Si vous êtes de ceux qui auraient réussi à passer entre les gouttes, Dead Cells est décrit comme un "Roguevania" par ses développeurs. Derrière ce terme sans doute piloté par une pointe de marketing se cache en effet un mariage (pour tous) entre l'exploration progressive d'un Metroidvania et la peur de tout devoir recommencer à chaque rencontre avec la Grande Faucheuse.

La recomposition cellulaire

Côté narration, Dead Cells s'inscrit sans rougir dans la catégorie des titres résolument minimalistes : vous plongeant directement au coeur de l'action, dans les tréfonds clairs-obscurs d'une cellule de prison moite, le jeu de Motion Twin fait primer l'action sur le scénario. Vous échangerez bien quelques amabilités avec les rares interlocuteurs qui ponctueront inlassablement chacune de vos tentatives, mais la reconstruction du puzzle ne dépendra ensuite que de vous. Très concrètement, Dead Cells vous octroiera ça et là quelques indices sur les événements ayant précédé votre arrivée sous la forme de pièces à inspecter ou de notes griffonnées laissées à votre discrétion, mais il faudra pour cela faire carburer votre cervelle et votre tendance au complotisme pour y déceler un éventuel fil rouge. Les références ne manquent en revanche pas, et font en plus preuve d'un éclectisme savoureux, puisque sont cités The Legend of Zelda comme Firewatch. Quant au git gud...

Mais qu'importe : son propos à peine chuchoté n'handicape nullement ce mélange des genres, et il ne faudra pas chercher à tout prix à intellectualiser une expérience qui met encore et toujours l'accent sur l'apprentissage et l'acquisition d'expérience bien réelle. Certes, on comprendra bien rapidement que votre tas de cellules autonomes colonise systématiquement une carcasse produite en masse, mais c'est bien la sensation de découverte et la volonté de survivre toujours un peu plus longtemps qui poussera à aller encore et toujours de l'avant. Et à se relever.

Sick in the head, living but dead

Rogue-like oblige, la mort est omniprésente dans Dead Cells : en démarrant l'aventure armé d'une simple lame et (au choix) d'un bouclier ou d'un arc tout aussi sommaires, les premiers runs des joueurs n'ayant pas les mains sur la version bêta se feront dans la douleur, obligés qu'ils seront d'apprendre à la dure les règles de cet univers aussi dangereux que somptueux. En plus de votre attaque au corps-à-corps, il faudra sans surprise composer avec un double saut classique et efficace, mais aussi une roulade permettant d'esquiver bon nombre d'attaques ennemies. Et puisque votre barre de vie mettra un temps certain à atteindre les quatre chiffres, la fuite et la temporisation seront dans un premier temps vos meilleurs alliés pour ne pas être renvoyé trop tôt à la case départ, sans passer par la case prison.

Et il ne faudra évidemment pas compter sur votre mémoire d'éléphant pour tirer votre épingle du jeu, puisque la tradition du Rogue-like est scrupuleusement respectée, et toutes les zones traversées verront donc leur topographie transformée. Mais là où l'air du temps pousse désormais bon nombre de studios à opter pour une simple génération procédurale des niveaux, Motion Twin combine avec intelligence le meilleur des deux écoles. Si chaque mort remet bel et bien les compteurs à zéro, la structure principale reste dessinée a la mano, comme à la bonne époque où level design n'était pas qu'un lointain souvenir. Et il faut dire qu'en termes de progression, la fleur est d'importance : certaines zones demeurent ainsi horizontales dans leur structure, quand d'autres vous obligeront systématiquement à viser un peu plus près des étoiles. Mais même le plus tortueux des labyrinthes situera quoi qu'il arrive sa porte de sortie dans la même zone à chaque essai, histoire de ne pas s'attarder trop longtemps sur des premiers niveaux dont vous n'aurez que faire passées quelques heures de jeu.

À la baguette

Le jeu se révèle rapidement d'une nervosité démoniaque, dès lors que vous aurez assimilé le timing très exigeant de l'esquive ou de la parade au bouclier, qui vous rapportera une fois amélioré de sympathiques bonus offensifs ou défensifs. Et avec les hordes d'ennemis qui pourront suite à une maladresse ou une mauvaise lecture de votre part entamer en une poignée de secondes les trois quarts de votre barre de vie, il va falloir rester en toutes circonstances concentré comme la tomate. C'est qu'il y en a, des informations présentes à l'écran ! Les revenants aguerris pourront toujours désactiver une partie du HUD dans les options, ou au contraire ajouter quelques indications visuelles supplémentaires, voire même une fonction de roulade intelligente qui stoppe votre mouvement à l'approche d'un précipice.

Et que ceux qui hurleraient à la tricherie se ravisent bien vite : il n'y a au vu de la difficulté pas de honte à proposer en option quelques outils pour ne pas décourager trop rapidement les joueurs aux réflexes quelque peu rouillés. Face aux différents boss que l'on ne s'attend pas toujours à affronter, il faudra de toutes façons faire preuve d'une détermination en acier trempé. Précisons également la possibilité de désactiver les flash trop intenses, une bien belle (et rare) fonctionnalité qui ravira les photosensibles. Enfin, comment ne pas mentionner avec malice les divers régimes alimentaires complètement cosmétiques, mais qui permettront aux végétariens comme aux français incapables de se passer de bon pain d'être toujours satisfaits.

Second to none

Et chaque fin de niveau sera l'occasion de sauter de joie, puisque viendra alors le moment de transformer votre butin en armes principales, secondaires, mais aussi et surtout de débloquer de précieuses capacités, véritable nerf de la guerre dans Dead Cells. Certains ennemis trucidés auront laissé derrière eux des orbes bleutés qui vous serviront de monnaie d'échange auprès du Collectionneur, seule autorité habilitée à vous rendre toujours plus balèze. Mais comme la vie est une question de priorités, votre style de jeu déterminera les augmentations les plus aptes à faire grimper en flèche votre durée de vie.

Côté options, Dead Cells se montre une fois de plus d'une générosité sans limite : proposant une palanquée d'armes secondaires (des grenades incendiaires aux scies circulaires en passant par les lance-flammes de rigueur), mais aussi de très, très nombreuses armes blanches, de tir, ou des magies à découvrir au fur et à mesure, chaque joueur trouvera nécessairement chaussure à son pied. Mais parce que même dans ce jeu, la vie ne saurait se résumer à l'anéantissement pur et simple de son prochain, il faudra aussi prendre du temps pour soi, et améliorer par exemple le nombre de potions de soin transportables ou la quantité de monnaie qui vous survivra, d'un amour vivant.

Piffe gadget

C'est pourquoi la gestion de votre inventaire et de vos dépenses s'avérera tout simplement cruciale pour espérer progresser passée la dizaine d'heures de jeu. Si vos améliorations permanentes vous autoriseront à prendre quelques raccourcis et autres chemins alternatifs pour gagner un peu de temps, ou au contraire risquer gros pour maximiser le butin, c'est votre capacité à agir en bon père de famille qui déterminera votre aptitude à avancer dans l'aventure. À l'instar d'un Spelunky, un run pourra être complètement pourri par une série de mauvais drops, alors que l'inverse vous donnera un sentiment de surpuissance absolument jouissif.

Et si malgré cela vous continuez de vous casser inlassablement les dents sur le même boss après moult tentatives, le drop de départ pourra, moyennant quelques dizaines d'orbes, jouer en votre faveur dès les premières minutes, et la possibilité de conserver toujours plus d'argent vous autorisera à zapper les boutiques des premiers niveaux pour espérer vous payer une nouvelle arme secondaire surpuissante lorsque viendra le temps de se frotter à ceux qui ne pardonnent pas. En revanche, un relâchement de l'attention sera systématiquement puni par une mort aussi bête que soudaine : si les boss à upgrades disparaissent une fois le butin récupéré, les autres gardiens s'avèrent indéboulonnables, et nécessitent d'être défaits à chaque nouvelle tentative.

Au rendez-vous de la faucille

Il va donc sans dire que la répétition et l'acharnement seront ainsi les maîtres mots de Dead Cells. Impitoyable dans ses premières heures, le jeu ne se laisse dévoiler qu'à force de recommencement. Inutile de dire qu'à ce petit jeu, les moins patients risquent de rapidement lâcher l'affaire devant la montagne à gravir. Et ce serait évidemment bien dommage, puisque si le jeu se refuse à coucher dès le premier soir, il réserve son lot de surprises aux acharnés. Les premiers environnements laissent surtout admirer le fabuleux travail réalisé sur les animations des différents personnages, les ambiances et les backgrounds ne feront que gagner en superbe au fur et à mesure de votre progression. La palette de couleurs choisies se révèle quasi-systématiquement d'une pertinence à ôter son galurin, et la gestion de la lumière continue d'émerveiller tant elle rayonne littéralement à chaque nouvelle zone. Et lorsque tout s'imbrique et que le tableau qui s'anime devant nos yeux reste grâce aux teintes franches empruntées au genre du danmaku (le cousin hardcore du shoot'em up) d'une lisibilité sans faille, l'hallu est presque totale. Presque, car à l'heure actuelle quelques petites latences et recadrages viennent encore gâcher par moment une action frénétique.

Que dire, enfin, des musiques qui illustrent assez discrètement mais avec beaucoup d'ingéniosité votre périple, si ce n'est qu'elles auront su convaincre tout le monde chez votre serviteur, y compris sa très exigeante compagne, professeur de musique de son état. Piochant goulûment dans une vaste palette d'instruments, elles participent activement à l'ambiance entremêlée de mystère et d'aventure qui transparaît sans un mot grâce à une mise en scène certes dépouillée, mais assurément riche en évocations. Signée Yoann Laulan, la bande-son de Dead Cells est en plus librement disponible sur la page bandcamp du compositeur barbu (et il n'est pas ici question de feu-Corbier), qui a en plus le bon goût d'adorer les chats. Décidément, certains signes ne trompent pas.