Neo-Paris, 2084, dans un laboratoire futuriste, Nilin est déboussolée, épuisée. Sa mémoire vient de lui être volée. Mais notre héroïne résiste à son formatage, elle a l'âme d'une guerrière, et se raccroche à son seul souvenir, son nom. Ce vestige de son passé souligne une ténacité peu commune si on la compare à celles des autres "patients" déjà totalement lobotomisés, qui se trouvent avec elle dans ce qui ressemble étrangement à un couloir de la mort du futur. Et Nilin a un autre avantage, elle n'est pas seule !

En effet, la belle entend une voix, celle de Edge, au travers de son Sensen, un implant neuronal. Edge guide Nilin vers la liberté. Sans savoir si elle peut faire confiance à son nouvel allié, elle trouve son chemin dans les bas-fonds et évite la chaise électrique du souvenir qui aurait grillé ce qui lui reste de conscience. Débute alors une reconquête identitaire qui amènera Nilin à ébranler les fondements même de la société moderne.

Une société pas vraiment Sen(sen)

Si on se fie à la vision de Dontnod, l'avenir n'est pas rose. Dans 70 ans nous serons tous équipés d'un Sensen, un implant neuronal qui permet de gérer la mémoire, d'échanger ses souvenirs avec d'autres personnes via les réseaux informatiques et de modeler ce que chacun a vécu. Un outil qui ferait oublier les pires expériences, ou cauchemars, pour bâtir un monde meilleur composé de citoyens heureux et fiers de ce qu'ils sont. Mais il ne s'agit là que d'une façade reluisante au but mercantile, créée par Memorize, l'entreprise qui a démocratisé le Sensen. En effet, le premier contact entre Nilin et les victimes de l'implant Sensen montre que jouer avec les souvenirs peut mal tourner et laisser des traces indélébiles chez certains individus. Et quelques pas dans les tréfonds parisiens suffisent d'ailleurs pour apprécier l'ampleur des dégâts. Des "Leapers", des accrocs aux souvenirs, ont totalement perdu pied et tentent de se nourrir illégalement de la mémoire des autres. Mutants déformés et dangereux, ils sont relégués dans les sous-sols et vivent tels des animaux, toujours assoiffés de souvenirs, comme pour se définir eux-mêmes. Mais dans les hauteurs, la vie des riches populations contrôlées aux souvenirs heureux est toute autre. Le ghetto d'en bas laisse place à de beaux quartiers luxueux intégrant superbement l'architecture parisienne que l'on connait avec des buildings futuristes qui viennent chatouiller un ciel radieux, pour un rendu splendide à l'image. Car s'il n'y a pas qu'une chose à retenir de Remember Me, l'une des plus impressionnantes demeure sa direction artistique magistrale.

Quand l'art (parisien) prend le pas sur la technique

De mémoire de joueur, j'ai vu beaucoup de beaux jeux mais RM se distingue en plus par une direction artistique singulière. De la subtile intégration du vieux Paris aux architectures futuristes époustouflantes, en passant par les détails par milliers qui habillent les rues avant-gardistes de Paname, on ne peut que s'extasier. Ces environnements hypnotiques ne sont pas sans rappeler ceux de Blade Runner, une des nombreuses inspirations cinématographiques du titre, parmi lesquelles on retrouve Matrix, Total Recall et... je m'arrêterai là afin de ne pas spoiler. Pour finir, sachez que des jeux de lumière efficaces, une 3D qui flatte la rétine et, cerise sur le gâteau, des hologrammes, affichés comme un véritable langage propre à RM sur les structures de la cité, offrent une densité convaincante aux décors et assurent une véritable identité à la ville lumière. Indéniablement, Neo-Paris charme l'amateur d'univers futuristes, ce qui le rendra plus clément face à la linéarité et la petitesse des lieux explorés. Mais, après tout, n'est-il pas préférable de parcourir des allées confinées, mais détaillées et crédibles, plutôt que de vastes environnements sans le moindre caractère ?

Le combat c'est comme le Vélib'

Si Neo-Paris est charmant, Nilin l'est tout autant. La belle était une chasseuse de souvenirs, la meilleure, capable de remanier les mémoires de ses cibles pour remodeler leur caractère et changer leurs actions futures. Travaillant pour Memorize, elle s'est rebellée contre un système qui faisait finalement plus de victimes que de gens heureux. Elle est devenue une "Erroriste" et si Edge, le leader de ces rebelles, l'a choisie avant que Memorize n'efface son identité, ce n'est pas un hasard. Ses talents de chasseuse font d'elle une arme mortelle, et ceci même s'il lui faudra du temps avant de tous les retrouver. Agissant par l'intermédiaire de combos pré-établis, mais dont on peut modifier les effets, Nilin tabasse ses adversaires avec aisance et se glisse entre ses proies pour de superbes chorégraphies, grâce à une esquive façon Batman Arkham City. Ces épreuves de combat, qui se déroulent malheureusement trop souvent en arènes fermées, se préparent d'abord dans le menu Combo Lab. On y configurera ainsi nos combos via des pouvoirs (les Pressens) qui octroient des effets particuliers aux enchaînements préétablis que peut réaliser Nilin. Ainsi, chaque coup peut régénérer la santé, augmenter les dégâts, l'intensité du Pressen précédent dans la ligne de combos ou alors diminuer le temps de recharge de pouvoirs très spéciaux, les S-Pressens. Ceux-ci sont soumis à un temps de recharge mais font des ravages (coups puissants, bombes étourdissantes, invisibilité temporaire, prise de contrôle de robots, etc.) qui marqueront les adversaires de la chasseuse.

Des impairs difficiles à oublier

C'est donc vous qui customisez vos combos d'un côté, grâce aux Pressens, et qui jouez régulièrement de vos enchaînements et de vos pouvoirs S-Pressen de l'autre durant les rixes pour venir à bout d'affrontements dynamiques et intelligents, mais qui manquent parfois de lisibilité à l'écran. La pratique permet de s'en sortir mais le nombre d'ennemis croissant ne facilite pas la tâche, d'autant que la caméra se place très mal dans certaines situations. Un premier point négatif duquel on s'accommode grâce à des affrontements néanmoins intéressants, mais qui peut tout de même agacer, surtout sur la fin du jeu lorsque les ennemis sont de plus en plus nombreux. Profitons-en pour aborder le second point négatif de RM, le syndrome "Die & Retry" digne d'un Tomb Raider de l'époque PSOne. J'en rajoute un peu, mais j'ai dû néanmoins mourir de nombreuses fois pour comprendre certains mécanismes, certaines routines de combat contre les boss, ou appréhender correctement plusieurs sauts, et cela risque de décourager certains joueurs. Pourtant, il ne faudra pas s'arrêter à ça car RM dispose d'autres cordes à son arc et la flèche qu'il vous décochera une fois l'aventure bouclée devrait laisser une trace indélébile dans votre expérience de joueur !

Pour retrouver la mémoire, chassez celle des autres

Pour retrouver son identité, Nilin ne joue pas que la carte du combat. Entre quelques puzzles, QTE et autres séquences de plates-formes, souvent faciles et agréables à jouer malgré, là encore, quelques imprécisions durant les sauts, la chasseuse de mémoire utilise le Spammer ; un gant aux pouvoirs grandissants qui finira par crocheter les serrures, déplacer des objets et même tirer des salves énergétiques. Vous l'aurez compris, le jeu s'enrichit sans cesse de nouvelles fonctionnalités tout au long de l'aventure. Le must étant la Rémanescence et le Remixe Mémoriel. Le premier est le souvenir du trajet d'une personne, que Nilin peut visualiser dans les décors pour le suivre, afin d'atteindre certains lieux qui resteraient sinon inaccessibles. Le second est une séquence de souvenirs à visualiser comme une bande vidéo dont il faudra modifier certains détails, ceci afin d'altérer la mémoire d'un personnage clé de l'aventure sans qu'il en ait conscience. Imposés, ces moments sont rares mais particulièrement attrayants tant sur le plan de la narration que de la jouabilité. Il s'agit là de véritables jeux de pistes qui impliquent toujours plus le joueur. D'autant que dans le cas du Remixe Mémoriel, les conséquences, tant physiques que morales, sont gigantesques pour la victime et conditionnent ses comportements futurs... Tout ces éléments de gameplay combinés, affrontements, plates-formes, QTE, puzzles, Remixes Mémoriels, Rémanescences et autres combats de boss aux mécaniques uniques varient les plaisirs et sont bien intégrés à l'aventure pour un rythme parfaitement maîtrisé. Mais n'en n'oublions pas pour autant la clé de voûte du jeu, son scénario. Car comme je vous le disais plus haut il y a bien plusieurs éléments qui font de RM une expérience unique, mais c'est sans doute de son histoire et de sa narration que l'on se souviendra le plus. Difficile de ne pas trop en dévoiler tant l'ensemble est bien ficelé mais il serait honteux de ne pas saluer le boulot abattu par les scénaristes de Dontnod. Tant sur le plan de l'histoire globale que dans les détails, avec ses personnages secondaires ambigus et son héroïne aux prises de conscience difficiles à gérer, qui ne cessent d'impliquer plus avant dans l'aventure, RM est une véritable réussite qu'il sera difficile d'effacer de votre mémoire.

Remember Me, c'est avant tout une histoire à vivre. Une expérience dont on se souvient. Et si on peste parfois contre certaines imprécisions de gameplay, ou contre une caméra agaçante, l'histoire dans son ensemble, avec son rythme haletant et la justesse de ses jeux d'acteurs (plus en anglais qu'en français cela-dit), suffit à conquérir le coeur de tout amateur d'univers d'anticipation à la sauce Blade Runner. C'est un régal, une démonstration de force même, par certains aspects, dont on espère que d'autres licences s'inspireront, et qui montre qu'une histoire bien racontée au gameplay perfectible vous emmène toujours plus loin qu'une jouabilité impeccable accompagnée d'un scénario et d'une narration sans relief. Tâchez de vous en souvenir !