Rétrospectivement, Bioware a toujours adopté les mêmes formules dans tous ses RPG en 3D. Depuis le premier KOTOR qui a fait sensation à l'époque, jusqu'à Mass Effect aujourd'hui, en passant par Jade Empire, le coeur de la formule n'a finalement que peu changé. Et j'avoue que j'attendais énormément de Mass Effect, justement, d'abord parce que de la SF à tendance Space Opera, c'est toujours un bon point pour moi, et ensuite parce qu'au travers des annonces et présentations diverses, les promesses de l'exploration d'un univers immense, de choix décisifs pour le destin de la galaxie et de nouveautés de gameplay dites "next-gen", avaient de quoi faire rêver. A l'arrivée, le constat s'avère plutôt positif, mais pas à en avoir des étoiles plein les yeux, loin s'en faut.

C'est vous le chef, chef

Arrivé sur l'écran titre, on salive immanquablement. Belle image du cosmos avec une planète derrière, musique à la Vangelis aux nappes sonores envoûtantes, simple invitation à appuyer sur start pour se plonger dans un univers prometteur... On s'exécute. S'ensuit la traditionnelle création du personnage, le Commandant Shepard. Homme ou femme, blanc ou noir, plutôt comme-ci ou plutôt comme-ça, mais inévitablement humain, pour les besoins de l'histoire. Comme tout le monde, j'entreprends de faire mumuse avec l'interface qui permet de se créer un visage, similaire à ce qu'on peut trouver par exemple dans un Oblivion. Vingt minutes de tâtonnements passent, je finis par faire retour, retour, retour, et choisir le visage préconçu. Impossible d'obtenir un résultat classe comme je le voulais... mais peu importe. C'est moi et personne d'autre, qui déciderai du destin de la galaxie, m'a-t-on promis, et l'aventure m'attend. Ou est-ce moi qui vais l'attendre ?

Espace, frontière du très fini

Evacuons tout de suite le sujet qui fâche : les ascenseurs. D'autres ont su le résumer merveilleusement en trois images, mais pour une aventure qui se déroule dans un futur éloigné, à l'âge où l'humanité voyage plus vite que la lumière, détient une importance grandissante sur l'échiquier géopolitique galactique, colonise des planètes entières et s'est débarrassé de toutes les pathologies génétiques comme des problèmes de pollution, la lenteur des ascenseurs est impardonnable. Ca a l'air superflu, cette histoire d'ascenseurs qui cachent des chargements ? Malheureusement pas tant que ça, car ce n'est que l'expression la plus criante de la lenteur générale qui se dégage de Mass Effect. Le perso est lent (avec option balais dans le fondement), l'exploration des planètes en Mako, l'espèce de tout-terrain - très années 80 - prend de longues minutes de traversées de déserts difficilement praticables pour généralement découvrir bien peu de choses, certaines quêtes poussent à de longs voyages ou à des allers-retours parfois pénibles... il arrive qu'on pique un peu du nez, surtout quand on sort des sentiers battus de la campagne principale, ce qui reste fortement encouragé pour faire de l'expérience, découvrir des sous-intrigues, des détails sur son équipage et plus simplement profiter d'une durée de vie qui, sans ces à-coté vraiment très nombreux, serait bien courte.

Bouh, qu'il est méchant

On me trouvera peut-être dur dans le paragraphe précédent. Mais je n'ai pas encore tout à fait fini : Mass Effect fait un peu vide. La Citadelle, coeur géopolitico-économico-culturel de toute une galaxie (et de l'aventure) a beau être le centre névralgique de notre ascension au statut de Spectre, agent spécial au-dessus des lois, lancé à la poursuite du collègue rénégat qu'est Saren, sa description ne cadre pas avec ce qu'on en voit. Des PNJs statiques, peu nombreux, une impression générale de lobby d'hôtel plutôt que de capitale surpeuplée, deux malheureuses boîtes de nuit de la taille d'un bar PMU de quartier... évidemment, tout est affaire de technique, mais malheureusement, de ce point de vue, ça n'empêche pas Mass Effect de ramer quelques fois, et surtout de mettre, au sortir d'un chargement, quatre ou cinq secondes avant d'afficher toutes les textures à l'écran pendant que le lecteur de DVD semble périr sous les appels de données. Les planètes sur lesquelles atterrir sont finalement peu nombreuses, les autres se contentant d'un descriptif écrit, et même celles qu'on peut explorer usent et abusent d'une génération de terrain d'avant-guerre, repeinte à coup de textures pour seul levier de dépaysement, avec quelques effets météo. L'I.A. des coéquipiers semble adorer tirer dans des caisses ou rester exposée bêtement au feu ennemi si on ne la dirige pas régulièrement, et celle des ennemis ne surprend pas. Bref, la grandiloquence next-gen d'un Assassin's Creed, cette fois, on s'en passera.

La magie d'Hubert Reeves

Ca en fait des reproches, hein... Je sais. Ce qui mettra d'autant plus en valeur le pourquoi du comment j'ai quand même aimé mon aventure dans Mass Effect. Car malgré toutes ces casseroles, l'univers présenté est tout bonnement le meilleur de ce genre. Il n'y a pas à tergiverser : découvrir chaque chapitre débloqué du Codex (l'encyclopédie de l'univers de Mass Effect) est un régal. Tout ou presque y est expliqué, documenté, avec une rigueur et une intelligence quasi-scientifiques, une créativité et une cohérence travaillées qui transportent l'imagination comme les meilleurs bouquins de SF de ces trente dernières années. L'aventure centrale, bien que courte, est brillamment narrée, notamment grâce à des personnages crédibles, passionnants à connaître, et avec lesquels on pourra développer des relations poussées, même de la romance, et quelques cinématiques épiques. Le système et le contenu des dialogues ne pouvaient être mieux réussis, et même le doublage français épate. Le système de progression, les capacités et pouvoirs, et les équipements restent solidement pensés, même si on pourra une fois encore reprocher aux objets un manque de variété graphique comme parfois d'intérêt. Enfin, les combats, malgré les faiblesses de l'I.A., offrent un dynamisme contrastant d'autant plus avec les autres éléments du jeu, grâce à la vue épaule, aux couvertures, aux pouvoirs et à leur aspect tactique beaucoup plus important qu'il n'y paraît. Bref : la magie de l'espace opère malgré tout, et entre quelques éclats de rire devant des répliques bien senties ("Merde ! Un Pop-up !") et certains choix effectivement décisifs (mais beaucoup trop rares), on reste toujours désireux de continuer à progresser, à découvrir une masse de contenu narratif tout de même impressionnante... même si on râle à chaque appel d'ascenseur. Alors oui, la découverte de ce nouvel univers et de cette aventure suffit à tolérer le reste. A attendre la suite, même... avec laquelle on sera peut-être d'autant moins tolérant que si les défauts ne sont pas gommés le moment venu, la fraîcheur du reste sera depuis longtemps passée.