Rien de bon n'arrive après 2 heures du matin. Jack Joyce aurait dû se souvenir de cette maxime déclamée à plusieurs reprises dans la série How I Met Your Mother avant de se pointer sur le campus de l'université de Riverport pour y retrouver son meilleur ami. Car c'est à 4 heures du mat' ce 9 octobre 2016 que Paul Serene, à la tête de la société Monarch Solutions, lui a donné rendez-vous. Pourquoi un horaire si farfelu ? Bonne question. Toujours est-il qu'il a quelque chose à montrer. Avec l'aide de William Joyce, le frangin génie scientifique et un peu sauvage de Jack, il est parvenu finaliser un projet d'envergure, celui de la créer une machine à voyager dans le temps.

La démonstration aurait dû être une formalité. Sauf que William se joint à la fête sans être invité, et flingue en main, pour ne rien arranger. Le début des ennuis. La machine se détraque, le temps avec, et Paul disparaît. Les Joyce se voient poursuivis par les gardes de Monarch, dont les directives semblent être claires : pas de témoins. Sauf que Jack a un atout dans sa manche pour survivre dans le nouveau jeu d'action à la troisième personne de Remedy...

Tu dois sauver ton temps

Au moment où le temps commence à capoter, le héros incarné par Shawn Ashmore (que l'on connaît principalement pour son rôle de Bobby Drake/Iceman dans les films X-Men) s'est découvert des pouvoirs. Lorsque tout s'arrête, que la fracture du temps fait des siennes, il n'est pas affecté. Il peut même se balader librement entre les personnes et objets suspendus dans les airs. Mieux : il peut manipuler le temps. Voilà qui, en plus de sa maîtrise relative des armes récupérées ici et là, lui permet de foncer - presque - tête baissée face à des ennemis qui vont l'agresser en nombre. Les différentes capacités, qui ont des cooldowns (délais durant lesquels ils sont inutilisables, pour éviter la surpuissance et l'ennui) assez divers, vont éclore à mesure que l'on progresse dans ce titre composé de 5 actes.

Tout démarre avec la possibilité de créer des bulles d'arrêt de temps. Un moyen de tout statufier dans un petit périmètre pendant quelques secondes avec, en cadeau bonus, le fait que les projectiles rentrant dans cette zone gagnent en puissance une fois l'effet estompé. Puis viennent la vision temporelle pour repérer les agresseurs potentiels et éléments d'interaction, l'esquive temporelle pour rusher vers un abri ou, au contraire, étourdir un ennemi pour avoir le temps de lui en coller une entre les deux yeux, le bouclier qui dévie tout ce qui arrive dans votre direction et vous laisse un peu de temps pour respirer, la déflagration qui balaye tout sur son passage mais requiert un certain temps de préparation à découvert, l'accélération durant laquelle Jack galope à vitesse normale pendant que le monde est paralysé, laissant l'occasion de mettre au sol certains adversaires... Chacun de ces pouvoirs pourra profiter d'upgrades grâce à une foule de quantums du temps (baptisés chronons) à dénicher. Chacun aura aussi son rôle à jouer dans quelques situations nécessitant un peu de matière grise et de plate-forme, où il sera aussi question de "rembobiner" des situations. Par exemple pour reconstituer une passerelle de fortune avant de la stabiliser où de la traverser à toute vitesse.

Les temps comme les oeufs sont durs

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la présence de ces compétences participe à faire de Quantum Break autre chose qu'un TPS classique. Remedy surprend en refusant toute influence des cover-shooters à la mode. La couverture est automatisée, on se passe d'attaques de mêlée et, en dehors des pistolets, mitrailleurs et fusils à pompe (aux munitions loin de se révéler illimitées), rien. Même pas une grenade à lancer. Sans oublier qu'il ne faut pas s'attendre à des plongeons façon Max Payne. C'est Jack Joyce, des flingues pour des dégâts bien localisés et du temps qui court (et qui nous rend sérieux). Droit au but. A l'instar d'Alan Wake, l'ensemble se montre volontiers minimaliste. Et accessible d'entrée, avec une prise en mains héritée des autres jeux des finlandais. On s'en accommode sans aucun problème.

D'abord parce que sur le plan du jeu pur, ça fonctionne. Efficace, Quantum Break procure souvent ce sentiment de satisfaction une fois une vague ennemie annihilée, avec pour le dernier gredin abattu le signature move du studio à base de ralenti dramatique. Tout en prenant garde de ne pas vous trouver sous le feu adverse, ou trop collé à une voiture susceptible d'exploser, vous pouvez avoir le contrôle. Ralentir le tempo, vous planquer, planifier et rendre le tout frénétique, orageux, débridé. Bien sûr, genre oblige, on ne pourra pas nier une certaine redondance au niveau d'une opposition assez peu variée, qui débute timidement avec de simples grouillots attendant presque d'être pris à revers, pour se muscler avec de hordes plus importantes dans lesquelles pointeront des hommes équipés de dispositifs les immunisant contre vos tours de passe-passe. Quand de véritables tanks humains et des brouilleurs ne sont pas aussi de la partie. On ne pourra pas non plus omettre qu'il manque une arène du tonneau de la phase du concert d'Alan Wake, une baston qui marque clairement l'esprit et les pouces. De ce côté là, le rendez-vous est manqué. Le bouquet final, notamment, se montre bien trop expéditif alors qu'il y avait matière à le rendre épique.

Oh Bravo !

L'autre motif de satisfaction tient à la simple représentation visuelle. Avec des modélisations très réussies (avec quand même un soupçon d'"Uncanny Valley"), tout comme la plupart des animations, une débauche d'effets en tout genre qui appuient une direction artistique d'une classe folle, Quantum Break sort le pompe d'entrée et braque nos rétines sans leur laisser une chance de s'enfuir. En mouvement, mais aussi et surtout quand tout apparaît figé, on est piégé par les jeux de lumières sublimes, le rendu des explosions pour le moins exagérées et celui des altérations du temps (cassures, traînées, suspensions...). On croit à la désagrégation d'un temps rendu agressif. Les décors, majoritairement urbains et contemporains, parfois bien destructibles, se révèlent traités avec beaucoup de sérieux et bénéficient d'un grand soin du détail. Les lieux chamboulés de manière spectaculaire, comme lors d'une séquence-catastrophe impressionnante sur les docks ou lorsque défilent sous vos yeux à toute vitesse plusieurs années de la vie d'une personne, impressionnent. On pourra toujours chercher la petite bête sur quelques ombres grossières, sourciller sur le moiré autour de persos en mouvement, sur le léger tearing et les rares chutes de frame-rate, ne pas apprécier le flou cinétique et le filtre cinématographique qui rend l'image un peu sale, mais Quantum Break assure globalement un très haut niveau, autant sur le plan technique qu'esthétique.

Bien entendu, il serait inélégant de passer sous silence le travail accompli au niveau du son. Le sound design général, qui fait preuve d'une maîtrise certaine de la spatialité, arrive à retranscrire à merveille la notion de fracture du temps à travers des tonalités qui paraissent buggués, vous fait ressentir la suspension ou le ralentissement à la perfection. Comme lorsque vous approchez d'un malheureux statufié et que vous entendez sa dernière phrase comme si on passait un disque 45 tours en 33 tours. Ajoutons, enfin, que la bande originale toute électronique signée Petri Alanko - qui n'est pas sans faire penser au travail fantastique d'Olivier Derivière sur Remember Me - colle parfaitement au propos science-fiction et à l'action pleine de soubresauts.

Ch-ch-ch-ch-changes

Penser que Quantum Break n'est qu'un simple jeu d'action serait une erreur. Son tempérament explosif relève du prétexte. La relative simplicité en mode de difficulté Normal pour un habitué - ce qui ne veut pas dire qu'on avance sans mourir en bourrinant, attention - et le fait que l'assistance à la visée soit totale de base donne d'ailleurs des indices assez rapidement. L'idée est moins d'imposer un challenge que de laisser le joueur s'immerger dans une histoire (des histoires), de lui donner de quoi enrichir ses connaissances sur la trame générale ainsi que le background de ses protagonistes. Et de lui procurer l'envie d'en chercher plus d'éléments narratifs durant les phases d'exploration, fort nombreuses, dont certains ne seront pas accessibles dans une première partie. Une fois encore, ça marche. Le désir de tout dénicher est motivé par un scénario plutôt complexe, surprenant, pas vraiment 100% Bisounours, sur lequel on ressent l'influence de Terminator 2, Inception, Looper, Retour vers le Futur ou encore Primer. La mise en scène tire son épingle du jeu et sait se montrer percutante. Quant aux acteurs, ils livrent tous des performances remarquables, le glaçant monolithe Lance Reddick (The Wire, Fringe) en tête. Aussi bien dans le jeu (avec une V.O. parfaite et qui permet de découvrir une synchro labiale impeccable, là où la V.F. se montre somme toute moyenne) que dans la série live action qui s'intercale entre les différents actes et permet un découpage malin poussant au binge-playing. Un feuilleton de très bonne qualité que vous allez aiguiller jusqu'au dénouement, avec retombées sur l'expérience globale.

En effet, à la fin d'un chapitre, vous abandonnez le contrôle de Jack pour atterrir brièvement dans la peau de Paul Serene, le "vilain" (vraiment ?) campé avec talent par l'acteur irlandais Aidan Gillen (Queer as Folk, The Wire, Game of Thrones, Le Labyrinthe : La Terre Brulée...). Capable de voir le futur proche, il sera amené, par votre biais, à choisir entre deux voies, l'une souvent plus discutable sur le plan moral mais nécessaire pour un plan plus grand... Suivant votre décision pendant ces instants désignés comme des "Jonctions", vous ne regarderez pas le même épisode, vous n'aurez pas forcément les mêmes alliés dans votre progression, les destins seront changés, des éclairages seront apportés... Et vous aurez l'occasion, comme dans les jeux Telltale, de comparer vos décisions en ligne. L'idée de mêler les deux médiums, avec encore d'autres personnages à suivre, dont on a entendu parler par des mails ou des notes quand on incarne Jack, marche du tonnerre et se voit parfaitement mise en place. Il n'y a rien de choquant à passer d'un représentation vidéoludique à une autre filmée. Rien que pour ça, et pour les petites interactions in-game débloquant d'autres scènes, le titre de Remedy fait fort. Et les zappeurs qui n'auront cure du blabla et traceront sans se soucier de rien passeront à côté de l'essentiel, c'est certain.

The time of my life

En dépit de son caractère unique, de ses qualités ludiques (qui risquent néanmoins de ne pas combler toutes les attentes) et narratives, de son casting en béton armé, de sa "rejouabilité", de ses nombreux clins d'oeil adressés à la Pop Culture ainsi qu'aux fans d'Alan Wake, il arrive à Quantum Break de trébucher plus d'une fois. De manière plus ou moins grave. En plus de quelques bugs visuels parfois très étranges (comme le coup de l'affichage tardif des textures ou des lumières visibles au travers des corps pourtant bien solides) il pêche sur un détail agaçant : sa gestion des checkpoints assez moyenne. Ces derniers, qui peuvent en cas de décès inopiné vous condamner à un temps de chargement violent, vous renvoient parfois très loin, voire avant une cinématique que vous aurez déjà contemplé et que vous souhaiterez passer... Ce qui pourra engendrer un nouveau loading. C'est encore une affaire de téléchargement, ou de mise en mémoire tampon, qu'on pourra trouver pénible au moment de vouloir regarder un épisode de série. Les petites connexions risquent d'enrager puisque tout se trouve soit en streaming, soit en pack à downloader... de 75 GB environ. Ce qui est relativement costaud. Tout ceci, conjugué au fait qu'on risque d'en réclamer toujours plus une fois l'intrigue principale bouclée, au bout de 7 à 10 heures de jeu selon sa curiosité, font partie des choses qu'on pourra ou non accepter.