Gabriel n'aime pas perdre. Il n'en a pas l'habitude. Le chérubin est pourtant face un obstacle de taille. Meilleur élève de sa classe au Paradis, il voit la bourse pour l'Université des Anges-Gardiens s'éloigner. Pour l'examen qui consiste à protéger un des six concurrents humains lors de 12 courses cloquées de pièges, il a tiré le pompon. L'athlète sur lequel il doit veiller n'est autre que Harold, le dossard numéro zéro, un rouquin bigleux taillé comme une bouteille d'Orangina, physiquement inapte et con comme un manche. Mais comme on dit : il n'y a pas de mauvais outils, il n'y a que de mauvais ouvriers. N'ayant pas dit son dernier mot, notre héros va donc s'employer à faire de sa chèvre, que l'on découvre incapable de partir autrement qu'à la traîne dans de courtes et amusantes saynètes, un vainqueur... Pas gagné.

Oooooh Gabriel ♫

A vous d'incarner invisiblement Gabriel tout au long de différents circuits adoptant pour cadre la jungle, le désert, la plage et l'Arctique. Dans ce runner 2D solo un peu particulier, vous contemplez Harold avancer à un rythme plutôt mollasson, écran après écran. Pad en mains - une obligation à laquelle certains joueurs PC ne sont pas habitués - vous pouvez lui ordonner de bondir. Mais aussi, à l'aide des boutons de tranche, le "motiver" en usant d'un "Puff Power" se chargeant à l'aide de petites auréoles à ramasser. Ce pouvoir permet de l'électrocuter pour lui faire prendre pas mal de vitesse sur quelques mètres. Vous devrez essentiellement interagir avec les éléments disposés dans chaque section traversée. Cela dans l'optique de le faire arriver à bon port mais surtout dans le trio de tête, condition sine qua non pour débloquer l'accès à la course suivante.

Les chariots de fu

Chaque obstacle s'appréhende en usant du stick analogique gauche. Pour éviter de perdre les Puff Powers, boosts de vitesse faisant office de points de vie pour Harold, on doit bouger des plateformes, abattre un mur ou un stalactite en martelant vers la droite, assommer un croco en allant vers le bas, "dépoussiérer" un mirage en allant de haut en bas, mouliner pour redresser des plateformes, maintenir à gauche et foncer à droite pour que les lattes d'un pont poussent le binoclard aux fesses... Une liste assez impressionnante d'obstacles, auxquels on peut aussi ajouter un orque ou des cactus ayant quelque vertu, à manoeuvrer de manières variées, des mécaniques avec lesquelles il faut parfois jongler, grâce aux gâchettes, sans s'emmêler les crayons. Et cela, de plus en plus vite. Au gré des échecs, on découvre alors en Harold un instrument de torture chronophage et obsédant, un challenge bien hardcore forçant à faire bosser mémoire, réflexes et coordination des doigts.

Training Day

Fort heureusement, plutôt que de vous lâcher en pleine course sans explications, Moon Spider a eu la lumineuse idée de proposer un entraînement obligatoire, une sorte de Warm Up compartimenté avant le grand bain à vitesse réelle. Chacune des portions de la course se teste, l'une après l'autre, pour se familiariser avec ses problématiques. Pour rendre la chose plus amusante, trois étoiles sont placées, temporairement, sur le trajet idéal. Les obtenir constituera une petite gymnastique ludique supplémentaire, vous aidant à affûter le timing de vos actions directes et indirectes, à progresser petit à petit. En outre, élément très important à prendre en compte : récupérer la totalité des astres vous offrira un maximum de quatre Puff Power en bonus, ce qui va se révéler indispensable dès lors que vous comprendrez pleinement l'enjeu de Harold.

Pousse, petit vent

Arriver au bout du petit scénario ne suffit pas. Vont vite survenir d'autres besoins : finir sur la première marche et réaliser un bon temps pour briller sur les classements - qu'on ne peut pour l'instant consulter qu'une fois une course terminée, un patch futur devant se charger de corriger cela. Il va falloir commencer à étudier les chemins alternatifs, les raccourcis (très bien) cachés qui, très rapidement, vont se mériter au prix d'automatismes surhumains. Et calculer ce qui peut vous faire gagner ne serait-ce qu'un dixième de seconde. Rester en permanence en boost, en se cramponnant aux boutons de tranche, va devenir naturel. Agir sur les pièges pour qu'ils pourrissent l'avancée des autres compétiteurs, on parle d'interférence, gonflant votre capital Puff Power au passage, aussi. On notera d'ailleurs que les autres challengers réapparaissent, comme notre protégé (qui lui perd une "vie"), juste après une embûche prise en pleine tronche par votre faute. On pourrait trouver cela étrange, injuste. Sauf qu'il y a un équilibre. La vitesse de croisière parfaite s'atteint en décryptant la course comme un puzzle. Dans le jeu du chrono, les rivaux disponibles à l'écran peuvent "servir". Les doubler tous sans réfléchir ne permettra peut-être pas d'optimiser sa collecte d'accélérateurs pour Harold. Alors que si, parfois, vous y allez un peu mollo, cela peut payer à l'arrivée. Rien n'a été laissé au hasard. Le sens du timing, comme l'observation de certains détails liés à l'usage ou non de certains éléments, vous fera atteindre des sommets.

On ira tous au paradis ?

Soyons réalistes : le défi ne conviendra pas à tout le monde. La difficulté constituera pour beaucoup un mur infranchissable. La monstruosité des parcours à l'égard de personnes ne pouvant prêter le temps indispensable à une vraie courbe de progression est réelle. Enfin, jusqu'au palier où intervient le pouvoir de Clairvoyance, qui permet de faire joujou...sur l'écran suivant ! Lorsqu'il faudra compter dessus pour être certain d'avancer sans encombre, vous comprendrez à quel point vos affaires peuvent se gâter. Pour les acharnés, en revanche, un festin attend - avec en petite cerise un mode challenge bien vachard, dans lequel notre nerd ne cesse de galoper et doit récolter des étoiles disséminées de façon astucieuse. Un festin ludique autant que visuel et sonore. Avec son design adorable, ses couleurs débordantes, ses détails en arrière et premier plan et ses animations sublimes, cette production se vit dans la douleur mais se regarde comme un Disney, avec émerveillement. Et elle s'écoute plus qu'agréablement aussi. Conçue par un Olivier Derivière (Obscure, Remember Me, Of Orcs and Men) parfaitement inspiré et en adéquation avec les différentes atmosphères visuelles, la bande son teintée gospel, enregistrée avec le Leroy Steat's Gospel Choir, atteint des strates divines en fonction de vos victoires. A mesure que Harold progresse et double les cinq autres coureurs, elle libère d'autres couches, gagne en épaisseur, devient de plus en plus motivante. Même la petite marche funèbre signifiant un échec paraît joyeuse. Le résultat (OST sur bandcamp par ici) est saisissant, entraînant, met presque en transe et contribue, avec tous les autres aspects de ce jeu, à en faire une production véritablement unique. Mais la chasse aux chronos ne conviendra qu'aux plus obstinés. En serez-vous ?

Lessivé, essoré, rincé. Voilà l'effet du test de Harold sur ma personne. Des heures et des heures passées à mémoriser des pans complets d'une course, à les répéter pour parvenir à une trajectoire si ce n'est parfaite au moins complète. J'ai du réveiller en moi des trésors de patience, de concentration et de coordination que je n'avais pas invoqués depuis... Sans jamais pester contre une quelconque injustice. Et c'est peut-être en ça, et grâce à son contenu bien aiguisé et ses charmes cosmétiques évidents que ce titre, définitivement pas pour tous les types de joueurs, a réussi à me convaincre de persévérer pour rester bien positionné sur les classements online. D'ailleurs, si vous le permettez...