Si vous vous demandiez jusqu'à quel point Inafune allait sans vergogne inscrire son nouveau poulain dans les pas du héros qui nous a offert tant de bons moments depuis 1987, laissez-moi simplement vous compter les déboires de Mighty No. 9 : alors que les robots ont été totalement contrôlés par les humains pour répondre à leurs moindres desiderata, tout le monde semble couler de la bielle des jours heureux... jusqu'au jour où ces derniers se révoltent subitement ! Saperlipopette, c'est certainement un coup du très, très méchant Dr Blackwell, le scientifique fou qui croupit derrière les barreaux d'une prison de haute sécurité ! Heureusement pour nous, le très, très gentil Dr White avait conçu une unité pas comme les autres en la présence de Mighty No. 9 : grâce au fabuleux pouvoir de l'assimilation, celui que l'on appelle aussi Beck va partir la fleur au blaster ramener tout ce petit monde à la raison.

Vous l'aurez compris, ce n'est certainement pas sur son scénario copié/collé que Mighty No. 9 va chercher à s'émanciper de son aïeul spirituel. Ce ne sera pas dans son gameplay non plus d'ailleurs, car vous atterrirez dès les premières secondes en terrain connu : blaster, dash et saut seront vos seules armes pour vous frayer un chemin à travers les hordes de monstruosités mécaniques qui tenteront de vous barrer le chemin.

La méthode Assimil

La véritable nouveauté apportée par les équipes de Comcept réside dans la fameuse capacité d'assimilation de Beck : après avoir asséné quelques tirs bien placés, chaque ennemi sera visuellement sonné, et c'est à ce moment-là qu'un dash en viendra définitivement à bout. Si l'on pourra toujours le défaire à l'ancienne en continuant à le noyer sous les balles, le jeu vous invite clairement à tirer le meilleur de cette subtile spécificité. En plus d'activer un compteur de combos qui pousse à enchaîner les mouvements plein de skill pour regagner un peu de vie, il permet surtout de glaner ici et là de pratiques power-ups ! Tel un Kirby en contrat d'intérim, le Puissant Numéro 9 emprunte pour quelques instants les attributs élémentaires de ses ennemis : le feu augmente la puissance du tir principal, le vent permet des déplacements plus rapides, etc. Cumulables à l'envi, ces bonus invitent à enchaîner les combos pour profiter plus longtemps de leurs attributs, ce qui rend la progression parfois assez agréable.

L'argent ne pas fait le bohnumber 9

Parfois ? Tout à fait. Car j'ai beau chercher, voilà tout ce que l'on pouvait dire de positif sur ce Canada Dry de Mega Man... La première chose qui pourra faire saigner vos petits yeux avides de sensations perdues, c'est bien entendu l'enrobage du titre : loin des sympathiques artworks qui pouvaient laisser supposer un style 2D délicieusement japonais, la direction artistique ne parvient jamais à proposer quelque chose de plaisant. Alors que le logo de l'Unreal Engine 4 s'affiche fièrement au démarrage, on peut légitimement se demander depuis quand nous n'avions pas eu droit à une présentation si confuse ? La modélisation 3D n'est certes pas transcendante, mais c'est surtout la direction artistique qui se charge de plomber les jambes robotisées de notre brave humanoïde : au pire complètement ratée, au mieux générique à souhait, elle accouche surtout d'une présentation fatalement retorse pour un titre qui se voudrait l'héritier d'une action frénétique en 2D.

« Les goûts et les couleurs » seriez-vous tentés d'objecter ! Certes, mais quand on réalise que cette présentation peut par moments carrément nuire à la lisibilité de l'action, ça coince. Mighty No. 9 n'est pas tant difficile parce qu'il réclamerait d'enchaîner avec grâce une palette de mouvements déclinés comme une habile partition, mais parce qu'il se révèle bêtement punitif... Car dans les faits, seules les plateformes électriques violacées qui "one-shotent" sans ménagement constituent une source de frustration, la faute à une gestion assez brouillonne et souvent contestable des collisions. Un comble.

Il suffit de jouer quelques défis chronométrés (et surtout visuellement épurés) pour s'en convaincre : l'habillage de Mighty No. 9 n'est plus seulement discutable : il est contre-productif. On retrouvera quelques poncifs attendus comme l'usine de robots, l'autoroute ou la mine, mais aucun stage ne parvient vraiment à tirer son épingle du jeu, la faute à un éclairage parfois aux abonnés absents ou une gestion hasardeuse des backgrounds. Le concept des huit frangins robotisés à aller raisonner renoue bien entendu avec la structure archétypale de Mega Man, mais là encore un ajout incompréhensible vient détruire tout ce qui faisait le sel de la franchise, à savoir une exploitation curieuse des différents armes principales que l'on venait de récupérer sur un Boss. Si l'on commence bien évidemment l'aventure à poil, avide de décrocher sa première faculté, la curiosité est stoppée net par l'ajout d'une catégorie « Conseil » au moment de choisir son stage... Car chaque robot vaincu vous fera un petit speech quant à l'effectivité de sa faculté, ce qui revient finalement à vous indiquer noir sur blanc quel est le prochain stage où vous irez triomphalement éclater la tronche d'un androïde sous corticoïdes en quelques coups bien placés. Incompréhensible je vous dis.

Beck de lièvre

Parlons-en des robots. Si certains dégagent un petit quelque chose (coucou les sosies de Roll, Zero...), la plupart du cast ne marquera pas les esprits. C'est d'autant plus dommage que beaucoup possèdent de nombreux patterns évoluant à mi-combat, obligeant quand même à cramer quelques vies pour bien connaître son adversaire, mais quand on sait que le jeu autorise dès la première partie de choisir leur nombre... Parmi les autres options disponibles, notons la possibilité de sélectionner parmi les versions japonaise, anglaise ou française du jeu, cette dernière se donnant beaucoup de mal pour ne pas être convaincante ! Basique et parfois décalée par rapport à la tonalité de certains propos, elle se paye même parfois de luxe de vous priver d'indices sonores - essayez le premier boss et vous verrez, la bonne blague. Il faudra donc plutôt compter sur la présence bienvenue de la version japonaise, qui colle bien plus aux influences lorgnant sur Astro Boy.

Mais à trop vouloir justifier sa bande de troubadour, Mighty No. 9 multiplie les cut-scenes et la poursuite d'un scénario déjà vu autant de fois qu'il existe d'épisodes canoniques de Mega Man (soit près d'une vingtaine), une mauvaise équation qui n'apporte pas grand-chose à une aventure dont elle casse en plus le rythme. On ne sera donc pas surpris par la révélation de ouf-guedin qui vient conclure cette épopée qui aurait pu si simplement présenter les choses ! Et si vous n'en avez pas encore eu assez (sait-on jamais), le jeu propose en plus de la campagne solo un mode Coop' jouable uniquement en ligne, tout comme le Race Battle où deux adversaires se tireront la bourre pour décrocher le meilleur chrono.

Mambo No. 5

Terminons enfin par la bande son, composée par Manami Matsumae (Mega Man premier du nom) et Ippo Yamada (sound designer de Demon's Crest et Resident Evil - entre autres - et génial compositeur de Mega Man 9), qui peine malheureusement, elle aussi, à décoller. En dépit d'un excellent "Main Theme", les musiques de Mighty No. 9 ne brillent pas par leur dynamisme, bien loin des standards intemporels de celui dont il prétend prendre la relève. Le financement promettait Takashi Tateishi (le génie mental derrière l'OST de Mega Man 2), il ne composera qu'une seule piste. Le stretch goal de $3,8 millions honore le jeu d'une version rétro chiptune qui relève heureusement un peu le niveau, dommage que les bruitages rétro également promis n'aient pas vu le jour dans la version finale, ils auraient apporté une cohérence bienvenue...