Pendant ce temps, à Vera... euh, sur le site mexicain de Cozumel, dans la péninsule du Yucatan... Lara Croft continue de traquer les Trinitaires, responsables de la mort de son père. L'ordre séculaire tente une fois encore de mettre la main sur un artefact de grande valeur : une dague Maya, la Clé de Chak Chel. Notre archéologue a tiré le gros lot puisque le grand chef, le Docteur Dominguez, a fait le déplacement. Dans quelle optique ? Est-il comme Docteur X et a-t-il envie de tout casser ? Les réponses tombent alors que l'héroïne pense avoir court-circuité ses plans. En ôtant la lame de son autel, elle a enclenché le processus de la fin des temps et la mort imminente du Soleil. Oui, rien que ça. Le gredin, qui vient de lui subtiliser l'objet tant convoité, lui explique avant de filer en hélico qu'une boîte en argent est nécessaire pour tout cesser et recréer la Terre tel qu'on le souhaite. Un raz-de-marée balaye le village où elle séjournait. Ce n'est qu'un avant-goût d'autres catastrophes qui vont avoir lieu par sa faute. Heureusement, elle a une piste. Direction le Pérou pour tenter d'éclipser la Trinité pour de bon.

Inca pour deux

Les années ont passé. Elle est loin, la survivante malgré elle de Yamatai. Lara s'est affûtée, aguerrie, se rapproche de la version née sous le crayon de Toby Gard - son top sans manches bleu sarcelle et - un très vite aperçu - double pas de prise d'élan sont des éléments qui aident à faire le lien physique vers l'aventurière intrépide que l'on connaissait avant le reboot. Bien décidée à assouvir cette vengeance qui lui tend les bras, notre héroïne va atteindre sa final form au terme d'une aventure qui, d'emblée, se montre plus captivante que celle assez convenue de Rise of the Tomb Raider. Tout en restant dans les clous d'un genre qui implique plus d'une étrange coïncidence, des caractérisations grossières et quelques maladresses d'intonation de niveau série B, Shadow of the Tomb Raider nous divertit grâce à un cadre plus chaleureux sur fond de mythologie précolombienne ensorcelante, des enjeux clairs et s'exonérant du twist visible à des kilomètres, un vilain très Indiana Jonesesque qui saura rayer définitivement de notre mémoire l'insipide Konstantin, et une chef rebelle autrement plus charismatique qu'un Jacob.

Sans oublier que même Jonah se met à montrer du tempérament, invectivant Lara et la menant à dévoiler un peu de cette humanité qu'on croyait remisée au placard depuis longtemps. Notre pilleuse obstinée et un brin asociale va révéler d'autres choses plus intéressantes que sa simple témérité ou sa capacité à enchaîner les assassinats, les gadins et les courses-poursuites sans prendre le temps de souffler. Outre une auto-analyse de ses défauts en sous-texte de certaines missions, on découvrira à la faveur d'un flashback comment sa vie a basculé et d'où lui viennent ses obessions. Un moment fort ludiquement et narrativement, faisant passer le joueur de l'insouciance au drame, qui permet de mieux comprendre Lara. Et qui trouvera écho dans un dénouement qui saura parler aux fans de la première heure.

Yes, we Kukulkan

Cette Lara qui navigue entre ombre et lumière va aussi se démener pour que l'incarner soit encore un bonheur. Il faudra toutefois partir du principe que les surprises ne sont pas légion, surtout si vous vous en tenez au strict scénario principal, pouvant se boucler en une quinzaine d'heures. Celles et ceux qui ont une poussée d'urticaire à l'idée d'un voyage qui implique les offrandes habituelles d'un Tomb Raider tourneront probablement les talons. Lara renoue très vite avec ses penchants pour l'escalade à mains nues ou à coups de piolets, la destruction de murs friables, la manipulation de différents leviers, le funambulisme et les sauts improbables (où il lui arrive parfois d'oublier de tendre bras), les fuites sous pression, les glissades, l'esquive de pièges, les phases d'infiltration (y compris sous l'eau), les assassinats furtifs, le combat à distance et au corps-à-corps, le tir à l'arc pour chasser ou se créer des chemins, la cueillette et le ramassage systématique de ressources présentes en nombre. Et évidemment, à mesure que l'on avance, les options pour ouvrir des zones ou des cachettes inaccessibles se présentent, comme l'indispensable fusil à pompes, les épingles de crochetage (qu'on ne trouve que grâce à une quête annexe) ou encore le couteau de fortune affûté.

On ne manquera pas de souligner que ce plat au goût familier est saupoudré de quelques épices rehaussant sa saveur. La partie matérielle s'est enrichie d'un grappin qui nous laissera descendre en rappel, nous rattraper à des corniches ou jouer du balancier... Et se révélera bien utile pour jouer les Batman façon Arkham lorsque l'on sera perché sur une branche. Au lieu de plonger coupe-chou brandi en vue d'éliminer rapidement, on emploiera la corde pour saucissonner et suspendre un imprudent en contrebas. Efficace. Le carquois accueille en outre une nouvelle ruse amusante. Toujours capable de confectionner ses munitions à la volée, Lara fabriquera des flèches empoisonnées faisant péter les plombs à la victime. Si celle-ci est entourée d'autres patrouilleurs, elle va s'employer à les zigouiller avant de se donner la mort, les survivants partis se planquer étant à votre merci le temps que ça s'arrête. Redoutable. A tel point que les développeurs ont eu la bonne idée d'en faire profiter assez tard pour ne pas que toutes les approches furtives ne tournent autour.

L'estomac dans le Stallone

La façon dont on abordera des groupes d'antagonistes, bien moins nombreux qu'auparavant et Dieu merci cela ne fait pas de mal, dépendra de nos propres aptitudes. Et d'une prise de conscience : en face, on vise bien plus juste et il ne faut pas plus de trois balles/flèches/coups de machette/griffures/morsures avant que Miss Croft ne succombe. En même temps, on se plaignait que l'I.A. était bête à manger du foin par le cul auparavant. Alors un peu de challenge, pourquoi se plaindre ? Ce qui est sûr, surtout quand la baston se met à tourner au vinaigre à cause d'un close-combat toujours un peu brouillon, c'est qu'on ne boudera pas l'arsenal autorisé - à ramasser ou acheter chez les différents marchands acceptant qu'on leur refourgue nos sacoches d'or et de jade. Et encore moins ce que les arbres de compétences (chercheur, guerrier et pilleur) aux couleurs des civilisations précolombiennes vont lui ouvrir comme possibilités. Par exemple, les décoctions qui exacerbent la perception mais surtout la résistance et les réflexes (le temps ralentit quand on vise), on vote pour. De même que tout ce qui permet d'améliorer son rendement, de verrouiller plusieurs cibles, de récupérer plus de matos pour le crafting à la volée ou l'upgrade des armes à un feu de camp.

On appréciera aussi, pour celles et ceux plus portés sur la furtivité, clairement privilégiée, un nouveau pouvoir qui permet à la jeune femme de s'affirmer toujours plus comme la meilleure admiratrice de Sylvester Stallone. On la savait au niveau de Cliffhanger pour la varappe et le rattrapage à des corniches branlantes, la voici plus proche que jamais du John Rambo de First Blood : après s'être enduite de boue, elle peut se planquer dans des murs végétaux pour passer inaperçue et... Couic ! Enfin, cela n'empêchera pas de se laisser aller à un peu d'action Over the Top - Ah tiens, pas fait exprès, celle-là - qui font aussi partie d'un trajet bien mouvementé en ligne droite.

Ix Chel, ma belle ♫

Les affrontements sont là. Mais moins nombreux, davantage accessoires et au service d'une rythmique soignée. Le bourrinage qui cassait pas mal les dernières lignes droites des éditions 2013 et 2015 a pris un coup dans l'aile. Et c'est tant mieux. Même si on ne vous empêchera pas d'avancer comme vous le désirez, on ne pourra s'empêcher de souligner que l'essentiel réside dans l'exploration, l'aventure, la découverte d'endroits qui touchent parfois au sublime et tutoient, dans certains cas, la nature majestueuse de certains décors des Uncharted de la PS4. Les plus passionnés auront d'ailleurs du mal à ne pas tout plaquer pour se consacrer au mode Photo et devenir une usine à screenshots. Le talent artistique est pour beaucoup dans le plaisir que l'on peut tirer à explorer une jungle touffue, à plonger dans des eaux gardant des vestiges incas merveilleux, à découvrir au loin des temples et sculptures imposantes, à visiter des cavernes inquiétantes ou des églises à l'abandon. Mais techniquement aussi, grâce à la finesse des textures et la justesse des éclairages ainsi qu'à la propension à garder les zones peuplées vivantes et animées. Les placements d'une caméra qui semble elle aussi vivre l'aventure et qui permet d'admirer le soin apporté à la modélisation et aux animations de la britannique, cela aide bien aussi. Ce serait une offense que d'omettre des atmosphères toujours au diapason, que l'on soit seul dans un souterrain lugubre, assailli dans un palais en ruines ou se sentant observé par la faune dans la forêt, au pied d'un concert de mariachis lors du Dia de los Muertos ou près d'une tribu se prosternant devant une effigie sacrée.

Mais assez de flatterie en direction des esthètes, techos, sound designers et compositeurs d'Eidos Montréal et Crystal Dynamics, ils doivent parfaitement savoir ce qu'ils ont accompli. Reste que tout ceci se met surtout au service d'aires de jeux ayant pour qualité, en plus de présenter des espaces dans lesquels on perd parfois le Nord (surtout dans la très vaste Paititi), de contenir un nombre étourdissant de choses à faire. L'altruisme est intense dirait un génie mental bien connu. Les différents villages regorgent des missions secondaires parfois scénarisées de façon intelligentes, et l'on est surpris par le côté organique de la découverte de certaines autres. Les sens toujours en éveil (ou avec l'instinct de Lara qui illumine les éléments important qui l'entourent) on ne peut s'empêcher de vouloir jeter un oeil quelque part, de chercher à ramasser et lire le moindre document ou carnet de voyage, de faire évoluer ses connaissances dans les différents dialectes pour déchiffrer des monolithes indiquant, par énigmes, des emplacements de trésors... Bref, on a aucune peine à vouloir relever les innombrables défis. Il y a toujours une récompense à en tirer.

Il n'y a que Maya qui m'aille

Bien entendu, le summum de la félicité se situe dans les tombeaux, incontournables de la série. Si certaines cryptes, rémunérant par des costumes offrant de menus bonus (ou pour certains, indissociables de la trame, donnant le droit d'aller dans certains recoins), les rejoignent pour donner plus de place à la grimpette et l'observation, ces neuf environnements spéciaux restent LES stars. Ils sont l'essence de Tomb Raider : des endroits souvent gigantesques, qui nous obligent à composer avec des mécanismes et pièges qui vont un peu gratter la tête - non sans la présence de quelques invités agressifs pour plus de tension. Ici, rien à redire. Le design est toujours impeccable, impressionnant. Et se balader à bout de bras, réfléchir en fonction des effets de la physique, de l'air, du feu, du poison, de l'eau ou encore du vent pour au final atteindre un autel qui conférera une nouvelle aptitude - si vous voulez profiter à fond d'un New Game + qui vous laissera en récupérer trois inédites, ce sera indispensable -, cela demeure grisant. Ajoutons d'ailleurs pour ceux qui souhaiteraient ne bénéficier d'aucun coup de pouce ou au contraire ont peur de se sentir submergé que les curseurs de difficulté des combats, d'exploration et d'énigmes s'ajustent. Cela laissera à chacun(e) le loisir de trouver chaussure à son pied, et à profiter à son rythme, ses capacités, sans pester, d'autant que les différences, tant concernant l'I.A. que les différentes assistances, se révèlent assez sensibles. Et précisons que pour les besoins de cette critique, tout était fixé sur Moyen. Et l'expérience fut concluante.