Le plus fascinant dans un jeu, c'est quand il se donne la peine d'exceller dans un domaine où on ne l'attend pas forcément. Il faut voir le rictus incrédule de ceux qui n'ont jamais approché de près ou de loin l'Emissaire Subspatial de Smash Bros Wii, quand on leur dit que son scénario et sa mise en scène sont fabuleux. Pareillement, un shoot them up devient hypnotisant quand il aspire à offrir autre chose que le sempiternel cirque du vaisseau solitaire opposé à une armada toute entière. C'est un bonus, parfois une bouteille à la mer d'intention qui passe généralement inaperçue alors qu'il y a vraiment quelque chose qui me fascine dans la rébellion du héros d'Einhänder ou dans la lutte désespéré d'Achi et de Saki dans Sin & Punishment. Sine Mora fait donc partie de ces heureux élus, de cette race si peu fréquente des shoot them up "à histoire".

Plot against shooting

Ceux qui ne vivent que par le culte du score vous le diront : les phases de scénario dans les shoots, c'est comme les scènes d'acting dans un film porno : c'est peut-être bien mais c'est encore mieux si on peut les zapper. Malheureusement pour ces pros, Sine Mora s'oblige quand même à marquer des étapes de narration même s'il est possible de les passer en vitesse accélérée. C'est à ce genre de petits détails que l'on voit que l'équipe de Digital Reality, secondée par Grasshopper Manufacture aux musiques, a cherché plus à plaire aux amateurs "d'ambiance".

Imperium Sine fine

Mais jugez plutôt : on se retrouve dans la peau de Ronotra Koss, militaire à la gueule cassée bien décidé à venger son fils, abattu par l'Empire qu'il avait juré de servir mais contre lequel il s'est rebellé. Idéologiquement proche de Marv, l'antihéros culte du Sin City de Frank Miller, il sera rejoint dans sa lutte par d'autres pilotes aux motivations tout aussi lugubres. Lui n'est pas vraiment clean puisque son premier compagnon d'armes est une femme victime d'un viol qu'il va convaincre de prendre part à sa guerre en usant de chantage. Tous les personnages ont ainsi une grande part d'ombre et de noirceur, tous brisés par la vie, tous pris au piège d'un conflit qui les dépasse et qui dure éternellement puisque les perdants remontent à chaque fois le temps pour ne pas connaître l'échec. En un mot comme en cent, Sine Mora est aussi inhabituel qu'il est hongrois.

Melancholia

Pour aller de paire avec cette ambiance unique, Grasshopper nous a sorti le grand jeu avec son virtuose maison Akira Yamaoka (remember les musiques de Silent Hill), qui ne se contente pas de cachetonner. Résultat : une bande son tout ce qu'il y a de plus mélancolique et puissante, le genre dont on se demande si un CD audio finira par sortir. Mais plus intriguant encore est le design de tous les mechas du jeu. Digne héritier de ces vétérans comme Steel Empire qui ont déjà ouvert la voie à une esthétique néo rétro dans le monde du shoot them up, Sine Mora apporte une touche moderne assez particulière. Le déclic à été pour moi les réacteurs d'un bombardier qui se sont mis à bouger indépendamment les uns des autres. Ce genre de détails particulièrement excitants pour un fan de robots et de mecha design steampunk, dont je suis, est en fait l'œuvre de Mahiro Maeda, animateur de génie qui a, des films Ghibli à Evangelion en passant par le segment animé de Kill Bill, un CV long comme le bras. En plus d'un script aux petits oignons, et d'une histoire fascinante, Sine Mora s'offre un emballage génial. Mais passons maintenant au revers de la médaille.

Hitbox fantôme

Quiconque entreprendrait de produire un shoot them up aujourd'hui ne pourrait être taxé d'opportunisme. En se concentrant sur quelques éditeurs activistes, le marché s'est assaini, à tel point que ceux qui s'y intéressent encore ne sont que des passionnés. Dans le sillon tracé par Treasure se sont engouffrés d'autres petites merveilles, plus modestes mais avec un caractère fort. On pense très fort au génial Jamestown au design para-rétro fichtrement créatif ou encore à Bullet Soul, essayant de reproduire la fougue d'un shoot Nec de la grande époque. Mais le point commun de ces réussites est d'avoir su s'arrêter à temps dans l'entreprise de modernisation. Sine Mora veut trop en faire et ce n'est pas que pour son histoire. Et aussi étonnant que cela puisse paraitre, il est même beaucoup trop beau ! Impossible de distinguer les zones à shooter avant de leur balancer une purée de lasers. A ce titre, le niveau dit de "l'usine" est un cauchemar puisque les ennemis se confondent avec les lignes d'assemblage en arrière-plan. Et le masque de collision de notre engin est souvent fumeux. Dans le même genre, les bonus qui flottent en l'air s'amusent parfois à faire du passe-muraille, parfois non, rebondissant comme des boules de bowling. Il est possible de faire un shoot scrolling horizontal qui plonge dans une ambiance tout en restant limpide : Einhänder, Gradius V et Thunder Force V l'ont prouvé. Mais dans un shoot them up, avant les graphismes, la gestion des collisions, c'est le B-A BA et malheureusement, Sine Mora aurait vraiment dû reprendre ses gammes depuis le début.

Sans contrefaçon

Heureusement, son système est assez frais pour plaire à la fois aux blasés et aux noobs. Dans l'absolu, il faut surtout se soucier des "patterns" des ennemis. L'aspect central de cette mécanique, c'est le temps, une manière intelligente de transformer un aspect du scénario en nécessité de gameplay sans être tomber dans le gimmick. Il n'y a ni barre ni nombre de vies car tout est déterminé par ce "temps". Chaque contact fera perdre un peu de temps à ce compte à rebours tandis que le moindre coucou ennemi abattu la remontera de quelques secondes. En gros, cela signifie qu'il faudra aligner un maximum de renégats pour stocker un maximum de temps avant d'arriver au boss. L'allié principal de notre héros à la tête de bison n'est pas le Psycho Crusher mais la possibilité de ralentir le temps. Ce "bullet time" est, quand à lui, limité par une jauge, et les recharges débarquent au compte-goutte. La frustration des bonus est constante, jusque dans les continues. Comme si Sine Mora essayait, par ses défauts, de recréer en jeu l'absurdité de la guerre.

Sine Mora est superficiellement génial. Son design est à tomber par terre et son scénario au script superbement adapté montre une fois de plus qu'on peut faire des merveilles dans un genre qui ne s'y prête pas forcément. Et puis il y a cette musique hypnotisante, venue du Japon via Grasshopper et Yamaoka. Mais il est aussi sur la brèche très sournoise du premier jet que ne peut camoufler son développeur hongrois. On a déjà vu de meilleures finitions dans les jeux amateurs. On voit assurément plus de patate dans les quelques jeux X360 qui franchissent miraculeusement le rideau de fer du region-locked. Mais pour un premier essai, Sine Mora réussit à se forger une identité mémorable, la condition sine qua non de sa différence.