Si vous aviez quelque doute quant à la filiation qui unirait notre duo fraîchement sorti d'usine et l'iconique tandem issu de la période Nintendo 64, laissez-moi les balayer d'un coup d'un seul : tout, je dis bien TOUT dans Yooka-Laylee transpire l'ours mal léché. De la sélection des menus où vous aurez à choisir parmi trois slots animés aux dialogues oscillants entre onomatopées et borborygmes, de la structure en niveaux ouverts en passant par les innombrables items à collecter, c'est comme si les développeurs avaient extirpé une cartouche de la fin du siècle dernier pour lui donner un coup de polish avant de la commercialiser sous forme dématérialisée. Vous étiez hermétique au style rondouillard et faussement enfantin de Banjo-Kazooie ? Passez votre chemin. Vous vous languissez d'arpenter à nouveau des niveaux de pure plate-forme en quête de surprises et de répliques débiles ? Bienvenue à la maison les enfants.

Rendez-vous en terrain connu

Playtonic Games a décidé que c'était dans les vieux pots que l'on faisait les meilleures soupes, et ce jusqu'à la dernière goutte. Jugez par vous-mêmes : alors que nos deux compères glandouillent tranquillement sur un rocher par une belle journée ensoleillée, le vilain Capital B (que l'on jurerait tout droit sorti de Moi, Moche et Méchant) et son acolyte Dr. Quack (une rencontre explosive entre Krang et Daffy Duck) décident de mettre leur diabolique plan visant à annihiler la littérature à exécution. Loin d'être de fins amateurs des belles lettres, Yooka et Laylee voient surtout s'envoler une à une les pages de leur précieux livre doré, source de richesse et donc de farniente illimité. C'est ainsi armé de la seule volonté de siroter des cocktails en terrasse que nos deux héros partent à la recherche des précieuses Pagies, en infiltrant la Tour d'Ivoire de la Quack Corporation. Une ode aux RTT en ces temps de réduction présidentielle des coûts ? Voilà qui pourrait bien redonner des couleurs au printemps...

Coloré et sans prise de tête, Yooka-Laylee l'est certainement : chacun des cinq mondes thématiques regorge de teintes lumineuses et bichonne une modélisation au doux parfum de bonbon artisanal. Si le niveau de polygones ne profite clairement pas des ressources de nos machines current gen, la direction artistique résolument mielleuse confère au jeu une atmosphère chatoyante et cartoonesque qui porte au ravissement. C'est donc dans une ambiance plus que joyeuse que le duo arpentera un à un des niveaux de pure plate-forme à la recherche des infinis collectibles dont le studio a le secret : les plumes dorées qui servent de monnaie d'échange, les jetons qui débloquent l'accès à une borne rétro, les spectres à débusquer et à capturer, la liste est longue et loin d'être exhaustive...

Trazom le serpent

Mais le coeur de la quête de Yooka et son pote Laylee reste bel et bien la collecte des Pagies sus-citées. Au nombre de 25 par Tome, elles sont au titre ce que les Pièces de Puzzle étaient aux iconiques Banjo et Kazooie : une preuve de votre skill qui vous permet d'avancer dans l'aventure. Disséminées dans des mondes librement explorables, elles s'obtiennent en menant à bien une phase de plate-forme retorse, en accomplissant une demande d'un quidam local, ou en remportant des défis contre la montre. L'ouverture immédiate des différents mondes rend la quête des Pagies libre comme l'air : sans carte ni direction indiquée, le joueur est amené à explorer à sa guise les moindres recoins du périmètre pour découvrir les épreuves qui lui permettront de décrocher le précieux sésame.

On se perd facilement durant les premières minutes, mais la topographie des lieux prend rapidement forme, au fur et à mesure des liens que l'on pourra établir. Car si les deux acolytes s'affranchiront sans peur de nombreuses épreuves, certaines Pagies obligent à faire des allers-retours dans le niveau, mais aussi entre les Tomes eux-mêmes. Car en bon héritier de Banjo-Kazooie, Yooka-Laylee propose d'étendre grâce aux Plumes d'Or la palette de mouvements disponibles : il faudra ainsi vider son livret A pour acquérir de nouvelles compétences chez Trowzer le serpent, business man surbooké au short rapiécé. Chacune d'entre elles permettra de faire face aux nombreux ennemis qui barreront votre route, mais aussi (et surtout) d'accéder à certaines épreuves jusqu'alors bloquées. Et comme la vile vipère est présente dans chacun des cinq Tomes, il faudra donc revisiter à l'occasion les mondes précédents pour en faire progressivement le tour.

Il jouait du banjo debout

Mais là où Yooka-Laylee s'affranchit véritablement de son illustre ancêtre, c'est dans la progression en deux temps qu'il dévoile avec malice au fur et à mesure de l'aventure. Car si les Pagies servent à débloquer de nouveaux Tomes, elles permettent aussi de les agrandir dès une fois le minimum syndical accompli. Il faudra donc tout d'abord choisir son école : passer au chapitre suivant et foncer jusqu'au combat final, ou prendre son temps et explorer les joyeuses nouveautés que chaque expansion apportera au Tome que l'on pensait connaître.

Modifiant la topographie des lieux où débloquant l'accès à de nouveaux recoins, cette sympathique trouvaille enrichit grandement l'expérience et renforce son côté « progression à la carte ». Et heureusement. Car avec un nombre réduit de seulement cinq Tomes et et un hub central à explorer, Yooka-Laylee s'achève bien plus tôt qu'on ne l'aurait souhaité. C'est bien là l'un de ses seuls défauts d'ailleurs : la ballade est si agréable qu'on est forcément frustré en apercevant la ligne d'arrivée... Les adeptes du 100% pourront heureusement poursuivre l'aventure en partant à la recherche des dernières Pagies manquantes.

Wubba Lubba Dub-Dub

Loin d'être dépeuplés, les différents Tomes explorés par nos nouveaux compagnons de route donneront lieu à d'improbables rencontres dont les ex-Rare ont le secret. Oscillant entre les sympathiques protagonistes d'un Banjo-Kazooie et le cynisme très britannique d'un Conker's Bad Fur Day, la galerie de PNJ propose de sympathiques rencontres, inattendues pour la plupart. Entre les bonhommes de neige dépressifs, Kratos le chariot minier qui renvoie aux belles heures des Donkey Kong Country et Rextro le dinosaure qui ne jure que par ses bornes poussiéreuses, les entrevues se suivent et ne se ressemblent pas.

Ne vous fiez pas de prime abord à leurs onomatopées volontairement bien débiles, car le niveau de sarcasme et de références au glorieux passé du studio Rare (et du jeu vidéo dans son ensemble) qui ponctuent les dialogues décrocheront bien plus d'un éclat de rire. Du soudoiement de testeur (j'attends encore mon chèque les gars) à la lecture du pseudo-manuel, on comprend très vite que les équipes de Playtonic ne se sont fixés aucune limite, et jouent avec une certaine réussite la carte de la déconne à coups de références et de quatrième mur brisé. La VF parvient à suivre la plupart des blagues originales, mais elle finit carrément dans les choux dès lors qu'il s'agit d'expliquer quelques astuces de manière convaincante. Mention WTF aux écrans de chargement qui ont visiblement été sous-traités en dernière minute.

Le tout est porté par une bande-son menée une nouvelle fois de main de maître par Grant Kirkhope. Certes, le maestro réutilise les mêmes ficelles et gammes chromatiques que par le passé, mais il faudrait vraiment faire la fine bouche pour bouder son plaisir. Il faut par exemple écouter comment le royal thème ornementé du Glacier Glaga devient d'un coup cristallin et intimiste en entrant dans la Grotte des Gemmes Sinistres... Avec plusieurs modulations thématiques par niveau, il ne sera pas rare de plonger sous l'eau, poussé par la simple curiosité de surprendre vos esgourdes.

Ragequit ou double

Mais tout n'est pas aussi rose que le nez de Laylee dans ce joyeux petit monde : la sacro-sainte maniabilité au poil de cul indispensable à la bonne conduite de tout jeu de plate-forme qui se respecte fait parfois défaut. Si la caméra sous LSD peut rapidement se dompter via le menu correspondant, elle continuera malheureusement à se manger bon nombre d'éléments du décor, un handicap certain dans les phases décisives où la moindre chute est synonyme d'échec.

Et bien qu'aucun pad n'ait traversé mon salon dans un excès de colère, il faut bien avouer que ces déconvenues apparaissent un peu trop souvent pour les passer sous silence. Fort heureusement, Yooka-Laylee a eu la bonne idée de laisser compteur de vies et autres Game Over au vestiaire. C'est donc dans l'insouciance la plus totale que vous pourrez retenter ad nauseam votre chance le cas échéant. On a failli avoir peur.