"J'ai encore dans mon coeur le sentiment de détresse qui m'a étreint lorsque j'ai perdu ma mère. Le film parle de la mort, de ce qu'il y a après, des échanges entre les vivants et les défunts..."
Hironobu Sakaguchi, à propos de Final Fantasy the Spirits Within

Mille ans d'histoire

Après les périples juvéniles de Blue Dragon, Lost Odyssey est le retour évident aux grandes fresques épiques. Deuxième RPG de l'après FF pour Sakaguchi, et véritable pari. Car au-delà de ses atours Haute Définition, Lost Odyssey a tout de l'aventure old school. Combats aléatoires, affrontements au tour par tour, classique cheminement village - monstres - boss - village... Soyons clair, Lost Odyssey n'ambitionne pas de révolutionner le genre. Bien au contraire. Il se complait dans ces codes séculaires, se contentant avec talent de les maîtriser à merveille. Par conséquent, inutile de faire la description exhaustive des différentes capacités (forge d'amulettes, compétences liées entre humains et immortels), du leveling capé, de l'anneau viseur qui permet de dynamiser et maximiser les coups dans les phases de combat, du système de grille permettant de créer une attaque et une défense dans son équipe (jusqu'à 5 combattants), ni de la possibilité de courir vite dans les niveaux. Il ne s'agit pas ici d'une course au point d'expérience. Le jeu vous les fournit d'ailleurs assez rapidement. Dans chaque zone, 4 ou 5 combats vous permettront d'atteindre le maximum d'XP du lieu... les combats suivants ne vous rapporteront plus grand-chose. Qu'est ce que cela signifie ? Que vous êtes prêt pour la suite de votre périple. Avancez. Apprenez. Découvrez. Dans la forme, Lost Odyssey n'a pas la finition ou l'envergure pharaonique d'un Final Fantasy. Mais il n'a pas à en rougir. Bien au contraire. Malgré quelques rares errements, la réalisation impose sa cohérence, et une réelle classe, avec des pics montagneux écorchés vifs ou des paysages agités par les vents. Certains décors sont habités par une force rare. Et puis il y a ce sentiment de mélancolie, de solitude, qui impose le respect dans de nombreux lieux. Une séquence m'a particulièrement frappé. De celles qui vous marquent pour tout le reste de votre vie de gamer et aurait amplement trouvé sa place dans notre podcast dédié aux passages cultes de l'histoire du jeu vidéo. Simple. Emouvante. Juste. Une cérémonie d'enterrement. La volonté de prendre son temps. De respecter le moment. Joueur oui, mais pas consommateur. Non. Acteur. Et pour ce genre de moments, Lost Odyssey peut être remercié...

Un homme sans passé

Car Lost Odyssey n'est pas un jeu focalisé sur la technicité. Elle est là, plutôt efficace dans sa globalité (hormis quelques saccades). Elle servira de socle ludique au véritable fond du jeu... ou plutôt du voyage. Car se lancer dans cette aventure c'est l'assurance d'un vrai voyage introspectif. A l'image de Kaïm, ce héros jugé initialement lisse, assez banal pendant les deux premières heures de jeu... tout va s'intensifier avant de basculer. Au fil des découvertes, des aventures, des souvenirs, Kaïm va s'étoffer, va vous toucher. Car oui, vous allez respecter Kaïm. Souffrir avec lui. L'aimer même. C'est en ayant su donner une étonnante épaisseur à son héros que Sakaguchi a réussi son ambitieux pari : donner vie à un RPG japonais mature et posé. Un jeu, oui. Un roman, un peu. Un voyage enrichissant, assurément. Car Lost Odyssey vous fera réagir. Vous fera réfléchir. Fera rejaillir certains de vos propres souvenirs. Des sensations. Alors bien sûr, il y a ce petit mou au milieu du 2ème DVD (le jeu en comporte 4). Bien sûr il y a ces temps de chargement qu'on aimerait tous plus courts (comptez parfois 12 bonnes secondes). Sans parler de ce character design qui, parfois, fait sourire. Mais c'est une histoire de goût après tout, et s'arrêter à cela serait bien triste...

Le poids des mots

Et puis il y a ce Recueil des Rêves. Ces moments où Kaïm, au hasard d'une rencontre, se remémorera un souvenir souvent poignant de sa vie millénaire. Approche épurée. Un texte. Quelques fragments de musique. Des visuels sobres en toile de fond. Souvent une vingtaine de minutes de lecture. C'est probablement à ce moment que vous saurez si Lost Odyssey est fait pour vous. Car c'est bien là le coeur du message de Sakaguchi. Soyons clair. Vous n'aimez pas lire, faire voguer votre esprit ? Fuyez ! Ces séquences permettent avant tout de laisser s'exprimer l'imaginaire. De mieux comprendre qui est vraiment ce Kaïm, le plus humain des immortels. Une force évocatrice bien plus forte que la plus glorieuse des cinématiques. C'est long. Oui. Mais souvent riche en légers frissons. Chagrin et solitude. Lost Odyssey est d'ailleurs probablement le jeu où les personnages principaux pleurent le plus souvent, de tous ceux qu'il m'ait été donné de voir. Alors avouons que, si par moments, le propos se révèle un rien maladroit, l'ensemble se montre particulièrement cohérent. Il fallait bien évidemment des personnages plus légers, mais leur contrepoids ne choque pas. Au contraire, il est plutôt agréable. Car il y a ce respect dans le regard des personnages et cette force, cette profondeur dans le propos qui manque tant à la plupart des RPG japonais... nombre de Final Fantasy compris ! La vraie force du titre : réveiller vos propres souvenirs ! Pousser le joueur à puiser dans sa mémoire, ses sensations, ses sentiments. Cette quête est d'ailleurs probablement plus conçue pour ceux qui exaltent les sentiments. Ceux qui apprécient d'observer l'oeuvre du temps. Ceux qui aiment les moments de recueillement. Un regret cependant, d'ordre ludique et narratif : les Game Over ! Etonnant en effet dans un jeu misant sur l'immortalité qu'aucune ruse scénaristique n'ait été prévue pour ranimer les immortels (lorsque toute l'équipe a été terrassée) et que tout le fondement même du scénario soit ici bafoué. Dommage. Cependant comment ne pas conclure avec l'énormissime partition de Nobuo Uematsu, revenu pour l'occasion au meilleur de sa forme ! Entre les mélodies inspirées et les thèmes nerveux, le maestro n'oublie pas lui non plus de s'amuser avec les souvenirs des joueurs. Certains airs débutent en effet comme de célèbres chansons made in Final Fantasy et contribuent à conférer au titre un charme unique. Une cohérence de fond et de forme.

Transcender le réel

Pour finir, permettez moi un coup de gueule, car j'avoue être étonné par la note obtenue par le jeu sur certains sites ! Lost Odyssey fait en effet partie de ces jeux qui ne se dissèquent pas. En 2008, ne serait-il pas plus que temps pour le media jeu vidéo, et ceux qui en parlent, d'arrêter de jouer les inspecteurs des travaux finis ? Une aventure se juge avec les tripes. Pas uniquement avec un cahier des charges. Critiquer un jeu vidéo ne revient pas à analyser avec une blouse blanche les qualités et défauts d'un baladeur MP3, froidement, mécaniquement, de manière binaire ! Il y a bien sûr les faits concrets, la technique, les mécaniques de jeu, mais il y a surtout le ressenti, le message... et à la fin : la trace. Ce qui reste lorsque tout le superflu s'est évanoui. A trop vouloir analyser, décortiquer, classifier, on en oublie parfois l'essentiel : ressentir. Et il serait temps pour la critique de jeu vidéo française de passer à un nouveau stade et d'arrêter de faire passer aux jeux un réducteur et ridicule "contrôle technique" ! Lost Odyssey n'est évidemment pas un jeu parfait. Il aurait pu être techniquement optimisé, certains auraient préféré un design différent, d'autres souhaiteraient que chaque RPG réinvente la roue. Très bien. Dites-le. Mais s'arrêter là n'est pas le propos ici.

A la fin du voyage...

Lost Odyssey est l'histoire simple et touchante d'un immortel. D'un homme en quête de son passé qui, par la force du média jeu vidéo, va vous faire passer, vous joueur, par mille et une émotions. Son gameplay efficace, mais sans réelle trouvaille, n'est là que pour dynamiser votre périple et les 50 heures de jeu qu'il requiert. A l'heure de la HD qui séduit les rétines, Lost Odyssey sait avant tout émouvoir, faire réfléchir, faire se fermer les yeux pour rêver et se remémorer. Pour cela, oui, il s'impose comme un jeu qui compte. De la trempe des titres dont les joueurs parlent encore avec nostalgie plusieurs années plus tard. Mieux marketé, avec un système de jeu qui sonne "nouveau" et un rien plus grandiloquent dans la forme, ce titre aurait pu être baptisé "Final Fantasy XIII" que cela n'aurait étonné personne. Par ses thèmes, par son évidence, par sa générosité, il est en tout cas frappé du sceau des meilleurs épisodes de la saga anciennement dirigée par Hironobu Sakaguchi. C'est d'ailleurs probablement ce jeu qui m'a fait comprendre combien cet homme avait réellement été la pierre angulaire de la série. Ce qu'il avait pu y apporter. Oui, pour la première fois depuis si longtemps, j'ai ressenti ce frisson qu'on ne retrouvait que dans un FF.

Alors en l'état Lost Odyssey n'est peut être pas le plus grand, mais il est incontestablement le plus poignant RPG japonais de ces dernières années. Et pour cela, simplement merci.