Petit rappel de rigueur : avec Strike Suit Zero, Born Ready a su s'attirer l'attention et le portefeuille des joueurs PC en prétendant avoir dans les cartons de quoi réinventer le shooter spatial. Rien que ça. Il faut dire que le coup du vaisseau monoplace qu'on change d'une pression de bouton en mecha guerrier hyper mobile et prêt à dispenser chaos et destruction par salves de cinquantes missiles à tête chercheuse, ça se posait tout de même là, niveau promesse. Et ce ne sont pas les références citées en inspiration par les développeurs qui auraient pu calmer la hype ambiante autour du titre : Freelancer, Starlancer, Tie Fighter...les mecs ont du goût, pour sûr. Restait à savoir comment ils comptaient organiser le mariage des gameplays, histoire que l'amour dure.

"Use the Force, Starbuck" - Mr Spock

On commence le jeu aux commandes d'un vaisseau standard, après un rapide brief textuel et un passage par l'interface de sélection des armes embarquées. Les trois premières missions feront figure de didacticiel, à l'issue duquel on débloque enfin l'accès au fameux chasseur versatile baptisé "Strike Suit". Pas de surprise du côté de la structure des missions : on est sur du classique de chez classique, avec une petite cinématique de décollage pendant laquelle on taille le bout de gras par radio avec ses équipiers, puis un bon vieux saut hyperespace, direction le grabuge. C'est certes un poil répétitif et pas bien original, mais vous et moi savons qu'on n'était pas vraiment venu chercher du Kubrick en lançant Strike Suit Zero. Et heureusement, vu le scénario terriblement générique qui sert de prétexte aux échanges de piou piou lasers : il est question d'une guerre fratricide entre terriens et humains issus des colonies spatiales ainsi que d'un artefact extra-terrestre qui vient bousculer le status quo. Et je vous vois rouler des yeux très fort, vilains esprits frustes que vous êtes. Permettez-moi de vous rassurer sans attendre : une fois le séant bien calé dans le cockpit de la Strike Suit, tout va beaucoup mieux.

Style Battalion

Echauffourées à grande échelle, duels de pilotes, attaques de bases ennemies ou mise à mal de flottes gigantesques : autant de situations bien connues des habitués de shooters spatiaux pour le léger sentiment d'impuissance qu'elles peuvent susciter. A force de multiplier les passages en rase-motte ou de s'embourber dans des joutes interminables, nous autres joueurs étions en droit de rêver à un appareil d'une autre classe, capable tout à la fois de traverser rapidement le champ de bataille et de proposer une vraie flexibilité en combat. Et Born Ready créa la Strike Suit. Et le petit Gautoz vit que cela était bon. Car une fois la bête déployée, on sacrifie en poussée horizontale ce que l'on gagne en mobilité sur les trois axes, avec une prise en main TPS terriblement intuitive. En plus de permettre au joueur de dasher dans tous les sens pour feinter les roquettes ennemies, l'exosquelette offre également un système de missiles à verrouillages multiples - jouissif en diable - et un next-target lock hyper pratique : garder ce bouton enfoncé tout en mitraillant votre cible vous garantira de faire volte face vers le prochain ennemi à portée une fois son collègue réduit en poussière. Et tourner autour de la carlingue d'un supercroiseur tout en évitant les tirs ennemis avant d'annihiler la moitié de ses défenses d'une seule nuée d'engins explosifs, ça a tout de suite vachement plus la strato-classe. Un sentiment décuplé par le rythme haletant des missions : à peine remis de votre exploit, il faudra déjà repasser en configuration "chasseur", balancer les contre-mesures au bon moment pour éviter de partir en fumée, mettre plein gaz sur les quatre bordées de torpilles prêtes à dégommer votre vaisseau mère, réactiver le Strike Mode et remettre les pendules à l'heure in extremis dans une avalanche de cartouches à gros calibres. Respirer ? Tu respireras quand tu seras mort, soldat.

Gurren La Gagne

Et on meurt souvent dans Strike Suit Zero. Beaucoup, tout le temps, parfois de manière injuste. Car si le mode Mecha s'avère surpuissant en combat - en plus de ne pas reposer sur un système de munitions quantifiées - c'est d'abord parce que son utilisation se trouve limitée par une jauge : le Flux. Pour faire le plein, il faudra dézinguer de la crevure colonialiste à l'ancienne, en louvoyant et en blastant façon papa. Plus vous remplirez la jauge, plus nombreuses seront les actions réalisables en Strike Mode : chaque tir de mitrailleuse et chaque missile verrouillé sur cible grignotera un peu des fameuses réserves. Le problème, c'est que la maîtrise de l'alternance entre les deux postures de vol s'avère aussi vitale que douloureuse à l'apprentissage. En lieu et place de missions courtes, Born Ready table ici sur de longues opérations épiques articulées en "actes", entrecoupés par des checkpoints. Sauf que parfois, un seul acte inclut la destruction d'une flotille adverse, le sauvetage d'un convoi et la sortie d'hyperespace de tout un détachement ennemi qu'on devra envoyer ad patres avant d'apercevoir ENFIN la notification de point de contrôle atteint. ENFIN, car recharger au checkpoint vous rendra tout votre blindage ainsi que toutes vos munitions. Un choix de design un peu foireux, que j'ai pourtant été contraint et forcé - je le confesse - d'exploiter pour parvenir à boucler certains passages. C'est souvent du par coeur : détruire telle escouade, utiliser le Flux obtenu pour démolir ces trois tourelles, prendre ses distances le temps que son bouclier remonte, surtout ne pas passer à proximité du croiseur qui vous ferait frire sur place. Le jeu ne vous dicte rien, il vous laisse vous planter deux, trois, cinq fois avant de trouver l'unique bonne manière de faire, seul comme un grand. Et quand enfin on se sent à l'aise avec la Strike Suit et prêt à faire face à toutes les situations, c'est déjà la fin du jeu.

Mecha surprise...

La version preview sur laquelle j'avais pu poser mes vilaines pognes le mois dernier comptait huit missions. Plein d'espoir et passablement sur ma faim, je m'imaginais en trouver une vingtaine dans la mouture finale. Strike Suit Zero tient en treize missions. Et à chacun de mes passages par le menu du jeu, je voyais l'indicateur de missions xx/13 et je me disais "Haha, ça sent la fin de campagne surprise". Mais non, treizième mission sous forme de logorhée in game avec un simili choix final, écran de fin, rideau. Soustrayez les trois chapitres de didacticiel cités plus haut, deux autres vous forçant à utiliser des chasseurs plus standards, le fameux épilogue jouable et vous obtenez un maigre total de sept missions aux commandes de l'engin qui donne son nom au jeu. L'autre moitié - sur une dizaine d'heures en tout - ce sera du shoot plan plan où l'on attend de retrouver le siège baquet de l'argument numéro 1 de SSZ. Messieurs de Born Ready, je ne comprends pas votre logique sur ce coup. Alors ok, la replay value est défendable : chaque mission propose des objectifs secondaires, des armes à débloquer et la possibilité de jouer toutes les missions avec tous les vaisseaux une fois le jeu fini. Ok, le système de ranking vous permettra de mettre la misère à vos potes sur les leaderboards en ligne. Et nul doute que je prendrai plaisir à me refaire les missions les plus ardues, maintenant que j'ai tout le potentiel du robot bien en main. Mais devrais-je m'extasier sur une rejouabilité grandement accidentelle, résultante directe d'une campagne courte jusqu'à la frustration et d'une courbe de progression mal pensée en premier lieu ? Pas sûr.

D'la Suit dans les idées

C'est donc un peu courtaud et pas forcément gaulé pour les joueurs à la tension fragile. Mais purée, ce que c'est beau. En empilant les effets qui pètent la rétine, Born Ready transcende un moteur graphique somme toute modeste et peint sa propre notion du combat spatial, zébré des trainées lumineuses des réacteurs et décoré des fresques éphémères dessinées par les fusées thermoguidées qu'on expédie par boîtes de cent. Pour un peu, on reprocherait à Strike Suit Zero sa timidité chromatique, presque surprenante face à l'utilisation des lumières complètement décomplexée de Born Ready : du bleu, partout du du bleu, exception faite d'une ou deux séquences plus variées. Derrière le sublime, la direction artistique de SSZ rejoue le conflit Orient/Occident dans son coin pendant qu'on apprécie le spectacle : d'un côté un mecha totalement inspiré par les animes (par Junji Okubo, meccha-designer sur Appleseed) et de l'autre des vaisseaux d'une déscendance plus occidentale, sans pour autant l'être trop et tuer la cohérence. Un vrai beau boulot, appuyé par une bande son en or, signée Paul Ruskay. Celui qui fût le grand artisan musical sur Homeworld renoue ici avec l'utilisation d'instruments et de rythmes ethniques sur du space opera. Quand on croit reconnaître du Battlestar Galactica, Ruskay fait entrer ses nappes électro ultra-maîtrisées et la voix de la japonaise Kokia. Là, on se tait et on pilote, les tempes battantes.

C'était mon poulain et comme de juste, je n'attendais rien de moins de lui que l'excellence. Sauf qu'un mioche, ça se cherche pas mal, ça fait des conneries, ça colle ses paluches dans la purée pour voir si on râle. Pour ce qu'il m'apporte en termes de gameplay frénétique et de bonheur visuel et sonore, Strike Suit Zero compte bien me le faire payer, comme le petit con qu'il est. Sa campagne rageante à cotoyer l'indigence, sa difficulté pas toujours bien dosée et son scénario couché sur un coin de nappe au Thaï d'en face m'énèrvent et me déçoivent. Reste que quand on le connait un peu, c'est vraiment un très chouette môme... Faites des gosses, j'vous jure.

Strike Suit Zero est disponible sur Steam au prix de 15,19€ jusqu'au 30 Janvier (18,99 après). Et puisque SSZ est d'abord un jeu magnifique dans le mouvement et que les screenshots lui rendent peu honneur, je vous en ai collé une cinquantaine. Histoire que vous compreniez bien.

Et les versions Mac et Linux sont en cours de portage. Ouais.