Après plus de trois années de développement, Gran Turismo passe la sixième dans un relatif calme, surtout par rapport à son prédécesseur. Comment oublier l'effervescence suscitée par GT5, arrivé in extremis pour les fêtes de fin d'année en 2010, après un interminable Prologue ? La communauté des pilotes virtuels, et même l'industrie du jeu vidéo tout entière semblait alors suspendue aux lèvres de Kazunori Yamauchi, espérant qu'il confirme enfin sa date de sortie. Cette attente était encore exacerbée par la concurrence effrénée de Forza Motorsport, dont les qualités techniques et ludiques faisaient apparaître les mécaniques rouillées du vénérable "Real Driving Simulator". Finalement lancé en grande pompe aux quatre coins de la planète, GT5 se devait de récupérer la pole position. Cependant, au delà d'une indéniable démonstration technologique et d'un contenu massif, cet opus a aussi cristallisé ses sempiternelles faiblesses, une rigidité à l'image de son inflexible directeur d'ailleurs. La quête obsessionnelle du détail dans la modélisation des véhicules contrastait ainsi avec la gestion toujours sommaire des collisions. De même, l'IA des concurrents demeurait inexistante, tandis le moteur physique ne retranscrivait pas de manière aussi subtile les variations d'adhérence et de transferts de masse. Ces lacunes rendaient la progression dans le mode GT encore plus laborieuse, son système de niveaux et de restrictions empêchant d'en découvrir rapidement toute l'étendue. Enfin des éléments d'envergure étaient absents ou balbutiants au départ, jusqu'à donner une impression de jeu en kit. Voilà pourquoi Gran Turismo 6 n'était pas attendu comme la référence du genre, mais comme un challenger, d'autant qu'il se destine dans un premier temps à la PS3, alors que Forza Motorsport vient de démarrer sur la génération suivante. Sans doute a-t-on voulu éviter le choc frontal chez Polyphony, et profiter de la base installée de PS3. Cela dit, l'intérêt d'un GT6 sur une machine vieillissante reste discutable, a fortiori au vu des nombreuses mises à jour apportées à GT5, y compris à l'Academy Edition datant de l'année dernière.

Statu quo

Pour les vieux routards de GT5, ce sixième opus a inévitablement des airs de déjà vu. A commencer par les temps de chargements longuets avant une course, quoique ceux-ci soient ensuite considérablement réduits grâce à une installation progressive, pour se stabiliser aux alentours d'une quarantaine de secondes. Gare aux pannes, ce disque double couche sollicite fortement le lecteur. Une fois en piste, on ne tarde pas à s'apercevoir que les environnements des anciens circuits sont quasiment identiques. Leur beauté étincelante tranche toujours avec le manque d'éléments dynamiques, notamment pour la végétation, au point de passer pour des natures mortes. Et quand les choses s'animent, on retrouve des petites sautes de frame-rate, la machine ne pouvant délivrer constamment les sacro-saintes soixante images par seconde, qui plus est sous la pluie ou quand beaucoup de concurrents sont regroupés. Idem pour les disgracieux phénomènes de tearing et d'ombres tremblotantes, hélas toujours d'actualité. On constate même une légère aggravation de ces dernières, qui s'explique probablement par la généralisation des variations d'éclairage suivant le moment de la journée. Plus besoin de faire un tour en Toscane pour contempler la nuit qui tombe sur la campagne ou de concourir aux 24 Heures du Mans pour assister au lever du soleil, on peut désormais choisir l'heure des courses sur une grande partie des destinations à l'exception notable des tracés urbains. Cela permet de contrôler les difficultés de visibilité relatives aux changements de lumière, ceux-ci donnant en prime une allure théâtrale aux paysages. En témoignent les lueurs de la ville de Bathurst que l'on devine au loin dans l'obscurité, perché depuis les collines environnantes du bien nommé Mount Panorama. Le mouvement des étoiles et de la lune, supposément reproduit selon la position géographique et la date d'une épreuve, fait en revanche figure de gadget destiné aux esthètes. Dans l'absolu, on n'est déjà pas censé trop regarder ce qui passe autour de la route, alors chercher des constellations dans le ciel... Par contre nos yeux sont inexorablement attirés par les voitures, tout spécialement lors des replays dotés d'effets de rendu encore plus léchés.

Polish

D'ailleurs ces belles carrosseries promettaient de profiter des bienfaits de la tessellation adaptative (ou pavage adaptatif dans la langue de Molière). Si leurs contours paraissent effectivement plus lisses, il faut vraiment les observer à la loupe pour discerner la différence sur les modèles premium, tandis que les standards souffrent heureusement moins de pixellisation. Bien que l'on ne veuille plus parler de cette distinction chez Polyphony, elle existe encore sous la forme de versions "semi premium", avec des résultats assez variables. Au grand dam de ceux qui imaginaient que ces années de gestation permettraient à l'ensemble des quelques 1199 voitures (dont 124 ajoutées pour cet opus) de bénéficier du premium, il s'avère que moins de la moitié d'entre elles sont gratifiées de ce traitement de faveur, synonyme rappelons-le d'un surcroît de détails et d'une vue dans l'habitacle par conséquent modélisé. Pire, le son des moteurs n'a pas été amélioré, et demeure donc en deçà de son rival. Quant aux dégâts, ils sont presque passés à la trappe et se limitent à de légers enfoncements ou à des traces superficielles qui s'apparentent davantage à des salissures. Ce qui nous mène aux collisions, affublés de sons désespérément ridicules eu égard à la violence de certains chocs. Car même les meilleurs pilotes ne pourront éviter quelques crashs, en raison d'une intelligence artificielle encore perfectible. Bonne nouvelle : les concurrents dirigés par la console ressemblent moins à une troupe de moutons qui suivent bêtement la trajectoire idéale. En effet, ils prennent parfois des initiatives et se montrent un peu plus réactifs quand ils doivent éviter un obstacle. Il arrive même qu'ils fassent preuve d'un soupçon d'agressivité à l'approche de la dernière ligne droite ! Dommage que ces velléités compétitives se traduisent régulièrement par un coup de pare-choc qui nous envoie dans le gravier. Ce schéma familier souligne ainsi que ce GT6 a décidément des allures de GT5 revu et corrigé. Méfions nous toutefois des apparences...

Le doux contact de la gomme

La révélation intervient dès que l'on prend le volant, car faute de pouvoir nous infliger une claque visuelle comparable à celle de son prédécesseur, ce GT6 mise sur un modèle physique remanié. Celui-ci s'appuie sur une gestion plus élaborée des pneumatiques et des suspensions, le fruit d'une collaboration rapprochée avec Yokohama Rubber et KW Automotive. S'y ajoute une meilleure prise en compte des paramètres aérodynamiques, mise en exergue par les sections comportant des dénivelés. La tenue de route paraît d'emblée plus compacte, et cette impression se confirme à mesure que les voitures gagnent en puissance. Fondamentalement, les véhicules réagissent de façon plus cohérente, grâce à des transferts de masse et des variations d'adhérence nettement mieux restitués. Certes on n'atteint pas encore le mordant de Forza Motorsport 5, surtout en l'absence de gâchettes vibrantes, mais le feedback est assuré par une sonorisation nettement plus affirmée de la friction des pneumatiques, si bien que l'on perçoit avec précision le contact que le véhicule entretient avec l'asphalte. Malgré une tendance encore trop glissante sur routes poussiéreuses et enneigées, cette authenticité accrue est encore plus flagrante avec les volants à retour de force, qui s'imposent plus que jamais pour profiter de ces subtilités. Chaque voiture a son caractère, et si la manette suffit pour les apprivoiser, seul l'usage d'un volant de bonne facture permet de les contrôler à la perfection, jusqu'à faire littéralement corps avec son bolide. Dans tous les cas, cet apprentissage se fait dans la douceur, à travers un mode carrière plus accessible. Dès le début, on nous tient par la main pour l'achat du premier véhicule, jusqu'à nous priver du privilège de son choix, mais c'est pour mieux nous libérer ensuite. Le fameux mode GT n'est plus séparé de l'arcade et du studio photo, tous ces modes sont rassemblés au sein d'un même menu à l'interface très claire, accompagné de la traditionnelle ambiance musicale feutrée de la série. On est loin du désordre de GT5, d'autant que la progression ne dépend plus d'un système d'expérience aussi obscur que rébarbatif.

Drive me to the Moon

Des épreuves se déverrouillent à mesure que l'on collecte des étoiles, qu'il s'agisse de la compétition finale d'une catégorie, des examens de permis pour accéder à la catégorie supérieure, ou des compétitions annexes. Ces dernières sont composées de missions variées (tel qu'un contre-la-montre), de courses mono-type pour les puristes et des sympathiques défis pause-café. Théoriquement vouées à la détente, ces digressions consistent par exemple à renverser un nombre de plots en un temps limité, ou dans un registre plus original à parcourir la plus longue distance possible en économisant son carburant. Néanmoins ce sont les virées sur la lune qui décrochent la timbale en matière de fantaisie, puisqu'elles donnent l'occasion de piloter le fameux rover lunaire dans ce cadre fascinant et naturellement très spécial au niveau de la gravité, le tout dans un environnement sonore de circonstance. Un peu moins dépaysant mais plus intéressant, le Goodwood Festival of Speed permet de s'essayer à une grande variété de véhicules sur des petites routes bucoliques. Cette compétition illustre à merveille la finesse du gameplay et la passion de l'automobile qui anime comme toujours GT. Seulement cette fois, la formule a été débarrassée de rigidités superflues pour faciliter l'avancée de la carrière, à commencer par les permis que l'on obtient les doigts dans le nez. En outre, le nombre d'étoiles requis pour gravir les paliers n'est jamais très élevé. Sachant que le simple fait de passer la ligne d'arrivée rapporte une étoile, même les pilotes du dimanche ne risquent pas de se retrouver bloqués. On aura cependant tout intérêt à tenter de remporter la victoire ou des coupes en or, plus aisées à gagner, car ces performances seront récompensées par des sommes d'argent plus importantes, ainsi que des véhicules bonus. Ces prix ont d'autant plus d'importance que les crédits n'ont désormais plus qu'une valeur virtuelle. L'intégration de micro transactions avait engendré des inquiétudes, car avec un tarif fixé à une cinquantaine d'Euros pour une carte de 7 millions de crédits, les véhicules les plus prestigieux avoisinent les 150 Euros.

Vision Gran Turismo

Fort heureusement, ces dépenses somptuaires ne concerneront que les collectionneurs impatients et fortunés. Tout d'abord, GT6 encourage les efforts, en offrant d'excellentes voitures lorsque l'on prend de décrocher un maximum d'étoiles et de coupes en or dans chaque catégorie. Et ces véhicules permettent de participer à la plupart des épreuves, sachant qu'il ne faudra en acheter qu'une poignée pour en finir la totalité. En outre, la regrettable fermeture des magasins d'occasion n'empêche pas de dégotter de bonnes affaires chez la myriade de concessionnaires, d'autant que l'on nous conseille judicieusement les modèles ayant le meilleur rapport qualité/prix si besoin. Les tarifs pratiqués sont d'ailleurs très raisonnables, tant qu'on ne lorgne pas sur les voitures de rêve. Enfin cet opus introduit la "Vision Gran Turismo", un nom qui rappellera sans doute des souvenirs chez les fans. Chacun son tour, des constructeurs y présentent des prototypes créés spécialement pour GT, par le biais de croquis et de vidéos qui laissent béat d'admiration. Mais à peine a-t-on le temps de remballer sa langue que l'on nous propose de recevoir le bolide en cadeau. Ne cherchez pas, il n'y a point d'embrouille ni de vice caché : ces merveilles de design sont vraiment gratuites et dans le cas du premier modèle disponible, la Mercedes-Benz AMG Vision GT, elle permettent de gagner un paquet de courses sans avoir à sortir le porte monnaie. En revanche exploiter au mieux son garage suppose de passer régulièrement à la caisse de la boutique de tuning, où les tarifs se révèlent nettement plus élevés, voire prohibitifs dans le cas de pièces quelquefois très utiles comme le kit nitro. L'économie de GT6 reste néanmoins plutôt saine, a fortiori comparé aux dérives de son rival, d'autant que les compétitions en ligne ne viennent cette fois pas bouleverser cet équilibre compte tenu de récompenses pécuniaires modérées. Ce mode est quasiment inchangé, c'est à dire simple mais efficace, avec des lobbys pour organiser des courses en toute liberté et des évènements saisonniers à durée limitée. Il manque toutefois encore l'ambitieux éditeur de circuit, promis pour plus tard, de même que les contenus liés à Ayrton Senna. La preuve qu'en dépit de la maturité affichée par GT6, la course passionnée de Kazunori Yamauchi n'est pas prête de s'arrêter. Une quête de perfection inconditionnelle d'ailleurs, à l'image du mythique champion brésilien, dont l'aura illumine bel et bien cet opus.