Rarement un titre de jeu n'aura aussi bien porté son nom. L'agonie, étymologiquement, désigne ce combat, cette lutte constante contre la mort, et c'est ce à quoi le personnage central, véritable martyr, devra se livrer lors de sa longue descente aux enfers ; laquelle sera également vécue comme telle par le joueur...

Le diable au corps

Plutôt devrais-je parler d'Enfer, au singulier, car il s'agit bien d'une imagerie chrétienne qui est convoquée tout au long de ce titre. En témoigne la présence de versets bibliques insérés pendant les temps de chargement et qui renvoient généralement aux mêmes conceptions de déchéance, de condamnation et d'abîme moral. Bien entendu, comme tout jeu vidéo puisant allègrement dans la culture mythologique ou religieuse, ces influences ne sont qu'un prétexte pour développer un univers particulièrement sombre et malsain, où les notions d'espoir et de rédemption semblent absentes. L'influence de Dante paraît lointaine...

Nous prenons donc le contrôle d'une âme errante, celle d'un certain Amraphel, dont l'unique objectif est de s'échapper du lieu de perdition dans lequel il se trouve. Il devra pour cela se rendre auprès de la Déesse Rouge, entité méphistophélique semblant régner sur le domaine infernal. Les démons y sont légion, de même que les martyrs, voués à laver leurs péchés par d'horribles supplices infligés. Ces derniers déambulent pour la plupart avec un sac de toile sur la tête, qui peut se voir retiré par le joueur.

Soyez prévenus, Agony ne fait clairement dans la subtilité et confronte directement le joueur à des scènes rarement éprouvées avec autant de sordidité dans le jeu vidéo : éviscérations continues, pornographie macabre, tête de bébés éclatées... Avec cette esthétique profondément gore, le titre verse dans une surenchère parfois absurde qui en rebutera plus d'un, mais qui a le mérite d'être assumée. On vous laisse juger de la chose...

Une journée en enfer

Malheureusement, les développeurs polonais de Madmind Studio ne disposent pas des mêmes moyens que leurs compatriotes de chez CD Projekt RED. Sur PS4 standard du moins (version testée), la technique d'Agony joue les suppliciés, avec un tearing particulièrement prononcé à chaque mouvement de caméra. Malgré quelques jolis panoramas, les textures prêtent bien souvent à sourire tant elles s'avèrent particulièrement ratées. Mention spéciale aux visages des martyrs qui, en plus d'être mal animés, en feraient frémir plus d'un, et pas pour les bonnes raisons. Ajoutez à cela un effet de scintillement parfois à la limite du supportable et vous obtenez un titre nous renvoyant une douzaine d'années dans le passé, à l'aube des premières consoles HD.

Malgré le ton volontairement lugubre, nous vous conseillons de régler la configuration gamma aux deux tiers si vous envisagez de pouvoir circuler normalement dans le dédale infernal de la Déesse Rouge. En effet, vous aurez tôt fait de vous confronter à un mur sans savoir comment revenir en arrière, tant le titre s'avère sombre et labyrinthique.

S'agissant de l'ambiance sonore, celle-ci se révèle angoissante et plutôt réussie dans l'ensemble, pour peu que vous vous délectiez des lamentations, des cris de torture et des vagissements de nourrissons. La musique, en générale discrète, accompagne efficacement les montées en tension, notamment lorsque le danger se fait le plus sentir.

Martyr au flanc

À l'instar de la plupart des survival horror aujourd'hui, Agony opte pour une vue à la première personne permettant une immersion plus prononcée du joueur dans ce cadre horrifique. En revanche, en matière de gameplay à proprement parler, on se rapproche davantage d'un Outlast que d'un Resident Evil tant la notion de survie, voire d'infiltration, est primordiale ici. Point d'arme pour se défendre, il faut faire montre d'habileté et de patience pour se soustraire à la vigilance des succubes et autres araignées anthropomorphes qui se mettront en travers de votre chemin. Pour ce faire, le joueur peut s'accroupir, mais également retenir sa respiration pendant un laps de temps limité afin d'être le plus silencieux possible.

Il lui est également donné la possibilité de se faufiler dans des petites crevasses ou de plonger dans une pile de cadavre pour passer inaperçu. Il ne tient qu'à vous de mémoriser l'emplacement de ces différents abris car, une fois repéré, il ne vous reste plus qu'à fuir. Si vous vous faites capturer, vous pouvez dire adieu à votre enveloppe charnelle, qui se retrouvera broyée, déchiquetée, éviscérée par l'infâme et avide créature qui aura eu l'aubaine de croiser votre route. Néanmoins, la disparition du corps n'est pas synonyme de mort définitive dans Agony. Nous prenons le contrôle de notre âme errant à la recherche d'un nouveau réceptacle pour assurer sa survie.

Vous vous souvenez des martyrs en peine que nous avions évoqués plus haut ? Ils trouvent leur pleine utilité ici puisque si vous avez au préalable retiré le sac qui leur obstruait la vue, ceux-ci peuvent remplir l'office de nouveau corps et être possédé par l'âme, qui n'a que qu'une quinzaine de secondes pour accomplir son acte de possession avant le game over. Ainsi, les martyrs agissent comme autant de nouveaux avatars pour le joueur, qui se retrouve pris dans un cycle de perpétuel recommencement. Hélas, si cet aspect du gameplay demeure sympathique, on s'en lassera bien vite tant on passera notre temps à passer l'arme à gauche.

Don du sang

Outre son intrigue volontairement abstraite, Agony ne nous donne que peu d'os à ronger pour nous aider dans notre progression. À tel point qu'à chaque nouvelle zone, on ne comprend pas réellement ce que l'on doit faire pour avancer. Et ce ne sont pas les différentes notes glanées sur notre route ou les commentaires nébuleux que nous largue la Déesse Rouge tout au long de notre quête qui changeront la donne. Ce sentiment de perdition, qui pourrait servir le propos, finit par agacer et on aura tôt fait de s'aider de la petite lumière que l'on peut projeter et qui sert à indiquer l'emplacement des prochains objectifs.

Le jeu prend de vagues atours de puzzle game grâce à la présence d'énigmes. Parmi elles, les marques de Sigil, dont les symboles sont incomplets et qu'il nous faut parfaire pour débloquer un passage. Au joueur d'être attentif aux éléments du décor environnant pour tracer à l'aide du sang de son avatar les formes manquantes. Ces énigmes s'avèrent somme toute assez faciles à résoudre mais viennent néanmoins rompre quelque peu la monotonie du titre.

Point sur lequel il ne sera pas nécessaire de s'attarder : il dispose d'un système de compétences très sommaire et s'arquant sur un nombre limité d'améliorations d'aptitudes. Par ailleurs, l'acquisition de ces dernières paraît peu suivi d'effets au sein de l'expérience.

Demon Days

Au final, Agony se présente comme un titre plutôt classique dans sa prise en main, tant et si bien que l'on finira vite par s'y ennuyer. Et ce ne sont pas les quelques collectibles disséminés çà et là qui pousseront le joueur à s'y intéresser davantage. Difficile alors de se dire qu'il faudra terminer le jeu six fois de plus pour pouvoir découvrir toutes les fins imaginées par les développeurs. Pas sûr que le joueur s'y attardera davantage, une fois le générique défilé.

Deux modes de jeu subsidiaires prolongent la durée de vie, à commencer par le mode Agonie. Celui-ci permet d'évoluer dans des zones closes, avec des objectifs à atteindre : dénicher des objets, abattre un certain nombre d'ennemis... Mais cette fois-ci, point de résurrection, la partie s'achève une fois mort. L'accomplissement des missions données permet de déverrouiller d'autres zones dans ce qui s'apparente à une sorte de Colisée démoniaque, où l'on peut comparer ses scores avec d'autres joueurs en ligne.

Enfin, le mode Succube, disponible seulement une fois le jeu terminé, nous permet cette fois d'incarner un démon. Ici, l'infiltration n'est plus de mise et l'objectif est de massacrer tout ce qui bouge, martyr comme créature, en survivant le plus longtemps possible. On comprend l'idée, mais on en aura vite fait le tour.