va devenir un véritable atout pour la suite. On se lance donc, un peu à l'aveugle, à la recherche de notre maître, qui pourrait bien se trouver au sommet du château d'Ashina, que l'on aperçoit là-bas, au loin...

Si le scénario ne brillera pas par son originalité, la galerie de personnages qui y est présentée reste très charismatique, tout comme les décors, simplement magnifiques dans leur univers japonisant au possible, fait de vieilles pagodes ou de temples bouddhistes construits au sommet de hautes montagnes. Des lieux que l'on peut observer au loin, pour avoir un aperçu de l'endroit où l'on doit se rendre ensuite. Un peu comme dans Bloodborne ou Dark Souls III. L'ensemble se montre tout de même bien moins avare en paroles et en descriptions, plus verbeux que les deux aînés cités précédemment, et pourra être soutenu par une version française intégrale de plutôt bonne facture (mais vous avez le droit de choisir le japonais). On y retrouve même quelques fantômes ici et là, qui proposent de revivre de vieilles scènes du passé, un peu comme on avait déjà pu le voir il n'y a pas si longtemps dans Déraciné.

Le résultat est bien moins cryptique, plus accessible que dans Dark Souls, même s'il faudra toujours aller fouiner un peu partout pour approfondir ses connaissances du lore, qui se paye le luxe de se dérouler sur plusieurs temporalités différentes. Clairement, avec sa direction artistique de très haute volée, peut-être même un cran au-dessus de celle de Nioh, Sekiro a tout pour séduire le fan de Tenchu qui passerait par hasard à côté du dernier From Software dans les rayons de sa boutique culturelle de prédilection, ou même au supermarché du coin, tiens. Seule la musique reste un peu en retrait, avec des compositions nippones assez planantes, mais un brin répétitives, notamment dans les combats.

Sekiro, Sekiro, i never really know that she could dance like this

Sekiro, ce n'est pas qu'un univers, c'est aussi une jouabilité qui sera une variation de ce qui nous a déjà été proposé dans la série Dark Souls. Avec au centre sa légendaire difficulté, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ici elle ne sera pas usurpée ! Ce n'est pas notre première mort, au bout de 10 secondes de jeu, due à une chute mortelle dans un précipice, qui nous fera dire le contraire. On va bien évidemment retrouver quelques mécaniques similaires aux précédents jeux de From Software, notamment le principe des idoles de prière, qui fonctionnent comme les feux de camp. Elles permettent de se reposer - tout en réinitialisant la zone, sauf les boss déjà vaincus, ouf - de passer des niveaux et de voyager rapidement. On retrouve également une gourde à usage limité, qui fonctionne comme la fiole d'estus. Les altérations d'état dans les combats sont aussi très similaires, mais pour tout vous dire, c'est à peu près tout. Le reste va sensiblement s'éloigner de la formule Souls.

Déjà, ici, on peut mettre le jeu en pause, car il ne possède pas de fonctions multijoueur, qu'elles soient coopératives, compétitives ou asynchrones. Et si le reste des mécaniques est toujours tout aussi complexe, on est un peu moins perdus, puisque le jeu va proposer, d'office, tout un tas de tutoriels qui vont popper au milieu de l'écran au moment opportun, du moins au début du jeu.

Aussi, la mort sera moins hardcore, puisqu'on ne sera sanctionné que par la perte de la moitié de son argent et d'un bout de son expérience. Impossible de récupérer ce qui est perdu, mais l'échec reste moins punitif. Par contre, au fil de nos débâcles, les PNJ de l'univers vont attraper une maladie, ce qui limite l'éventuelle apparition de "l'aide divine", qui fonctionne alors comme l'anneau sacrificiel de Dark Souls, permettant de ne rien perdre du tout ! Cette mécanique peut être assez intéressante, car toute cette expérience et cet argent va servir à acheter de nouvelles compétences bien utiles combat, qu'elles soient actives ou passives, mais aussi des améliorations pour sa mortelle prothèse de shinobi, en l'association avec des matières premières récoltées ici et là. Les arbres de compétence ne sont pas tous disponibles d'entrée, et il faudra fouiner pour les trouver, au risque de passer à côté de certains. Et l'on pourra bien évidemment aller farmer dans quelques zones pour accélérer le processus d'amélioration de son héros, ce qui peut s'avérer très utile si l'on coince devant une difficulté. Pour ce qui est de la puissance d'attaque, en revanche, il faudra vaincre les gros boss principaux du jeu...

SEKIRO, C'est plus fort que toi

Pour ce qui est des combats, là encore, la formule sera très sensiblement différente de ce que proposent habituellement les Souls. Déjà, tout est bien plus rapide et nerveux. Aussi, la barre d'endurance à disparu, et elle a fait place à une autre jauge, celle de posture. Cette dernière sert à définir, pour vous et vos ennemis, une limite à la défense, qui peut donc être brisée quand cette jauge est remplie, ce qui permet de porter un coup fatal à son adversaire. La régénération de ladite jauge se fait au fil du temps, et bien évidemment, s'il suffira d'attaquer les frileux premiers ennemis sans relâche pour la briser, très vite il faudra varier ses coups, utiliser l'esquive, mais aussi la parade, qui permet non seulement d'ouvrir un peu la garde de son adversaire, mais aussi de faire monter sa jauge en flèche vers la rupture. Le système est très complet, fonctionne très bien et les affrontements sont très réussis et prenants, et ce d'autant plus que d'autres mécaniques viennent encore complexifier la chose. Par exemple, vos ennemis peuvent fréquemment utiliser des attaques risquées, dévastatrices, mais contrables - non sans difficulté - avec le bon mouvement au bon moment, fruit d'une observation prolongée des patterns ennemis. Oui, l'idée sous-jacente ici, c'est que vous allez passer pas mal de temps, vraiment, avant de comprendre comment fonctionnent les attaques d'un boss, et quelle sera la mécanique la plus adaptée pour le vaincre.

Et des possibilités en combat, on va en avoir un certain nombre. Avec son sabre déjà, véritable instrument de mort et de défense ; mais aussi avec sa prothèse mécanique, qui fonctionne un peu comme la magie des Souls, sauf que cette fois-ci, elle utilise les âmes des ennemis vaincus au combat et peut donc être rechargée pendant les phases d'exploration. Le grappin va lui aussi apporter pas mal de variété au gameplay, que ce soit dans les déplacement d'un héros déjà très mobile, capable de s'accrocher aux rebords, de sprinter, de sauter haut et loin et de rebondir sur les murs pour des sauts dignes de Ryu Hayabusa dans Ninja Gaiden, mais aussi dans les combats contre les mobs de base et les sous-boss qui jalonnent votre progression, avec un rythme effréné : En effet, la discrétion est un élément essentiel de Sekiro, qui va permettre de se faciliter la vie en isolant et en tuant ses ennemis un par un un, après un temps d'observation de la topographie des lieux et des déplacements des ennemis, plutôt que de vouloir les combattre tous en même temps, ce qui est bien souvent impossible.

Cerise sur le gâteau, pour ce qui est des sous boss, il est quasiment toujours possible de les prendre par surprise et casser d'un seul coup une de leurs deux barres de vie. Il faudra bien faire attention, car depuis la démo de la Gamescom, l'IA s'est bien améliorée, et elle est très tenace, n'abandonnant pas les recherches immédiatement, même si l'on peut toujours lui reprocher quelques comportements bien désinvoltes. D'ailleurs, la possibilité de pouvoir mourir une fois puis de ressusciter reste au final assez gadget et peu stratégique : On ne dispose de pas assez de temps pour vraiment tromper ses ennemis, et il ne faudra pas compter sur le fait pouvoir surprendre deux fois le même boss... En vérité, on s'en servira surtout comme d'une seconde chance, quand on n'a pas eu le temps de boire une potion avant de recevoir le coup final... Néanmoins, clairement, dans les combats, la formule diffère énormément d'un Souls, mais reste ultra jouissive, notamment contre les ennemis les plus puissants.

On ne vit que deux fois

Eh oui, c'est en effet contre les boss que l'on va prendre le plus de plaisir - ou de frustration - en jouant. Si les ennemis sont d'abord assez basiques, avec une armée de samurai plus ou moins puissants, le tout se diversifie un peu plus par la suite, avec des monstres issus du folklore de l'époque, des animaux, mais aussi des bestioles humanoïdes qui vivent dans les marais. Les chefs de zone sont quant à eux plus charismatiques, mémorables, et dangereux ! La plupart devraient vous donner pas mal de fil à retordre dans la quête de la solution adaptée qui mène à la victoire, avec à chaque fois plusieurs essais avant de trouver la bonne stratégie, puis encore quelques unes pour la mettre en oeuvre. Clairement, on y passe du temps, et cela pourrait en frustrer quelques uns. Et attention de tout bien retenir, car il est fort probable que vous recroisiez la route d'un de vos anciens persécuteurs un peu plus tard dans le jeu ! Votre longue quête pourra vous mener à l'une des quatre fins différentes, pour peu que vous soyez un stakhanoviste de la difficulté, vraiment prononcée. En tous cas, on voit déjà d'ici les speedrunners et les performers arriver avec leur Sekiro fini en 38 minutes sans se faire toucher. Le challenge devrait être de taille, car le domaine d'Ashina où se déroule le jeu est assez vaste. Le début du jeu est assez linéaire sur la première dizaine d'heure - moins si vous êtes un dieu ou que vous jouez avec une soluce, bien plus si vous avez les mains carrées - avec deux "couloirs" plutôt vastes à explorer en ligne droite, mais ensuite, le décor s'ouvre avec de multiples embranchements , toujours dans des niveaux couloirs, mais interconnectés les uns aux autres de façon assez stylée, un peu comme dans un Souls classique.

Mais globalement, on a maximum deux ou trois chemins différents à explorer en même temps, et on ressent vraiment un peu plus de linéarité que dans les autres jeux From Software. La reconnaissance reste assez jouissive, avec moult secrets disséminés ici et là, et on apprécie vraiment l'utilisation du grappin qui fluidifie la chose. On se prend au jeu et on arrive à voir au loin quelques chemins possibles, ou même des secrets comme cette petite corniche à attraper 30 mètres plus bas que la falaise sur laquelle on se trouve. Clairement, l'exploration est un des points forts de Sekiro, même si elle reste un poil en retrait et plus linéaire par rapport à un Souls. En revanche attention, il faut vraiment ouvrir l'oeil, et le bon, car il est très facile de passer à côté d'une nouvelle prothèse de bras, d'une technique ou d'un objet clef... Clairement, que ce soit sur le gameplay, l'exploration ou la direction artistique, Sekiro est une franche réussite, on est plus que séduits. Ne reste plus qu'à parler chiffon et technique, avec un bilan bien plus qu'honorable sur PS4 Pro. Quelques petits détails sont bien sympas, comme la destruction des objets au sol, notamment les livres qui volent, quelques effets de lumières ou des champs de fleurs dignes de Ghost of Tsushima, mais le jeu n'y est pas ultra fluide (si l'on observe des pics assez élevés, cela rend l'ensemble peu uniforme). Les chutes de framerate existent, mais elles sont très rares. On pourra par contre rager un peu contre la caméra, qui peut se montrer capricieuse dans les angles des pièces, que ce soit en combat ou en déplacement. Aussi, sorti des sublimes cinématiques, les modèles 3D ne sont pas les plus réussis du moment, mais clairement, de par sa direction artistique sublime, Sekiro parvient quand même à nous mettre une vraie claque graphique, suivie de près par celle de sa jouabilité. On l'attendait, et il nous a satisfait dans quasiment tous les secteurs. Un indispensable du genre, clairement.