Testé à partir d'une version import aimablement prêtée par Trader.

Opération Carte Blanche

Il y a plusieurs dizaines d'années, le grand public se moquait éperdument de savoir qui réalisait et produisait les jeux vidéo. Dire qu'au Japon, ils n'étaient que des pseudonymes, de peur qu'un concurrent ne les débauche. Puis vinrent les années 90 où le producteur avait droit de répondre aux interviews. Il devenait enfin un visage. Les années 2000 ont sacralisé ce star-système. Le producteur et le réalisateur sont devenus un cachet de plus à mettre en avant, en espérant que cette méthode de communication rajoute quelques milliers d'exemplaires. Level-5 respecte ces personnalités au point d'organiser un espace d'expression pour ces créateurs japonais, malgré le trou d'air que traverse l'industrie nippone en ce moment. En dépit de ses récents déboires commerciaux, l'éditeur prend le risque de donner carte blanche à 4 réalisateurs connus du milieu pour faire quelque chose de différent, de plus modeste. L'éclairé amateur de catch Suda 51 de killer7 et No More Heroes, le cultissime Yasumi Matsuno de Tactics Ogre, Vagrant Story et Final Fantasy XII, Yoot Saito du très peu académique Seaman et enfin Yoshiyuki Hirai, un artiste comique multicartes. Allez, sujet libre, on ramasse les copies dans quelques paragraphes.

Kid Icarus Rebirth

Echappé de l'imagination de Suda 51, Kaihô Shojô est un shoot-them up un peu harassant. Et ce n'est pas sa faute. C'est comme si les dizaines d'heures de Kid Icarus Uprising n'avaient servi à rien. On a mal comme au premier jour des aventures de Pit. On ne pouvait pas s'imaginer que le socle offert avec le douloureux hit de Nintendo allait resservir aussi tôt. Et les niveaux trop longs, à voler en liberté dans une sorte d'arène, n'aident en rien. Cela n'empêchera personne d'admirer la jolie Shôko Ôzora, le fessier saillant, bien installé dans sa machine de guerre. La fille du président japonais de ce futur plus ou moins lointain va devoir affronter des monstres d'un gabarit godzillesque dans une zone déterminée. Heureusement, elle le fait à bord d'un formidable exosquelette répondant au sigle forcément awesome de "Kamui", le genre d'aile volante de combat que seule l'animation japonaise sait imaginer. La production value est assez déroutante pour un "petit jeu au sein d'une compil". Dessins animés réalisés par Bones, ambiance sonore à fond les ballons supervisée par Yamaoka... De toute la clique présente sur Guild 01, la production de Suda51 est de loin celle qui a le plus d'impact "dans les dents", cette force brute qu'avaient les Summer Carnival, ces jeux à niveaux uniques mais intenses sur PC Engine, entièrement dédiés au scoring. 3 étoiles et demi en iTunes.

"Diantre un coffre" s'écria le héros avant de lancer un dé 6...

Crimson Shroud, légitimement jeu le plus attendu du lot, est le premier titre original du génie perfectionniste Yasumi Matsuno depuis qu'il s'est fait porter pâle avant de pouvoir finir Final Fantasy XII. Embauché depuis par Level-5, il s'est promis tout d'abord de travailler sur des projets à dimension humaine. Et Crimson Shroud répond au moins à cette attente-là. Giauque, Frea et Lippi, trois aventuriers jusqu'au bout du cliché de l'héroic fantasy, s'engouffrent dans un château. Quelques lignes d'introduction sont là pour nous rappeler des velléités d'un univers rempli de "Gifts", ces objets magiques convoités par les héros. Il est amusant de voir comment Crimson Shroud essaye d'entretenir la confusion : Sakimoto balance quelques thèmes épiques façon Vagrant Story tandis que le direction artistique est assurée par Hideo Minaba, lui aussi un vétéran de FFT. Un peu d'imagination, et on est dans Ivalice.

Le concept est terriblement simple : un mini-RPG vécu comme une mise en abîme de jeu de plateau. On contrôle les personnages comme on manipule des figurines dans une aire de jeu. Toute la narration est volontairement textuelle, conservant toute la didascalie pour bien faire vivre l'aventure comme si le maitre du jeu veillait sur les aventuriers. "C'est alors que le héros lança deux dés de 6 pour sentir si le coffre allait lui exploser dans les mains" à l'ancienne. "Si c'est pour lire un livre dont vous êtes le héros, il y en a des palettes entières chez les bons bouquinistes" diront les joueurs les plus âgés à qui est pourtant destiné ce tour de passe-passe. Le problème, c'est que personne ne donnerait plus de quelques euros pour une histoire si peu immersive, laissant délibérément le joueur/lecteur comme spectateur d'une histoire forcément très mal rythmée. Une aventure textuelle à laquelle viennent s'ajouter des combats de RPG ultra orthodoxes n'intéressera qu'un petit nombre de nostalgiques qui auront pris soin de revoir leur espérance à la baisse pour ne pas être trop déçus. Un créateur génial qui se la joue volontairement petit bras, ça donne un jeu normal. 50% en Player Fun.

Elie Semoun RPG

Pas besoin d'avoir le full-set DVD de la carrière de Yoshiyuki Hirai pour mieux apprécier la finesse de "Rental Bukiya de Omasse", son projet dans Guild 01. Ce comique japonais a eu l'idée rigolote d'imaginer un jeu de gestion d'armurerie de RPG, celle-là même où viennent défiler les héros. Un peu comme si Activision confiait sa licence Call of Duty à Gad Elmaleh pour en faire une appli iPhone, le joyeux drille japonais apporte son univers décalé et son bagout dans les dialogues. Dans mes rêves les plus fous, j'imagine une version française traduite par des amateurs éclairés du Grand Détournement ou des Nuls, mais en l'état, les gags ne sont pas toujours très rigolos. Les mini-jeux de Retro Game Challenge proposaient un pastiche beaucoup plus fin du genre mais n'avaient pas à se limiter exclusivement à l'armurerie. La mécanique de gestion et de popularité est assez bien fichue. Un fils et son père fabriquent et vendent leurs armes pendant que les autres clients parcourent plaines et donjons. Et pendant qu'ils s'épuisent à la tâche, une fenêtre informe en direct live de leurs prouesses. Il faudra passer outre un mini-game pas très réussi où l'on devra taper en rythme le métal chaud pour qu'il prenne la forme de l'arme désirée. Répétitif, Rental Bukiya de Omasse est malheureusement victime de sa mécanique trop bancale. Dès lors, on ne s'acharnera dessus que pour débloquer la démo de l'alléchante prochaine production de Level-5, planquée dans ce Guild 01. Deux petits cœurs seulement.

Catch me if you can

Aeroporter était sans doute le jeu le plus modeste du lot. Yoot Saito de Vivarium n'est pas star à briller dans les dossiers de presse, il n'a pas non plus une horde de fans qui le suivront quel que soit son projet. Et pourtant, son Seaman et son Odama ont marqué des niches de fans reconnaissantes. Il nous transporte aujourd'hui dans un aéroport à l'esthétique simplifiée. Des couleurs criardes en aplat, des ombres chinoises qui mettent des valises sur des tapis roulants et des cercles qui tournent. Pour bouger une valise d'un tapis à l'autre, il suffira du bouton L et R pour déclencher les passerelles. Mais attention, toutes les passerelles ! Et quand on a 25 valises à gérer en même temps, des avions qui sont pressés de décoller, parfois des colis piégés, on finit par être vite dépassé. Il ne manquerait plus que l'aéroport n'ait plus assez de fonds ou d'énergie pour alimenter quelques ampoules, ce qui signifierait passer en mode économique. De tous les jeux de Guid 01, c'est Aeroporter qui a la gueule la plus modeste. Il pourrait clairement être fait sur n'importe quel support et il ne serait pas étonnant qu'un clone atterrisse d'ici quelques mois sur nos smartphones. Mais il y a une certaine efficacité dans le procédé, une approche si ludique d'un concept déjà vu et revu... qu'on y retrouve exactement la même addiction. Celle qui nous a fait courir pendant des heures dans Temple Run, par exemple. De tous les jeux que j'ai pu jouer sur 3DS, c'est celui qui se rapproche le plus des "hits" qu'on a l'habitude de voir sur téléphone aujourd'hui. Cette forme limpide de jeu vidéo, racé, fait d'Aeroporter le digne successeur des bit Generations de la GBA et des meilleurs DSiWare, un véritable petit bijou à découvrir. 7 Selec.

Guild 01 est la preuve que même en se voulant plus modestes, les créateurs célèbres ne s'éloignent jamais de leurs passions, de leurs propres tics. Mais Il faut de l'audace pour assumer son label de compilation de jeux d'auteurs. De la même manière que les gens disent préférer regarder Arte mais finissent devant TF1, l'entreprise "Guild 01" était fondamentalement vouée à un échec commercial. Pour Level-5, il fallait se sortir de l'expérience avec la tête haute. Aucun des jeux proposés par Guild 01 ne démérite vraiment, mais seul Aeroporter, l'outsider, brille par son efficacité et son imagination. Reste une lueur, un enseignement. Si Matsuno voulait faire un retour au game design en toute discrétion, il ne pouvait pas s'y prendre autrement qu'avec son mini-RPG, presque perdu dans cette compilation. Un jour, il reviendra aux affaires. Et ce jour-là, il montrera quel génie il est, for great justice.