La vue subjective, quoiqu'on en dise, il n'y a rien de mieux pour faire flipper. Doom l'a prouvé il y a bien longtemps. Quand on y ajoute en plus des émeutiers complètement fous qui vous foncent dessus en hurlant, planche cloutée à la main, des hallucinations cauchemardesques qu'on ne parvient pas à distinguer de la réalité, le tout dans des décors crasseux où la meilleure des lampes torche fait figure de briquet Bic, on a le principal (le classique, même) pour installer l'ambiance d'un jeu angoissant, légèrement en marge des productions habituelles du Survival Horror. Et c'est bien le point fort de Condemned 2 : son ambiance.

Condamné à flipper

J'avoue ne pas être extraordinairement sujet à l'effroi quand je regarde des films d'horreur, ou que je joue à des survival. Certains me font même rire, tant je les vois venir à des kilomètres. Mais pas Condemned 2, qui même s'il ne manquera pas de provoquer quelques sursauts bien sentis chez beaucoup, joue plutôt la carte de l'oppression, avec son level design articulé en couloirs étroits et salles décrépies, au mieux faiblement éclairés, son ambiance sonore magnifiquement dérangeante, faite de dissonances soutenues, de cris et de grognements impossibles à localiser, et de soupçons de musique sciemment décalée. Le comportement déroutant de certains ennemis, dont on ne sait plus quand ils vont vous foncer dessus ou courir se cacher dans un recoin sombre, n'est pas non plus étranger au sentiment de menace constant qui pèse lourdement sur le joueur. On en vient presque à aimer débarquer sur une scène de crime avec un corps éventré à étudier, car on sait qu'il s'agira d'un moment de répis... Quoique.

CSI meets Se7en

Pas grand chose à redire sur l'ambiance, donc : bien installée, bien soutenue, bien angoissante. Pas grand chose à redire non plus sur le nouveau système d'enquête, qui demande au joueur de poser les bonnes questions ou de formuler les bonnes déductions (le tout sous forme de QCM), après avoir observé les indices présents sur certains des lieux visités au cours de l'aventure. Rien de très compliqué en général, mais les développeurs ont quand même inclus quelques pièges de-ci de-là, et réussir chaque phase d'enquête à la perfection ne sera pas forcément évident pour ceux qui se révéleront trop pressés ou pas assez méticuleux. Ces scènes, ponctuant régulièrement la progression d'Ethan Thomas, sont un contrepoids idéal à l'action très particulière de Condemned 2, beaucoup plus centrée sur le combat rapproché que sur le tir aux pigeons. Ce qui est, une de fois de plus, un choix à porter au crédit du titre.

Fight Club

Autre élément central de Condemned 2, son parti-pris pour une dynamique de corps à corps. Depuis l'IA des adversaires jusqu'aux décors étroits, en passant par l'arsenal de fortune mis à disposition, c'est un axe de design fort et différenciant, qui place agréablement le jeu en marge du genre des FPS. Le système poing gauche, poing droit, et coup de pied, complété de la garde par pression des deux gâchettes, s'enrichit de coups spéciaux qui se débloquent après des enchaînements précis. Les armes de fortune que sont tuyauteries, cuvettes de toilettes, briques, gaines, quilles, madriers cloutés et j'en passe, serviront souvent pleinement avant d'être brisées au combat, et pour les deux premiers tiers de l'aventure, les très rares armes à feu rassureront plus qu'elles ne sauveront. Tout est donc pensé pour obliger le joueur à se frotter de près à des adversaires aussi rebutants et effrayants que le reste... et ça marche. Ludiquement efficace, l'action participe elle aussi à l'expérience oppressante qu'est Condemned 2.

Les chefs d'accusation

N'ai-je donc que des éloges à formuler ? Non, malheureusement. Car copieusement saupoudrer un jeu de sang, de tripes, de jurons, et de violence, si cela suffit à en faire un jeu mature pour le PEGI, ce n'est pas forcément le cas d'un point de vue plus global. La formule Condemned manque en effet de maturité en tant que telle, pour accéder au rang d'incontournable... Héros alcoolique, éléments surnaturels et serial killer à poursuivre, sur le papier, c'est une bonne base, qui se trouve épaulée par quelques scènes vraiment très intéressantes du point de vue ludique (on pense notamment aux moments où l'on doit fuir sans se retourner, à quelques combats de boss, au soupçon de furtivité dans le musée, etc.), comme du point de vue narratif (les enquêtes, les cauchemars éveillés, les infos à suivre par les postes de TV et de radio...), mais pour rester dans la métaphore culinaire, c'est un plat qui manque encore de liant. La cohésion de l'ensemble est critiquable et si, au global, l'expérience proposée reste très convaincante, il manque encore ces petits riens qui font le formidable grand tout. Le scénario, dont le synopsis est intéressant, n'est pas toujours bien développé (en termes de rythme comme de crédibilité, ou de logique), les personnages secondaires, convenus, manquent de corps (en dehors de Serial Killer X). Bref, une sensation de série B plane un peu sur l'ensemble, dont la mise en scène n'est pas aussi inspirée dans certaines cinématiques que dans les phases de jeu elles-mêmes. Visuellement, certains décors sont magnifiques et variés (le théâtre, l'entrée du bowling), d'autres un peu trop classiques (l'hôtel, le SCU), ou ratés (l'extérieur enneigé du refuge). Même le gameplay trouve un peu tôt certaines limites, comme les enchaînements déclenchant des coups spéciaux : rares sont ceux qui sont applicables dans les situations de combat auxquelles on fait face, on ne peut finalement en utiliser efficacement qu'un ou deux. Autre exemple, les enquêtes : certes bien plus réussies que dans l'original, elles auraient néanmoins pu (dû ?) incorporer un peu plus d'éléments, ou des pistes différentes pour mener aux bonnes conclusions, et ainsi s'affranchir de leur statut de respiration pour devenir une part réellement significative de Condemned 2.

Ne boudons pas notre effroi pour autant

Entendons-nous bien : Condemned 2 mérite l'attention de tout amateur de flippe et / ou d'action. OK, je n'ai pas pu m'empêcher de penser qu'il aurait sans doute pu être un véritable bijou avec tantôt un peu plus d'audace, tantôt un peu plus d'attention au détail, mais cette exigence ne traduit sans doute, en réalité, qu'une frustration. Atypique dans les Survival comme dans les FPS, il serait dommage de ne pas y goûter, tant il mêle les deux genres sinon avec panache, du moins avec une certaine efficacité. Je plaide coupable : je suis sans doute frustré de ne pas avoir trouvé en Condemned 2 le chef d'oeuvre qu'il me fait imaginer. Mais on ne peut en tout cas pas le condamner pour n'être, finalement, qu'un jeu vidéo.