Revenons à la seconde moitié des années 90, une période difficile pour les jeux de tennis qui cherchent encore leurs marques en 3D. Les ratages s'accumulent parmi les nouveaux venus, tandis que les vieilles séries s'essoufflent à l'image de V-Tennis (le successeur de Super Tennis chez Tonkin House), d'Hyper Final Match Tennis et de Smash Court Tennis. La tendance générale semble alors pencher vers l'arcade, une philosophie dont émergera Virtua Tennis en 1999, revigorant toute la discipline au passage. Néanmoins, pendant ce temps, quelques puristes s'affairent dans l'ombre, afin que l'art (souvent ingrat) de la simulation perdure. Parmi ceux-ci, on compte Hirofumi Hattori avec World Tennis Pro '98 sur Psone (l'ancêtre de Dream Match Tennis), et Emmanuel Rivoire, le créateur de Tennis Elbow sur PC. Avec ses graphismes en 2D, son approche austère et son mode carrière complet, ce dernier rappelle beaucoup les Great Courts, d'autant que son gameplay repose également sur un système de frappes "chargées". Quinze années plus tard, l'esprit est resté le même, bien que Tennis Elbow se soit sophistiqué au fil des millésimes, tout particulièrement depuis son passage en 3D. Bien sûr, la réalisation demeure celle d'une oeuvre indépendante, avec des courts sans fioritures, à l'exception de l'usure visible du gazon au fur et à mesure qu'avance un tournoi. De même, la modélisation des joueurs est rudimentaire et leurs mouvements paraissent assez raides, notamment lors des déplacements. Pas question donc d'espérer une multitude de phases d'animation contextuelles à l'instar des grosses productions du genre, Tennis Elbow mise avant tout sur l'efficacité. Ainsi la gestuelle se montre plutôt convaincante d'un point de vue technique, un réalisme renforcé par l'excellent rendu sonore des frappes, qui dépend de leur qualité.

Plan de frappe chirurgical

Comme dans Great Courts en son temps, il s'agit de préparer son coup le plus tôt possible, afin de maximiser sa puissance et sa précision. Encore faut-il se positionner de manière optimale par rapport à la balle et à son rebond, ni trop près ni trop loin du corps, car un mauvais plan de frappe occasionne fatalement des fautes. Ce principe s'applique aussi pour les volées, au temps de préparation proportionnellement réduit et par conséquent encore plus délicates à réaliser. Pourtant, seulement deux boutons sont utilisés en tout et pour tout, un minimalisme des commandes hérité de l'époque où l'on jouait au joystick, voire à la souris (une option toujours disponible). L'un des boutons sert ainsi à la frappe normale et l'autre au slice, un appui simultané déclenchant une frappe puissante. L'exécution des différents types de coups demande donc d'appuyer en plus vers l'avant ou l'arrière avec le stick, de manière à varier la longueur, ou à effectuer des lobs et des amorties. Une fois que l'on sait comment (et quand) utiliser ces coups, l'autre challenge consiste à gérer les trajectoires et les effets imprimés par l'adversaire. En effet justement, les slices bien vicieux nécessitent d'ajuster soigneusement son plan de frappe, au risque de méchamment "vendanger" le cas échéant. N'en déplaise aux tennis(wo)men du dimanche, le gameplay de Tennis Elbow requiert un certain laps de temps pour être assimilé. Cela dit, de nombreuses aides facilitent cet apprentissage, qu'il s'agisse d'indicateurs visuels ou d'un placement plus ou moins assisté. Ces soutiens sont extrêmement précieux au début, y compris quand on est un habitué de la discipline.

L'authenticité du geste

Car derrière des bases relativement simples - on se place, puis on maintient le bouton jusqu'à ce que le coup soit parti - ce gameplay cache une étonnante subtilité, entièrement centrée sur la précocité et la précision du placement. Voilà d'ailleurs pourquoi ses seules vraies faiblesses ressortent dans les phases les plus dynamiques, lorsque l'on tente un passing-shot en bout de course par exemple. C'est là que Tennis Elbow se démarque de ses collègues qui se focalisent sur le moment précis de l'impact, en clair sur le timing de la frappe elle-même, plutôt que sur sa préparation. Les sensations s'avèrent donc percutantes, du fait de l'impression de charger sa frappe, mais logiquement moins directes, oserais-je dire moins "organiques" que celles offertes par un toucher de balle du bout du bouton. Cependant, au regard de l'importance qu'ont la vision du jeu et la mobilité au tennis, difficile de critiquer l'usage de ce principe comme fondement absolu, surtout quand il suscite des échanges aussi crédibles. Cela commence par les fautes, simulation oblige, puisqu'il n'est sans doute pas inutile de rappeler que la prise de risque constitue un élément essentiel du tennis. La marge de progression, énorme, se traduit ainsi à travers le ratio de coups gagnants par rapport aux erreurs commises. Idem pour l'IA qui se montre de plus en plus agressive et régulière à mesure que l'on rehausse le niveau. En outre, l'ordinateur se comporte de façon cohérente en fonction de son style de jeu, voire même du contexte. Un joueur de fond de court ira ainsi plus volontiers au filet sur surface rapide, et cherchera à contourner son revers s'il dispose d'un meilleur coup droit. Les finesses de Tennis Elbow ne s'arrêtent pas là, puisque des phénomènes tels que la faculté à contrer, et les différences entre les revers à une ou à deux mains sont intégrés.

Une vraie carrière de pro

Se lancer dans une carrière s'impose naturellement pour découvrir l'incroyable profondeur du gameplay et la quête d'authenticité qui en est à l'origine, d'autant plus que ce mode s'inscrit dans la même démarche. On crée son joueur, ou sa joueuse, on choisit son époque de départ (de 1990 à nos jours) et c'est parti pour une quinzaine d'années sur le circuit en débutant tout en bas de l'échelle, aux alentours de la 1000ème place. Libre à chacun de se contenter d'une saison, ou de sauter les étapes en se propulsant directement parmi l'élite, mais cela signifierait se priver d'une partie non négligeable de la richesse qu'offre cette véritable vie parallèle de joueur professionnel. Honnêtement, tout y est : Les tournois de différentes catégories (des futures à ceux du grand chelem), les qualifications, éventuellement évitées si l'on reçoit une invitation, et le masters en fin de saison quand on se hisse parmi les huit meilleurs au classement. N'oublions pas la Coupe Davis, dans laquelle on peut s'illustrer à la fois en simple et en double, à l'instar de l'ensemble des compétitions. Et comme on a loisir de choisir le nombre de sets selon le tournoi, il y a matière à s'occuper pendant une éternité. A ce propos, le temps joue un rôle important, dans la mesure où les aptitudes du joueurs s'érodent légèrement au fil des matchs. Il faut par conséquent s'entraîner lorsque l'on ne participe pas à un tournoi, histoire de revenir au maximum de ses possibilités et de les améliorer avec les points d'expérience acquis. Or de la même manière qu'un joueur se fatigue au cours d'un match, il s'agit de gérer les jours de repos, les heures disponibles étant limitées. Tennis Elbow pousse vraiment très loin cette dimension de RPG tennistique, jusqu'à comptabiliser les taxes payées sur les gains et la montagne de données issues de ce circuit virtuel, du palmarès de chacun des joueurs aux résultats de leurs confrontations.

Modding friendly

Un tel degré de réalisme n'est finalement pas si surprenant, Mana Games ayant carrément développé un jeu dédié au management, Tennis Elbow Manager. Adieu vie sociale... A moins de se pencher sur les aspects communautaires de Tennis Elbow. Évidemment, on peut affronter d'autres camarades en ligne, avec la perspective de s'inscrire sur le circuit virtuel officiel ou sur celui organisé via l'incontournable International Top Spin Tour. Une réussite, malgré les sempiternels écueils que l'on constate avec la majeure partie des représentants du genre, à savoir des échanges parfois interminables et quelques tactiques ridicules tennistiquement parlant, mais très efficaces. Celles-ci tirent parti de rares lacunes de la physique de la balle et sont théoriquement interdites, hélas on n'est jamais totalement à l'abri de vilains tricheurs. Heureusement, la communauté se compose en grande partie de gentlemen, dont certains s'investissent corps et âme à travers le modding. Outre la possibilité de modifier la totalité des joueurs et joueuses dans leurs moindres détails (look, voix, gestes, style de jeu et aptitudes), Tennis Elbow se veut très ouvert sur le plan des mods. Les véritables stades et les champions sont ainsi recréés avec une fidélité effarante, en particulier au niveau de la gestuelle. Indubitablement, le talent des principaux moddeurs impressionne, le fruit de leur travail dépassant souvent celui des références de la discipline. Bien sûr, il subsiste des petits accrocs dans l'enchaînement des phases d'animation, l'échelle de cette production n'autorisant pas le lustre apporté par la motion capture (les glissades par exemple). Néanmoins j'insiste, je ne crois pas avoir vu d'échanges aussi proches de la réalité dans aucune autre simulation, et là tout est dit...