On imagine aisément qu'une usine de clonage d'agents secrets ait l'air plutôt sinistre, mais du point de vue de ces pauvres pantins qui subissent les pires tests sous le regard cruel des contrôleurs qualité, c'est un véritable enfer. D'ailleurs ce sombre univers rappelle sensiblement celui d'Oddworld, notre espion essayant également d'échapper à son funeste destin. Stealth Inc.2 : A Game of Clones se montre cependant plus timide en matière de mise en scène ; la narration se limite à de modestes intermèdes composés d'illustrations légèrement animées et à de simples messages écrits en toutes lettres distillés au fil de l'aventure. Qu'il s'agisse de sarcasmes ou de conseils, ces derniers posent pourtant judicieusement le décor, à l'instar des ombres mouvantes qui dessinent le parcours avec délicatesse. Car dans le sillage du précédent opus, Stealth Inc. 2 reste un jeu de plateforme furtif, où l'on a tout intérêt à se cacher dans l'obscurité. Se faire repérer a de fâcheuses conséquences, et le moindre faux pas se solde souvent par un décès brutal. Heureusement les vies sont infinies - production en série oblige. En outre, cette méthode d'apprentissage par l'échec représente l'essence même du gameplay cinglant de l'ex-bien nommé Stealth Bastard.

Crash newbies

Les opérations se déroulent encore principalement au sein des chambres de test, pour ne pas dire des salles de torture tant elles mettent nos méninges et nos réflexes à rude épreuve. En dépit des indices donnés par les commentaires et l'humour délicieusement noir qui s'en dégage, il arrive que l'on peine à avancer, voire que l'on se retrouve bloqué avec toute la frustration que cela suppose. Certains jugeront cette approche un tantinet dépassée aujourd'hui, a fortiori en l'absence d'un émule du "Super Guide" pour aider les plus jeunes, tandis que d'autres se féliciteront de ce côté impitoyable, fatalement gratifiant pour les gamers élevés à la dure. Une chose est sûre, on ne saurait blâmer la maniabilité, diabolique dans tous les sens du terme. Et à l'exception de quelques check points pas idéalement placés, ces exercices chronométrés constituent de véritables chefs d'oeuvre d'ingénierie dans l'art d'exploiter les étonnantes aptitudes de notre petit clone, relativement restreintes a priori. Son panel initial de mouvements, en l'occurrence ramper, sauter et s'accrocher aux rebords, dévoile en effet des subtilités insoupçonnables. D'autant que les gadgets viennent considérablement l'étoffer, et pas seulement via des puzzles en milieu confiné.

Travail à la chaîne

Ces périlleuses antichambres servent toujours à assimiler les fonctions de ces engins high-tech, toutefois on a désormais loisir de les utiliser dans toute l'usine ensuite. Contrairement au premier épisode, Stealth Inc. 2 ne se résume donc pas à une succession de niveaux, puisqu'ils sont intégrés dans un monde aux allures de hub. La progression s'inspire ainsi du modèle "Metroidvania" (de l'aveu même des développeurs), avec une carte affichée sur le GamePad. Hélas on constate vite une certaine linéarité, malgré sa structure apparemment tentaculaire. Les embranchements sont certes nombreux, mais on a rarement le choix de celui à emprunter, en raison de barrières qui ne disparaissent qu'une fois les tests accomplis, ou de passages nécessitant de disposer d'un gadget précis. Par conséquent l'exploration se résume d'abord à trouver le moyen de poursuivre cette escapade, tandis les allers-retours permettent ensuite de libérer des camarades et de collecter divers bonus voués à la customisation. Ces ballades contribuent néanmoins à s'immerger dans l'atmosphère lugubre de Stealth Inc. 2, qui rappelle beaucoup Metroid, surtout avec l'alternance de silences et de classieux chiptunes. Idem pour les malicieux power-ups, dont la polyvalence témoigne d'un admirable travail de conception.

Gamepadget ?

Citons l'exemple d'Inflate-A-Mate, une sorte de plateforme gonflable et jetable qui aide tantôt à se hisser sur un pallier, tantôt à écrabouiller un ennemi ou à actionner un interrupteur. Et avec un peu de pratique, on arrive même à réaliser des sauts multiples grâce à ce truculent appareil. Plutôt que de miser sur la quantité, Stealth Inc. 2 s'appuie donc sur des gadgets de qualité, quitte à recycler certains mécanismes inventés auparavant. En revanche, leur usage en coopération est inédit. Un compère peut venir en renfort à tout moment, ou presque, afin de donner quelques coups de stylet. Ceux-ci visent notamment à protéger son complice de l'oeil des caméras, ou à attirer leur attention, ce qui demande des efforts de coordination supplémentaires. S'y ajoute la possibilité d'observer l'environnement en toute liberté sur l'écran du Gamepad, une assistance précieuse lors des phases d'expérimentation pour résoudre les épineuses énigmes. Enfin la collaboration fait naturellement appel au gameplay asymétrique à travers la lecture de codes et la mise en évidence d'éléments invisibles, y compris en griffonnant des instructions directement sur le décor. Rarement avait-on démontré les vertus du GamePad de manière si astucieuse, bien que son rôle de soutien le destine aux joueurs moins expérimentés durant les parties en duo. Reste qu'il s'agit là d'une des meilleures utilisations du Gamepad dans un jeu Wii U.

Clone Vs. Clone

La fameuse manette tactile se révèle aussi un excellent support pour l'éditeur de niveaux, qui demeure très complet, au point d'autoriser la construction de stages d'une complexité comparable à ceux élaborés par les développeurs (Boss mis à part). Encore faut-il avoir la patience requise pour en maîtriser l'interface, et de solides compétences en level design. Au vu du petit florilège de créations disponibles pour le moment, les grands architectes ne se bousculent pas au portillon. Et le nombre potentiel de joueurs sur Wii U réduit mécaniquement les perspectives offertes par les niveaux faits maison, quoiqu'une poignée de passionnés suffit parfois à alimenter une communauté. Stealth Inc. 2 ne cache décidément pas sa philosophie élitiste, tout en encourageant l'entraide avec l'incorporation réussie du Miiverse par le biais des notes, sans oublier les classements en ligne. Si la prose quelquefois véhémente des autres joueurs n'a qu'une portée anecdotique la plupart du temps, le challenge que propose les meilleurs chronos rallonge encore une durée de vie déjà imposante, à l'image de la montagne d'embûches que réserve la soixantaine de niveaux au programme. Et il n'est pas facile non plus de s'extirper de cette mission ô combien ardue, de sorte qu'une seule question subsiste : avez-vous les nerf assez solides pour l'accepter ?